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vendredi 15 août 2014

Le bruit et la Fureur, William Faulkner

J’avais raison, faut vraiment un permis de lecture chargé à douze points pour ce Faulkner !
Ch’t’avais d’jà mis la puce à l’oreille dans le commentaire précédent en évoquant un “Faulkner un tantinet complicaresse à piloter”.
Oh putain de Dieux, quelle souffrance ce livre mes vieux gars ! 
C’est pas du pissat de rosière ; j’en étais arrivé au-delà de la page 130 quand j’ai compris que je ne comprenais rien ; obligé de recommencer et surtout de lire l’introduction !

Ok, après j'étais un peu plus blindé, j’ai presque pigé le truc : il ne faut pas lâcher l’affaire ne serait-ce que d’une virgule (quand il y en a, bien sûr (!)), tout en ayant une vision périphérique et quasi heuristique du topos, puis il faut bien faire gaffe à tous les prénoms car un des deux Quentin est une fille, tandis que Benjamin n’est pas le prénom de Benjamin et surtout que la flèche du temps est totalement torturée, d’une partie du livre à l’autre (il y en a quatre ; Sept Avril 1928 ; Deux Juin 1910 ; Six Avril 1928 ; Huit Avril 1928) et même souvente fois t’as des disjonctions temporelles à l'intérieur d’une phrase ! Des sortes de trains d’idées asymptotiques et perturbants, sinon totalement a-ponctués, du moins totalement déphasés…
 
C’est vrai aussi que tu habites à l’intérieur d’un attardé mental (Benjy) pendant un bon moment. Ça non plus, ça n’aide pas, c’est un gars qui ne fonctionne qu’à la sensation et rappelle-toi que c’est un drôle de merdier dans sa tête ! Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas attentif au contexte.
Et Quentin ! Fou de sa soeur Caddy. Qu’elle soif inextinguible d’auto-destruction.
Et Jason, le frangin aigre et vindicatif.
Et Disley, la rude et vieille négresse spectatrice du naufrage... 
Etc.

Bon, ok, le fond du bouquin n’est cependant pas si compliqué à décrypter, c’est la pathétique comédie d’une chute ; la chute de la maison Compson, dans le sud américain des années 1910-1920. C’est très steinbeckien en fait, là on est en terrain connu : violence, alcoolisme, inceste, lucre, folie, suicide, relents d’esclavagisme… quand l’homme redevient petit et fatalement vulnérable, l’histoire d’une déchéance en somme.

Non, la difficulté et la magie de ce texte tiennent dans le génie du fractionnement, dans le nombre d’éclats qu’il faut inlassablement  rassembler tout en gardant le rythme, tout en restant sur la vague. C’est extrêmement touchy, si tu préfères, de recréer de la cohérence avec toutes ces volées de shrapnels surréalistes (ça frôle l’écriture automatique parfois). C’est choquant au début, ça te rappellera la première fois ou tu as jeté un oeil sur un Hartung ou un Soulages, tu ne comprends pas ce que tu vois, tu es en recherche de cohérence, de congruence… et tu vois rien, ‘tain ! Et puis il y a un déclic (ou pas), une nouvelle posture à adopter, une sorte de laisser aller qu’il faut canaliser, et là, peut-être…

D’habitude, je la joue laborieux avec les mecs difficiles comm’ ça ; Malcom Lowry, j’ai mis plus de quatre ans avant de le reprendre, après m’être noyé dès les cents premières pages.
Là, j’ai immédiatement recommencé, j’ai repris un billet.
Et j’ai bien fait…
Ô mon Dieu, que j’ai bien fait !
Il y a des tâches glauques sur les culottes des petites filles, il y a deux fers à repasser qui alourdissent les poches d’un baigneur, il y a le cri de Benjy qui brouille toutes les pistes du temps, il y a l’insupportable promiscuité entre maîtres et esclaves, il y a l’odeur de toutes les choses qui pourrissent, il y a tant à lire et découvrir dans la peinture anentropique de Faulkner.

J’appelle ça du destructuralisme forcené, de la littérature non figurative et on ne peut que saluer la prouesse. C’est tout simplement énorme et beau... mais pas à la portée de toutes les bourses.
Réservé à un public de drogués averti donc, et à s’injecter avec parcimonie.

Pour moi, ce Faulkner là reste un objet extrêmement difficile à appréhender, c’est au roman ce que Jankélévitch est à l’essai phisolophique : un summum, un apex. Je ne pourrais jamais intégrer plus de complexité, c’est l’altitude maximale qu’atteindra jamais mon vieux Cessna 172.
Je connais une grosse dizaine de bons lecteurs, et, en toute honnêteté, à part quelques pointures du genre: mon spiralman favori ou ma space-frangine (impitoyable Némésis toute d’acier résolument trempé) ou un Patriçounet Doré, je ne vois pas grand monde capable de survivre aux bruyantes et furieuses turbulences inhérentes à ce vol de la “Faulkner-Air-Line”.

À mettre ensuite dans l’étagère des Lowry, Joyce, T.S. Eliot et autres altimétriques emmerdeurs géniaux ; l’étagère de la confrérie des empêcheurs de lire en rond ; L’étagère des bouquins qui piquent et font peur, les rares purs chefs-d’œuvre.


Ami Faulkner, tu me la copieras !



Sweet home



Je vous demande de péricliter...

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