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lundi 30 juin 2014

Le capital au XXIe siècle, Thomas Piketty

Voila donc le gauchiste qui dégomma le Pistoleros au quatrième round.

Mais c’est un malfaisant ce mec, il a oublié le visage de son père ou quoi ?
Attends, ch’te raconte :
Je somnolais bien pépère dans mon Stephen King… je me souviens...
Maman avait fait des cuisses de canards confites accompagnées d’une platée de lingots tarbais “à sa façon” (lingots trempés de la veille, oignons, carottes, tomates et surtout, surtout, les petites lamelles de couenne confite qui donne cette onctuosité incomparable… hum) ; on s’était régalé, tu penses bien, et chacun digérait dans son coin quand v’la-t-y pas que ce nuisible de Piketty fracasse ma lourde à grands coups de pompes et déboule dans ma cagna ! Thomas Piketty him Self, flingue en pogne ! Tu parles d’un choc… en pleine digestion ! L’enfoiré me braque avec un énorme Seuil de presque mille pages et m’explique recta : j’ai  “la puissance de feu d’un croiseur et un flingue de concours”, ou tu lis mon bouquin ou je t’expédie chez le premier patriçounet venu ! La menace était réelle, j’obtempérais immédiatement...

Figure-toi que ce n’est pas qu’un livre d’économie, c’est bien plus transverse que ça, il y a aussi de l’histoire, de la sociologie, des sciences politiques, de l’anthropologie, des mathématiques, etc.
Et c’est passionnant !
L’introduction est remarquable, les conclusions tombent sous le sens (si tu portes à gauche), et les sept cents pages de données compressées entre les deux sont relativement lisibles... si tu n’as pas la fausse bonne idée de zapper les crobards, graphiques et autres tableaux ; je dirais même que le fait de bien se concentrer sur ces objets si peu littéraires - et donc à priori si repoussants - permet une lecture légèrement (ok, ok, fortement) plus diagonale des parties réellement hardos du propos, quand il ne parle plus francaoui, disons. Les mathématiques de ces gens là me sont définitivement étrangères et pour tout dire, je fais confiance non pas tant à la savantitude de l’ami Thomas qu’à son honnêteté.  

Cela étant dit, ces presque mille pages qui, sans aucun doute, devraient faire fuir l’honnête homme sont presque toujours passionnantes ; cette historio-radioscopie du capital est proprement extraordinaire. Du grand art pour une fois à la portée des âmes simples.

Quoi ?
Tu veux que je t’explique ? Mais t’es pas folle, non ? Tu veux réellement en savoir plus sur la courbe de Kuznet, sur le rapport capital/revenu au cours de l’histoire, ou la montée des super-cadres ? ...
Qu’il te suffise de savoir qu’en conséquence de la contradiction centrale du capitalisme : r > g on est pratiquement tous baisés ; hé, les cloportes, n’essayez même pas de vous compter, vous êtes trop nombreux, vous êtes légions, non, fallait prendre de la hauteur, faire partie du centile supérieur… là c’est trop tard, toutes les places sont prises.

Il y a hélas fort peu de chances pour que les préconisations de l’ami Thomas du genre : instauration au niveau mondial d’impôts efficaces, lutte contre les inégalités, diffusion maximale des connaissances, etc. soient un jour appliquées, cela nécessite une volonté politique bien plus vigoureuse que celle qui se pratique dans nos méritocraties dévoyées.

Quoi qu’il en soit, Thomas Piketty est un maître passionnant qui est arrivé à me faire passer plus d’une semaine sur à peine mille pages (pas toutes écrites en français) sans que l’exigence de la concentration qu’il faut tout de même garder ne l’emporte sur l'enthousiasme que procure, page après page, la compréhension des concepts radicalement hostiles qui sont présentés.

De l'excellente vulgarisation, un travail d'équilibriste.

Merci au sorcier Piketty… 

Au fait, pour en savoir plus c’est là : Thomas Piketty, mentat de la maison Harkonnen, Giedi Prime




©Lionel Cironneau/AP/SIPA



The winner is : Tyranomauriçus Levyrex.

- Miam, miam, à moi la bonn' souplette...

mardi 24 juin 2014

La tour sombre 4, Stephen King

Bien sûr, je n’ai pas pu m’empêcher de plonger dans le tome quatre, et pourtant je n’étais pas chaude, ch’tai d’jà dit, mais je ne me rappelais plus bien comment ça finissait avec Blaine, le train fou qui roule plus vite que son son… hum.
Bon, de toutes les façons je le savais déjà : le coup des devinettes, ceci, cela… c’était même assez foireux, il ne s’est pas brisé les reins à la tâche l’ami Stephen avec cette tardive poursuite de la série.

M’fin, de moins en moins convaincu mézigue et j’en suis à me fustiger l’arrière-train pour passer le morne cap des deux cents pages quand j'ouïs distinctement les subtils et caractéristiques cliquetis qui indiquent un boitalettrage amazonien réussi… Clinc, clonc-clonc, klounc !
Je corne vaguement la page 207 de La tour sombre 4 et épluche le pacsif encore chaud de sa traversée atmosphérique. Me choit alors Thomas Piketty (Le capital au XXIe Siècle) in the pogne.
Je me revois en train d’ouvrir le bouquin… de le manipuler (beau morceau, 970 pages), de l’évaluer avec un certain effroi, de cependant le sentir (snif, snif) avec gourmandise, de le humer en feuilletant les premières pages tout en me disant : “un bouquin sur le capital écrit par un dirlo d’études à l’EHESS ?... Pis, c’est quoi l’EHESS, c’est pas des nazis, au moins, hein ?... Presque mille pages ? Combien j'ai payé ça ? (rapide coup d'oeil à la 4e de couv.) Au putain ! Mais t’es un grand malade, et patati et patata...
Bref, au bout de quelques pénibles secondes : tiens, fais voir l’intro… et là, TCHAC ! 
Hameçonné, plus de volonté propre, une sorte d’éblouissement… ‘tain ! 
Ce choc ! 
Je reprends mes sens une plombe après, à la page soixante sept, la fin de l’intro en fait… J’en reste sur le cul, tout ébaubi, et je sais désormais qu’à l’instar du Titanic,  La tour sombre sombre… hum, hum.

Alors, voila, malchanceux-farang-du-côté-impair, c’était un commentaire sur La tour sombre 4 (Magie et Cristal).
Et plus sérieusement, je te conseille ce bouquin pour la plage, si tu as entre quatorze et seize ansdouze et quatorze ans… dix et douze ans, disons… (mort à le jeune ! ©Bill).

Cela dit, hors de question de rester fâché avec l’ami Stephen ; t’inquiète mon grand, je ne te quitte pas… la prochaine fois que j’irai voir la mer orientale, ch’t’emmène !


©di caprius lupus



Et cependant je reste le maître du monde…

dimanche 22 juin 2014

La tour sombre 1.2.3, Stephen King

Rubrique, nettoyage de printemps !

Je sais, c’est un peu tardif pour la séquence “grand coup de balai dans la piaule du neurone”, mais vu la PAL qui l’attend, c’était le moment ou jamais de kärchériser les scories de mois-lecteur accumulées dans les recoins depuis les nettoyages précédents, souventes fois à base de balayettes de ©Vance ou d'©Hammilton.

Cette fois je me suis saisi du kärcher ©Stephen King.
Là, je prends ma dose de pubéritude pour l’année à venir.

Cela dit, je ne vais peut-être pas aller au bout ; cette compile des trois premiers tomes affiche 1170 pages au compteur, le numéro quatre : 860, le cinq : 670, le six : que 525, et le sept, l’ultime : 950. ‘tain, tu vois le coup ? !
  
Ce n’est plus un petit coup d’éponge sur le pare-brise, là, c’est la version  “Prestige” à 85€ de chez Américan Car-wash  !
Un cyclone dans la R16 !

Nonobstant, cher farang-fête-dieusard (Saint-Sacrement, dimanche 22 juin 2014, et ouais, sois à tes classiques, merde !), l'honnêteté m’oblige à te préciser une dernière chose assez curieuse quant à ma relation avec l’ami Stephen King ; je n’aime pas ce qu’il écrit d’une façon générale, les bagnoles vivantes et vicieuses, les esprits sanguinaires et psychogènes tapis dans les murs des vieilles granges ou des vieux hôtels, les sorcières cacochymes et édentées invoquant  le caca doré d’un Grand Babu des champs de maïs étasuniens et les wiccans me lassent rapidement… mais je souffre d’apprécier deux exceptions dans l’œuvre du Maître : La Tour sombre et Dreamcatcher.
Dreamcatcher, je t’expliquerai quand je le relirai… les milliers de miles de la Tour sombre, c’est maintenant.

Bien, qu’est-ce qu’on a ?
On a les grands classiques de la SF : terres mouvantes, temps incertains, univers parallèles, déserts arizoniens aux marches du vieux monde , etc.

Le Pistolero
Le néo-chevalier Roland de Gilead très farwest story, sorte de cowboy à la Clint Eastwood mâtiné de Don Quichotte, cavale depuis vingt piges après "l’homme en noir".
Poursuite, confusion dans les branes de l’anti-monde, massacre à la cantonade et sauvetage du petit Jake Chambers, peut-être (sûrement…) mort dans une autre boucle locale.

Puis immersion holistique dans la deuxième brane du continuum :

Les Trois cartes.
Des portes découpées à la Magritte sur les plages d’un improbable inter-monde ; des homarstruosités à tire larigot et quelques nouveaux héros : Eddie, junkie patenté, mais bourré de possibilités et la schizophrène (O)Detta Walker, l’infirme, la Madone, et aussi une rose dans un terrain vague ; ça va faire des complications… t’imagine même pas !

Et enfin :

Terres perdues.
Ça y est, la communauté de l’anneau est au top, on a même affuré un extraordinaire petit animal, Ote, le bafou-bafouilleux lié à Jake. Maintenant c’est du sérieux, va falloir affronter l’homme Tic-Tac, Blaine le Tchou-tchou, etc.
Et toujours à la suite de l’Homme en noir (séide du roi cramoisi ?), dans l'ombre du rayon ; ‘tain, Blaine est peine...

Beaucoup, beaucoup de romantisme et d’esprit magique cependant, on sent bien que l’enfançon Stephen qui écrit a sûrement tété jusqu’au bout - comme nous tous - ses biberons de Poe, de Tolkien et autres Lovecraft.

Je ne t’en dirai pas plus sur cette extraordinaire odyssée car j’en sais qui ricaneraient, les fumiers !





Je vous demande de bien repérer votre brane locale…
(sinon ça va être le bordèle,'tain !)

dimanche 15 juin 2014

Varennes, Mona Ozouf

Moins d’une semaine sera nécessaire pour consommer plus de mille ans de royauté.
Au delà du tumulte de 1789, Mona Ozouf détecte la fin de la royauté dans la fuite du roi.

J’ai lu la Révolution de Michelet, plus récemment la version
romanesque de l’Histoire des Girondins de Lamartine (je viens de comprendre que j’ai manqué Jaurès), mais ici, changement de catégorie ; opération "à coeur ouvert" des journées du 20 au 25 juillet 1791.

Dame Mona n’est pas seulement une historienne de grand talent, c’est aussi une horlogère de précision. Quatre cents pages remarquablement documentées sur les conséquences de Varennes, sur ce basculement inouï de l’Histoire ; que ce serait-il passé si Louis XVI ne s’était pas enfui, s’il n’avait pas déserté ? On ne l’aurait certainement pas jugé ni massicoté ; quid de la Terreur qui s’ensuivit, de Napoléon, de la Restauration, du Second Empire, du colonialisme; quid de notre XIXe, hein ? quid du Congrès de Tours, de la fête de la musique, etc. ?  
Je t’invite à l’uchronie :  imagine une seconde : Louis XIV et l'autre salope d'autrichienne ne s’enfuient pas, ne sont donc pas arrêtés à Varennes et ne reviennent pas en pitoyables déserteurs dans un Paris résolument hostile… Où le triumvirs (Barnave, Duport, Lameth) parvient à ses fins et installe une monarchie constitutionnelle… Hein ? Tu vois le coup ?

On peut toujours imaginer, mais quand même, ce Louis XVI, c’était plus qu’un roi nigaud, il n’a jamais changé de bord, même après 89 ; bien plus fourbe que pusillanime, non ? La version de ces événements relatée par Dame Mona Ozouf appert comme bien plus objective car plus détachée, plus lointaine et analytique que celle de Lamartine ou de Michelet.
Mona Ozouf épluche, dissèque, décortique et expose tous les muscles, tendons, leviers et mouvements qui plongent la révolution dans le chaudron de ce mois de juin 1791. Tous les acteurs sont là ; les Brissot, les Clavière, les Condorcet, les Desmoulins, les Mme Roland, les Marat, les Duquesnoy, les La Fayette, les Danton, les Bailly... Une analyse extrêmenent pointue des minutes qui précipitèrent la France dans la Terreur.
Inéluctable.

En plus de tous les titres et honneurs dont on peut affubler la gente dame Mona Ozouf, je pense qu’on peut aussi la faire figurer au firmament des sorcières de l’historiographie.

Un livre parfait ?

Mona Ozouf, je t’aim… heu… puis-je vous adorer ? 



Sainte Mona O.



What else ? ...

Vie des Martyrs, Georges Duhamel

Un Chevallier amenant un Duhamel, nous replongeons dans la Grande Guerre. Nous sommes maintenant cantonnés légèrement en deçà des premières lignes… Oh, pas très loin, il pleut aussi des obus sur les postes médicaux avancés de 14-18 et l’ami Georges Duhamel n’est pas un planqué, oh non ! Il patauge sans faillir pendant cinq ans avec les poilus, ses frères de malheur, dans la merde, les tripes et la souffrance et surtout il témoigne - sobrement, fidèlement - de l’humanité singulière des soldats martyrisés dont il a la charge en tant que médecin ; il les nomme, décrit leur agonie ou leur résurrection et ce faisant il les incarne, les replace dans la famille des hommes.
Lerondeau, Carré, Mouchon, Tricot, Mehay, Mathouillet, Lécolle, Derancourt, Monet, Renaud, Nogue, Lapointe, Ropiteau, Bouchentou, Lévy, Gautreau... le pauvre André ; par dizaines.

Et cette façon de coucher sur le papier les idiosyncrasies de chacun face à la misère morale, la douleur physique et la certitude de sa mort, est une formidable démonstration sur l’hétérogénéité de nos réactions quand notre "force d'âme" se trouve confrontée au pire ; ce que nous sommes réellement nous ne le découvrirons que dans les affres d’une agonie douloureuse. (Benedicti ignari sint !)

...
C’est un bien naïf besoin d’égalité qui nous fait dire que les hommes sont égaux devant la souffrance. Non ! non ! les hommes ne sont pas égaux devant la souffrance. Et, comme nous ne connaissons de la mort que ce qui la précède et la détermine, les hommes ne sont même pas égaux devant la mort.
(Page 157)
...

Terrible et poignant ; une lecture au bord des larmes.

Merci à ma vieille Biloute rieuse (Méthode Coué adjectiviste) pour cette formidable suggestion.
Merci à Georges Duhamel, géant modeste parmi les nains.


©Tardi





Je vous demande de vous embrasser…

jeudi 12 juin 2014

Clochemerle, Gabriel Chevallier

Ah, ah, ah, extra !

Je suppose que jusqu’à présent je faisais partie des millions d’êtres humaines qui savent vaguement ce qu’est une histoire de “Clochemerle”, mais qui n’ont jamais lu le bouquin, voire qui ne connaissent même pas Gabriel Chevallier.
Et, si tu es un farang attentif, tu auras certainement remarqué que je suis en train d’obvier à ce triste constat ; Môssieur Gabriel Chevallier est en passe de trouer le ciel bleu de mon panthéon et il monte plein-pot, juché sur un panache immaculé de gaz chauds violemment expulsés par un Snecma M88 en mode post-combustion, vers le firmament des figures tutélaires qui veillent sur mes insomnies orbitales… (‘tain, c’est polétique, non ? Surtout le Snecma M88, hein ? Pis la post-combustion, le panache, ceci cela… Heu… Hum… ok, ok, je sors… cela dit, je ne… Hein ? bien, bien, je me tais… et en tout petit ?...Bon, bon… dommage car je voulais raconter l’histoire du singe qui encule le lion et… Yes Sir !)

[ Communiqué de la direction : Nous sommes désolés pour cet incident typographique, le forcené a été maîtrisé et remis au bras séculier]

Qu’est-ce qu’on disait ? Ha, ouais, Clochemerle…

1922, un petit village dans le beaujolais profond
La guerre couve toujours entre la curetaille et les républicains de la IIIe.  Pour emmerder le clan des cagots, le maire et l’instituteur font installer des pissotières publiques devant l’église. Et là, tout s’enchaîne, une outrance en amenant une autre, ça finira avec morts et blessés mais tu n’auras pas été sans profiter de tous les succulents personnages de ce village archétypique de la France du début XXe.
Le curé, le notaire, le maire, l’instit, les vieilles bigotes, les viticulteurs bonaces et matois, et les femmes… les libérales de la fesse, les coincées, les jeunes pucelles, les vieilles peaux ; la guerre est ouverte !
Voici les deux versions d’un même incident relatées par les feuilles de choux de chaque camp  :

Un épisode des guerres de religion. Révoltante agression dans une église. Un suisse pris de boisson se jette sauvagement sur un paisible citoyen. Le curé prête la main à cette honteuse entreprise.

Une infamie de plus :
Odieux exploit d’un ivrogne soudoyé par une municipalité bassement sectaire. Ce triste individu profane le saint lieu. il est jeté dehors par les fidèles indignés.


Un régal incontournable et une morale toujours d’actualité : les zélotes de Dieu n’apporterons jamais rien de bon dans les affaires de la res publica !

Gabriel Chevallier n'est pas un excellent camarde, c'est pour cela que j'affirme que Gabriel Chevallier est mon camarade !


©Peppone et Don Camillo sont
dans un char...

 
- Je me demande à quoi sert ce levier, mon fils ?
- Lequel, celui-là, mon père ? Click…
  BAOUUUUMMM !

samedi 7 juin 2014

Anima, Wajdi Mouawad

Pfiiiouuu… 

Ben mon vieux gars, je ressors de ce livre tremblant et misérable ; totalement essoré !

Un choc cet Anima.

Première forte impression : la forme.
T’as beau être averti, avoir bien écouté le prêche de l’ami T. R. (R. like a river), tu es d’emblée installé en spectateur, et quel(s) spectateur(s), dans le corps de nos amis les bêtes ; tu écoutes des vibrations, tu palpes des textures, tu zieutes multi-facettes, tu piques dans des chairs molles et grasses, tu ronronnes, tu urines, tu mords, tu voles, tu meurs, mais tu es toujours le témoin privilégié. Oncques ne lut jamais pareille construction ! Quelle virtuosité, quelle fluidité, tu passes de la subjectivité aquatique d’un poisson rouge dans son bocal à celle, altimétrique, d’un balbuzard sillonnant le ciel, mais tu gravites toujours autour de la scène principale. 
Ça donne des séquences de ce genre :

...
Mus Musculus
Son pas en aplat sur la surface grillagée de la bouche d’égout, sous laquelle je niche avec ma progéniture, je l’ai vu passer en contre-jour de mon ciel, courant comme un fou dans son souffle ahané.

Vespula Germanica
Il courait à travers le mouvement des voitures, paraissant disparaissant, jusqu’à l’angle arrondi d’un trottoir où il a bifurqué, avalé par le halo gazeux de la circulation matinale.

Larus ridibundus
Rouge parmi les humains, visible depuis les nuages, il courait, d’une rue à l’autre, d’un boulevard à l’autre, coupant par les ruelles et les jardins, si petit vu du ciel, si lent vu de là-haut, dans l’urgence de faire battre son coeur vers l’avant, plus vite toujours, plus loin toujours.

Tegenaria domestica
Mary ! Mary ! Mary ! Ouvrez ! Ouvrez !!! Mary ! Mary ! Les vibrations faisaient trembler les fils de ma toile. Je me suis avancée le long du plafond [...].

Voila, tu vois ? Rythme et subjectivités multiples dans ce polar infernal.

Au fait, t’avais-je avisé qu’il s’agissait d’un polar ?
Atroce et extrêmement glauque : un crime abominable commis sur Mlle Léonie F. par le métèque Mohawks Welson Wolf Rooney qui a oublié de téter le calumet de la paix, tandis que le petit copain d’icelle,  Wahhch Debch, lui court après. Voila pour le prétexte de ce road-movie échevelé.

Au fait, t’avais-je averti qu’il s’agissait d’un road-movie ?
Tu chemineras depuis la réserve indienne de Kahnawake, Canada, pour aller te perdre dans les fins fonds torrides des zamériques. Pick-up, fuite à pied, forêts, wagons de marchandises, désert, marécage, autoroute, motels ; un voyage à la Jack London dans l’Amérique profonde…
On the road again, en plein, pour l’ambiance qui règne dans cet essai philosophique.

Au fait, t’avais-je prévenu qu’il s’agissait d’un essai philosophique sur le mal, ou, du moins, sur les origines du mal ?
La violence, tant physique que morale, qui irrigue tous les domaines du vol de ce livre est cependant finement pilotée par l’ami Wajdi Mouawad. Il s’agit d’un voyage à rebours vers les origines du mal, car le mal à toujours besoin d’être incarné, d’avoir un visage, un lieu et un moment ; il lui faut une identité… C’est donc un véritable voyage à rebrousse-temps, passant par les terribles journées du 16, 17 et 18 septembre 1982, dans les camps de Sabra et Chatila, qui s’effectue en arrière-plan de l’esthétique formelle de l’intrigue. Là, le cône du mal trouve sa focale, et la violence un prétexte. Il en émane un “je ne sais quoi” de déterminisme bien plus gênant que le spectacle convenu de la violence.
Brèfe, un livre monde, superbe et monstrueux, dont le fond s’articule autour de l'intangibilité du mal, de la violence qui habite les hommes, et de la fragilité du concept d’identité.
Franchement, il ne déparera pas dans tes étagères entre un Hannah Arendt et un Camus…

Ami Wajdi Mouawad, je ne te connais pas, mais je sais désormais ton tourment.


Une dernière chose, chère lectrice de navarre et picardie, je vais t’éviter vachement de i-peine et te délivrer le bestiaire vernaculaire des futures subjectivités qui t’attendent si un jour tu t’installes dans cette arche de Noé peu ordinaire.
(par ordre d'apparition)

Felis sylvestris catus carthusianorum (chat)

Passer domesticus (moineau)

Canis lupus familiaris inauratus investigator (chien)

Columbia livia (pigeon)

Carassius auratus captut leonis( poisson)

Corvus corax (corbeau)

Serinus canaria (canari)

Sciurus carolinensis (écureuil)

Rattus norvegicus (rat)

Larus delawarensis et argentatus (goélands multiples zé variés)

Lasius niger (fourmi)

Canis lupus familiaris (chien)

Mephitis mephitis (mouffette)

Tegenaria domestica (Araignée)

Vulpes vulpes (renard)

Canis lupus familiaris terra americana staffordshire (clébard)

Felis sylvestris catus (minou, minou…)

Boa constrictor (ok, ok…)

Orytctolagus cuniculus (t’as cru que c’était séxuel, hein ? avoue ! ben, non, c’est juste un lapin)

Musca domestica (une putain de mouche)

Mus musculus (souris, la grise)

Vespula germanica (la guêpe… aïeuu !)

Larus ridibundus (mouette, ha, ha, ha...)

Pan troglodytes (Cheetah ungawa… Daktariiii...)

Strix varia (chouette)

Coccinella septempunctata (une costinelle, quoi, comme dans Minuscule)

Papilio polyxenes asterius (papillon)

Procyon Lotor (raton laveur)

Canis latrans (coyotte)

Sus scrofa domesticus (porc)

Equus mulus & asinus & Caballus(mulet & âne & chevaux)

Regulus satrapa (roitelet)

Calliphora vomitoria (mouche bleu)

Grus canadensis (grue)

Lasionycteris noctivagans (chauve-souris)

Oncorhynchus mykiss (truite)

Apis mellifera (maya l’abeille)

Pandion haliaetus carolinensis (balbuzard)

Periplaneta americana (blatte yankee)

Danaus plexippus (papillon)

Aedes stegomyia aegypti (moustique)

Tegenaria duellica (araignée, un grosse)

Narceus americanus (mille et une pattes)

Ardea cinerea (héron)

Marmota Monax (devine ! la marmotte)

Diadophis punctatus (couleuvre)

Libellula quadrimaculata (libellule)

Ursus americanus (nounours)

Lampyris noctiluca (ver luisant)


Pfiioouuu... 
Sans dec, c'est énorme ; je vais rendre le bouquin à Titi, mais il est déjà commandé.
Sur mon bureau dans quelques hecto-secondes... À vous le soin.


Corvus corax




je vous demande de croasser...