Pages

jeudi 30 janvier 2014

Le commodore, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 17

Les héros sont rentrés au bercail, mais ce n’est pas fini moussaillon, Patrick O’Brian va encore jouer avec ton ionogramme pendant quelques bouquins de plusse…
Gloria in Excelsis Deo, etc. 

Cependant, tu n’auras pas oublié, farang-zélateur-de-la-théorie-du-genre-ha-ha-ha, que dès qu’il touche terre, le vrai marin est la proie des pires avanies car l’élément naturel de ce mammifère singulier ne peut être constitué que d’embruns salés et de coups de chiens à proximité d’une côte sous vent. Voila où il excelle, le marin ; parle-lui de trigonométrie sphérique, de prise de latitude à partir de plusieurs hauteurs méridiennes d’Achernar, mais ne lui parle surtout jamais de vie de couple apaisée, de rapports francs et cordiaux avec les banquiers, ou d’une réussite quelconque dans une entreprise chrétienne et raisonnablement terrestre. Non, pour le bien de tout le monde, faut pas le laisser traîner à terre, faut vite l’amariner, lui trouver des missions, des armements, des prétestes de fuir à plus de dix noeuds à travers les onze mers et les seize océans, faut qu’il ait plusieurs miles d’eau libre à courir, vent arrière. Là il est content, là il sait joliment faire !

Alors ça y est, Jack a son guidon de commodore, il commande à toute une petit flotte et son fidèle Killick prend la tâche très à coeur :
- Je supporte, monsieur, je supporte. Mais nous avons de grandes responsabilités, avec ce guidon.


Tandis que Stephen embarque vers l’Espagne son or, sa très jeune fille Brigid, Mrs Oakes et Padeen à bord de la goélette le Ringle, l’ami Patrick O’Brian nous offre une des plus belle page de toute cette odyssée :
Elle s’échappa de la cabine et courut sur le pont. “Je ne dois pas me conduire comme une vieille mère poule idiote”, pensa Stephen, mais il la suivit tout de même et, assis derrière la barre, il la vit risquer sa vie, très gentiment retenue dans ses excès les plus fous par Padeen et les matelots, attentionnés et d’une patience infinie : à un moment il la vit grimper jusque dans les barres de flèche de misaine, accrochée au cou rude et tout râpeux du vieux Mould.
Elle était le voyageur idéal, infatigable, enchantée de tout ; et bien que le Ringle ait rencontré une belle houle d’ouest-sud-ouest quand il fut dégagé de la côte, une houle quelque peu coupée par le courant de marée, elle n’éprouvait pas la moindre appréhension ni apparemment la moindre crainte. Être mouillée ne la dérangeait pas non plus, et c’était tant mieux car le Ringle faisait route au sud-ouest avec la brise portant de deux quarts et la mer agitée montait à bord en paquets par l’étrave tribord, la trempant à intervalles réguliers tandis qu’elle se cramponnait aux haubans de misaine, chaque paquet vert ou blanc étant signalé par un cri de délice.
Enfin, quand la nuit vint, on la ramena vers l’arrière et dans la cabine on la sécha, on l’assit devant un bol de râgout - le seul plat du Ringle en dehors du porridge ou de la bouillie d’avoine - en lui disant “Attaque matelot, attaque comme un brave”. Après deux cuillers elle tomba endormie, la tête sur la table, une main encore serrée sur un biscuit à demi dévoré, endormie si profondément qu’il fallut la porter, tout à fait inerte, l’éponger plus ou moins, et l’amarrer dans un petit hamac.


Cela étant, ne crois pas que la petite escadre de Jack va musarder le long des côtes africaines à la façon “la croisière s’amuse”, hein ? Non, notre aimable commodore, à bord du HMS Bellona (74, Tom Pullings comme capitaine), va pourrir la vie de tous les négriers qu’il croisera dans le golfe de Guinée, libérant plus de six mille esclaves en à peine une couple de mois ! 
Et ce n’est pas tout car ensuite il ira joliment empêcher le débarquement des troupes françaises en Irlande… Grosses canonnades au menu et pas mal de mauvais coups à prendre !

Bien sûr, un esprit chafouin  pourrait arguer que notre bon Jack a vieilli, qu’en plus du galon, il a pris plusieurs dizaines de livres depuis les bientôt quinze ans que nous le suivons, qu’il a des cheveux blancs et patati et patata ;  mais putain, quelle niaque il a encore le vieux, écoute comme il rugit sur son pont, au milieu du bruit et de la fureur des seize livres !


Bravo Jack, et merci à Patrick O’Brian de t’avoir si noblement donné vie.


Le voyage sans retour,
François Bourgeon


Pour vous, l’esclavage existe-t-il encore ?
⍈ Oui
⍈ Non
⍈ Sans opinion

lundi 27 janvier 2014

Une mer couleur de vin, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 16

Pfiou ! Dernière étape de cette longue circumnavigation ; nos braves matelots n’ont pas débandé depuis trois bouquins.
Et ouais, souviens-toi, farang nadino-moranotien, ils sont partis au tome “Le rendez-vous malais”. Depuis c’est quasiment le même voyage. 
Rends-toi compte du nombre de barcasses qui ont coulé sous les pieds du capitaine Aubrey (238 livres!) en trois ou quatre bouquins. Même la Surprise va frôler la catastrophe dans cette fin de périple, atrocement offensée par les glaces des cinquantièmes, et même alors la foudre s’y mettra !
Le pauvre Stephen, se voulant spirituel s’attirera l'ire de tout l’équipage et de son capitaine en osant plaisanter sur l’état de la barque :
Ils étaient toujours privé de gouvernail, mais en attendant que l’on pût en confectionner et surtout en accrocher un, ils avaient sur la hanche un aviron de gouverne qui permettait de remonter un ou deux quarts plus au nord que leur route plein est. A la fin de cette période, trois méchants petits poteaux s’élevaient là où s’étaient dressés les nobles mâts ; le mât de misaine, tout seul ; ses mâts de hune et de perroquet, combinés avec le mât de la chaloupe, remplaçaient le grand mât détruit ; et un assemblage plus étrange encore avait pris la place de l’artimon et portait une pitoyable voile longitudinale de la taille de la nappe de la grand-chambre : mais elle donnait tout de même un peu d’équilibre. Sous les vergues du grand mât et de la misaine étaient accrochées des voiles carrées, très larges mais extraordinairement peu profondes, si peu que quand Stephen fut amené sur le pont pour les voir, il demanda quand on avait l’intention de les hisser. “Elles sont hissées”, lui répondit-on d’une voix fort mécontente. Plus à l’avant encore, le beaupré intact portait sa civadière et son perroquet de beaupré ; et comme le navire était fort bien équipé en approvisionnements du bosco et du voilier, il portait toutes les voiles d’étai possibles et imaginables.
- C’est exactement comme le jour de lessive de Bridie Colman, je le déclare, s’exclama Stephen dans une autre malheureuse tentative pour plaire. Tout bien à portée de la main, en fait.
... 

Cela dit, il en aura vu du pays, ce cher Stephen ; les îles exotiques du pacifique, la prise du Franklin et de cette crapule de Dutourd, et quelques autres baleiniers américains qui font de fort belles parts de prise, ma foi, et le Pérou.
Le Pérou et les feuilles de coca… c’est un gourmand notre Stephen.

Bon, tout  notre petit monde finira par rentrer à la maison, cahin caha… Oufe !


(1R,2R,3S,5S)-3-(benzoyloxy)-8-méthyl-8-
azabicyclo[3.2.1]octane-

2-carboxylate de méthyle



Stephen, je me demande si tout cela est bien raisonnable...

samedi 25 janvier 2014

L'exilée, Patrick O'Brian

Aubrey-Maturin, t. 15


L’exilée en question s’appelle Clarissa Harvill - du moins au départ de la Nouvelle Galle, et c’était la pire des choses qui pût arriver à notre ami Jack. Rien qu’il n’abhorre plus qu’une femme à bord d’un navire. Rien de mieux pour gâter un équipage, affirme-t-il depuis toujours… maudites femelles ! 

… elle s’exprime avec une modestie tout à fait convenable. Il est évident qu’elle vient d’une bonne famille, et elle a de l’éducation. C’est ce qu’on appelle une dame.
- Les dames, on ne les envoie pas à Botany Bay.
- Balivernes ! Pensez à Louisa Wogan.
Jack accorda une brève pensée à l’indiscutable Louisa, et retourna à sa fureur.
- Un bordel ! cria-t-il. La prochaine étape, c’est le pont inférieur plein de brutes de Portsmouth, et une demoiselle dans une cabine sur deux. La discipline à vau-l’eau ! Sodome et Gomorrhe !
 

Et il n'aura pas tout à fait tort car la zizanie va vite s’installer à bord… il sera même dans l’obligation d’assister au mariage de la donzelle avec le plus vieil aspirant du carré, M. Oakes.

Heureusement, farang-sodomite, Jack va se trouver une nouvelle occupation guerrière qui lui permettra d’avaler la pilule. Sa présence est requise sur l’île de Moahu qui est en proie à la guerre civile entre d’un côté la reine Puolani, favorable au roi George III, et de l’autre, un roitelet auto-proclamé, Kalahua, qui sous l’influence du corsaire Dutourd - maudit français s’il en est et patron du Franklin -, séquestre le baleinier de Sa Majesté le Truelove et malmène son équipage.
Tu connais notre Jack, il va te rétablir l’ordre en deux coups les gros de manière extrêmement sanglante et tout cela finira par des agapes anthropophagiques (au grand dam de l’équipage !), et par l’honneur de la couche de la reine Puolani pour notre vaillant capitaine.
Que ne ferait pas Jack pour son roi, surtout si la noble dame est agréablement gironde ! Ça s’appelle le repos du guerrier, je crois.

Mais nul n’aura le temps de s’endormir sur ses lauriers car le Franklin parvient à s’échapper et une course poursuite fatale s’engage à travers le pacifique… il n’y pas une minute à perdre, holà, Killick, le tome seize, joliment !




Je me demande si vous en prendrez un doigt ?...

jeudi 23 janvier 2014

Les tribulations de la Muscade, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 14

Nous retrouvons notre aimable équipage de la pauvre Diane naufragé sur cette île maudite au fin fond de la mer de Chine, en proie à la Sainte Famine. Pour parfaire ce sinistre tableau, la troupe de Jack subit le sévère assaut d’une bande de pirates malais, les Dayaks. Hélas pour ces derniers, ils eussent dû mieux choisir leur proie car le matelot est indigeste, surtout quand il est échoué et de mauvaise humeur. Stephen, plus tard racontera en ces termes l’épisode à Raffles, gouverneur de Batavia :
- Je suis un très mauvais raconteur de batailles. Je ne les vois pas ou je n’y prends généralement pas part. Pour celle-ci j’étais dans la tente hôpital presque tout le temps ; je n’ai même pas participé à la charge finale. Ce fut un combat sévère. Ils ont tué et blessé beaucoup de nos gens ; nous les avons détruit entièrement. Mais le capitaine Aubrey vous en fera le récit exact. Il bondissait à travers le champ de carnage comme si c’était terre natale. Vous connaissez le rugissement d’attaque du tigre, bien entendu ?
- Bien entendu.
- C’est le bruit qu’il faisait au combat…


Quoi qu’il en soit, voila nos vieux compagnons à nouveau en selle car le Gouverneur Raffles leur offre de poursuivre leur périple à bord de la Muscade (vingt canons). Souviens-toi, farang-écervelé, qu’ils ont toujours rendez-vous de l’autre côté du monde avec cette chère Surprise commandée par l’aimable Tom Poullings.
Nous sommes parfaitement rodés maintenant, le Jack n’est jamais au repos, presque hargneux, et avant de toucher les côtes de l’Australie, étape programmée de longue date, et de retrouver la chère Surprise, ça va furieusement canonner tous azimuts ; tu vas en bouffer de la poudre et des embruns, le sang va encore pisser des dalots !
Nonobstant, tout au milieu de cet océan de fureur gît une perle d’humanité ; Stephen va recueillir une couple de fillettes mélanésiennes, seules survivantes d’une épidémie qui a tué tous les autres habitants de l’île Sweeting. Rebaptisées Sarah et Émilie elles seront très vite adoptées par tout l’équipage et refuseront énergiquement de rester dans un orphelinat de Botany Bay.

La courte étape en Australie sera d’ailleurs assez mouvementée : les militaires locaux peu coopératifs, les autochtones ombrageux, les convicts misérablement exploités et l’arrière-pays très hostile.
Notons aussi que Padeen, l’ancien aide opiomane de Stephen qui effectuait son stage de réinsertion chez les Wallabies, réussira à regagner la barque malgré les ordres formellement contraires de Jack.
Tu peux bien te figurer que ça barde peu après, et que ce pauvre Jack n’est pas au bout de ses Surprises, surtout si l’on considère qu’il n’est pas réellement au fait du nombre exact de passagers clandestins embarqués à Botony Bay.
Il va rugir derechef le tigre Aubrey ; gare matelot, chacun va en prendre pour son grade à bord de la Surprise, le Pacifique risque d’être mouvementé.

Mais chut, on empiète presque sur le prochain livre là...

Jack Aubrey




Rugissement interdit après 22h...

lundi 20 janvier 2014

Le rendez-vous malais, Peter O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 13

Farang-turgescent, c’est presque fait, Jack est à deux doigts de réintégrer la Royal Navy ; il était temps ! Au passage, il est même devenu membre du parlement après la mort de son père indigne.
Cela dit, son appétit d’aventure n’est  pas encore satisfait. Cette fois-ci  la circum navigation sera tautologiquement totale mais s’avérera complexe et durera plusieurs tomes (je le sais, j’en suis à la troisième passe !).
Premier temps : si vous l’acceptez, la mission consistera à convoyer une délégation plénipotentiaire Britannique au Sultanat de Poulo Prabang...
Comme d’habitude, il n’y a pas une minute à perdre car “ces chiens de Français” ont pris une longueur d’avance et pendant que la Surprise part de l’autre côté du monde par l’ouest, Jack et Stephen vont faire force de voiles vers l’est  à bord de la Diane, direction la Malaisie.
Navigation extrême pour le marin et îles enchanteresses pour le philosophe naturaliste (orchidées inconnues, ourang-outang, rhinocéros, etc.).
Sans parler de nos vieux ennemis Wray et Ledward que Stephen va se faire un plaisir de disséquer après les avoir abattu avec son flingue à canon rayé… Brrr.
Je vous ai apporté un cadavre. Les portiers de Wu Han l’ont dans une petite charrette, dans le sentier. Puis-je leur dire de l’apporter ? Et il y en a un autre, plus grand, si vous voulez un second spécimen.
- Oh, très volontiers - comme c’est aimable, quelle délicate attention, mon cher Maturin, -, je vais dégager la longue table.
[...]
- Ceci est un Européen, dit-il.
- Oui, dit Stephen, tâtant le fil d’un scalpel, un renégat anglais. je l’ai connu à Londres, un certain Mr Wray.
- Une rate anglaise, enfin !  Une rate anglaise, la plus célèbre de toutes ! et le cadavre le plus frais que j’aie jamais eu le plaisir d’ouvrir. Je vous suis infiniment obligé, collègue. La mort est due, je vois, à cette blessure par balle : une balle de rifle. Comme c’est étrange.
- Absolument. C’est également le cas de son compagnon, plus lourd, que vous avez rencontré une ou deux fois ; et la blessure est tout aussi récente.
... 

Faut pas faire chier Stephen !

Un épisode qui aurait pu vraiment bien finir, sans cet échouage ridicule et indigne de la Diane sur un récif de la mer de Java et sans le typhon qui emportera peu après le pauvre navire par le fond.
Un peu moins de cent cinquante naufragés sur un îlot inhospitalier ; typhon, pénurie de vivre, attaque de pirates malaisiens, mais sous la houlette de Jack, rien ne saurait détourner notre brave équipage de son devoir.

Parick O’Brian est un diable ; il est capable de faire passer le pire des torys pour le meilleur de nos amis.



Beurk...



Monsieur Wray, je vous demande de ne plus bouger...

dimanche 19 janvier 2014

La lettre de marque, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 12

Avant que d’être un jargon totalement abscons ou un sabir professionnel saturé de boulines, misaines, civadières, bâbord amure, grand largue ou autre ancre haute et claire ; le langage des marins est une pure poésie. Que l’on parle de météo ou de trigonométrie sphérique, Patrick O’Brian se situe au plus près, au plus juste, de l’idée que l’on se fait de la chose marine.
Une écriture millimétrée et surtout totalement pertinente qui devient une organisation poétique des mots, convoquant immédiatement notre sens de la métaphore, suscitant une appétence irrationnelle pour des sèmes jusqu’alors hors de notre horizon événementiel ; c’est tout un monde nautique qui s’installe et qui nous hisse en son royaume… c’est pure merveille.


Te souvient-il, farang-situationniste, que ça c’est hyper mal passé dans l’aventure précédente ?
Je ne te cacherai pas que l’ami Jack a touché le fond. Heureusement, Stephen Maturin reste son indéfectible ami et, après avoir racheté la Surprise sur ses propres deniers, il lui offre le commandement de cette “lettre de marque” (le premier qui osera parler d’un corsaire sera pendu à la grande vergue !).  
Petite virée en Suède, donc. Ouais, Jack veut faire changer toute la garde-robe de sa chère frégate et seule la toile tissée dans les ateliers de Riga est digne d’être arrisée sur les vergues de la noble et vieille demoiselle qu’est l’aimable Surprise.
Stephen en profitera pour retrouver Diana, son épouse, et Jack va enlever de façon magistrale la frégate française la Diane.
Les mystères et les fureurs de l’an quinze, disons.
Au passage, et comme toujours, tu en apprendras un peu plus sur les orientations “philosophiques” d’un équipage type de la Royal Navy du début 19e.

- Ce navire, observa Martin, contient un nombre étonnant de croyances. Sans doute d’autres de la même taille en contiennent tout autant, mais sûrement pas aussi variées, car je dois avouer que si j’étais préparé aux gnostiques, anabaptistes, sethiens, muggletoniens et même aux disciples de Joanna Southcott, avec par-ci par-là un juif ou un mahométan, j’ai été tout à fait pris à contre  en constatant que nous avons à bord un adorateur du diable.
...


Allez, courage, à force de hauts faits, peut-être Jack pourra-t-il être réintégré dans la “Liste”...


Jack's work



Chers amis, vous demanderai-je d’aborder ?...

lundi 13 janvier 2014

Le revers de la médaille, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 11

Rappelle-toi, farang-anglican, qu’il ne va pas être à la fête l’ami Aubrey dans cet opus.
Pour commencer, et alors qu’il est encore mouillé devant Bridgetown avec l’escadre des Caraïbes, il reçoit la visite de Samuel Panda, un étrange  jeune homme, noir et papiste (!!!), qui s’avère être le fils qu’il fit à la gente Sally Mputa alors qu’il était jeune monsieur à bord de La Resolution. Ensuite, il sera requis en tant que membre du tribunal de la cour martiale en charge de faire  pendre une poignée de mutins de la Royal Navy retrouvée à bord du Norfolk dans l’épisode précédent. Pas Glop, pas glop...
Te parlerai-je de la chasse échevelée mais infructueuse qu’il mena peu après entre les Açores et Brest sur les talons du corsaire Français le Spartam ? Évoquerons-nous sont atterrissage fort impétueux en plein milieu de la flotte du blocus de Brest ? Faut-il encore préciser que c’était certainement le dernier voyage de la Surprise ? Dois-je réellement te faire la somme de toutes les avanies qui l’attendent à terre, domaine où hélas il n’est guère à l’aise ?
Te dirai-je, Ô ignominie des ignominies, qu’il finira en  homme brisé, au pilori de la Bourse Royale de la City de Londres ?
Puis-je, en toute conscience, te dévoiler qu’il sera chassé de la Navy comme le dernier des hooligans ?

Non, je ne ferai rien de la sorte, sache simplement que l’ami Jack n’a plus la baraka et qu’il va pédaler dans une béchamel infernale durant tout cet épisode, et que c’est rien de le dire votre honneur !

S’il était encore besoin de le préciser, souviens-toi que Patrick O’Brian a découpé le personnage romanesque de Jack Aubrey sur le gabarit d’un  homme ayant réellement existé, Lord Thomas Cochrane, à qui il arriva, et pour des motifs semblables, l’iniquité de visiter les geôles de Marshalsea, de passer une heure au pilori et d’être renvoyé de la Royal Navy comme le dernier des patriçounets.

Avec ce tome peut être un peu moins maritime que les autres, l’ami O’Brian trempe sa plume dans l’encrier des grands romans anglais du dix-neuvième siècle : du grand art.







Je vous demande de ne pas me jeter la pierre...

samedi 11 janvier 2014

De l’autre côté du monde, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 10

Bon, nous voila dans le film Master & Commander.
Peter Weir a compilé nombre de situations et de personnages connexes à l'ensemble des aventures de Jack, mais le squelette, non pas tant narratif qu’amariné, de ce film est décidement issu de ce dixième épisode.

Ok, ok, le Norfolk américain c’est transformé en Archeron (chiens de Français !) et même toi, pathétique-farang-zélateur-de-la-quenelle, tu comprendras qu’il était bien plus séant (le producteur te dira mainstream) et surtout plus judicieux pour la Twentieth Century Fox Film Corporation de ne pas rappeler aux populations anglo-saxones (coeur de cible du produit) que les rosbeefs et les yankee étaient en guerre entre 1812 et 1815.

Ceci étant dit, que le cul me pèle et que le diable me patafiole si je continuais à  dégoiser sur ce film car c’est une merveille, un pur, un noble et aimable objet maritime… c’est presque mieux que Thalassa !
Ce film a pulvérisé les représentations gestaltiques que je me faisais des personnages quand, légèrement plus jeune, je lisais les aventures de Jack et Stephen.
Sans dec, je ne me souviens même pas de la tête que j’avais imaginé pour Jack quand j’ai lu la série pour la première fois, car après le film il me fut structurellement impossible de ne pas comprendre que Russel Crow c’est Jack Aubrey, que Paul Bettany est un admirable Stephen Maturin, que David Threlfall est le fidèle Preserved Killick, etc.

Le livre maintenant.

Donc direction de l’autre côté du monde, et d’ailleurs assez tristement pour commencer car il s’agit peut-être du dernier armement officiel pour cette bonne vieille Surprise et son si aimable équipage…

Départ de Gilbraltar ; un début de voyage atroce. Le midshipman Hollom est un Jonas ; le canonnier a embarqué sa jeune et belle femme avec lui au grand dam de Jack ; un coup de chien après le pot au noir amenera tout ce petit monde à s’échouer sur la cote Brésilienne, à perdre du temps ;  le passage du Cap Horn d’est en ouest sera une épreuve terrible qui obligera la Surprise à faire route au sud jusqu’à tutoyer les soixantièmes mugissants avant de pouvoir refaire cap au nord-ouest, vers le Chili ; après les Galapagos, et toujours aux trousses du Norfolk, Jack et Stephen vont presque se noyer en plein pacifique en tombant nuitamment et incognito du navire ! Ils seront ensuite à deux doigts de se faire dévorer par la bande de furies radicalement saphiques qui les recueilleront à bord de leur pahi
Et il retrouverons le Norfolk... 
Et Stephen va frôler la trépanation ! 
Et...

Quel voyage mes amis, quelle aventure, quel livre !

Toujours, avec Patrick O’Brian, cette volonté de nous imprégner de la science qui consiste à mener au plus juste un navire de Sa Majesté, science qui en l’occurence confine à l’art :

En temps ordinaire, Jack aurait établi les cacatois et probablement les bonnettes ; aujourd’hui il se contenta d’amener le foc et la bonnette d’artimon, de carguer la grand-voile, d’apiquer la vergue de petit hunier et de poursuivre, sous civardière, misaine, bonnettes de hune de misaine et bonnettes basses, grand hunier et grand perroquet avec bonnettes de chaque côté.

Un soin méticuleux pour les plus prosaïques précisions navales :

Un navire de guerre, même de sixième rang, exigeait une quantité étonnante de matériel naval, et chacun des guerriers qu’il portait avait droit chaque semaine à sept livres de biscuit, sept gallons de bière, quatre livres de boeuf et deux de porc, deux pintes de pois, une pinte et demie de flocons d’avoine, six onces de sucre et autant de beurre, douze onces de fromage et une demi-pinte de vinaigre, sans parler du jus de citron, des quantités énormes d’eau douce nécessaires pour faire tremper la viande salée, et des deux livres de tabac par mois lunaire [...] une masse considérable lorsqu’on multipliait par deux cents.

En contrepoint des nuits océanes, le violon de Jack répondant au violoncelle de Stephen :

Leur vieux Scarlatti en ré mineur et une série de variations sur un thème de Haydn qu’ils échangèrent avec d’agréables improvisations l’entraînèrent encore plus loin...

Toujours les urgences de la chose maritime :

Et je ne saurais trop insister, Mr Lamb, pour vous pénétrer de l’idée qu’il n’y a pas une minute à perdre : mettez tout le monde au travail accéléré.
...

Ou bien le portrait fort peu marin de ce cher et impayable Stephen Maturin :

Malgré de nombreuses années passées en mer, le docteur Maturin n’avait pas acquis la moindre teinture de qualités marines. Il avait réussi à diverses reprises à tomber entre le canot qui le transportait et à peu près n’importe quel type de navire ou de vaisseau de la Royal Navy ; il était aussi tombé entre une dghajsa maltaise et un solide quai de pierre, et entre l’escalier de Wapping et un bac de la Tamise, sans même parler d’embarcations instables ; cette fois, bien que le Caledonia ait gréé une large échelle de coupée, sorte d’élégant escalier doté de garde-fous et de rampes en cordage couvert d’étamine rouge, et bien que la mer fut parfaitement calme, il réussit presque à plonger dans l’étroit interstice entre la première marche et la suivante et, de ce fait, sous le flanc du navire. Mais Bonden et Doudle, nageur de tête, étaient habitués à ses fantaisies : ils le saisirent franchement et le reposèrent tout jurant sur les marches, sans rien de plus grave qu’un bas déchiré et un tibia un peu écorché.
...


O’Brian au sommet de son art, un roman de lait et de miel pour tous les matelots entre sept et soixante dix-sept ans.


Merci.


La Surprise


Je vous suggère de vous dé-cap-hornifier rapidement...