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dimanche 26 octobre 2014

Le Bonheur, désespérément, André Comte-Sponville

«Qu’est-ce que je serais heureux si j’étais heureux !»
Woody Allen

Voila, tout est dit dans cette citation reprise en quatrième de couverture.

L’ami Dédé se méfie de l’espérance et, là où Spinoza voyait une puissance dans le désir, lui, n’y voit qu’une souffrance, la brûlure du manque qui ne peut dégénérer qu’en lassitude ou déception dès lors qu’il est comblé.
La sagesse sera donc dans cet entre-deux, entre désir et ennui, chercher à être heureux de ce que l’on possède déjà, de ce que l’on fait et de ce qui est ; parier que le bonheur est un acte désespéré à renouveler à chaque instant, un peu comme la perte d’équilibre permanente qui préside à la marche d’un bipède comme toi et moi.

Il faut donc trouver un équilibre entre la recherche forcenée d’un idéal, par définition inatteignable et générateur de frustrations, et la simple et honnête jouissance de ce que l’on fait et de ce que l’on vit maintenant ; le plaisir et la joie plutôt que le désir et l’ennui.


Merci à l’ami Cricri pour ces béatitudes selon Saint Comte-Sponville.






 Sinon, y a toujours la chimie lourde...

vendredi 24 octobre 2014

Train de nuit pour Lisbonne, Pascal Mercier

Encore un coup de Nounours :
- T’as lu Train de nuit pour Lisbonne ?
- Heu… Non.
- Bon, écoute, je le met de côté pour la prochaine fois, il faut absolument que tu lises cela, c’est… c’est…
C’était la première fois que je le voyais chercher ses mots l’autre Cicéron :
 «’tain, me suis-je pensé en mon for intérieur - et oui, moi aussi j’ai un for intérieur -, ça doit “envoyer le bois” c’te affaire de Train de nuit pour Lisbonne !»
Je me le suis procuré sans attendre.

Ce qu’il y a de sûr, farang-tignous, c’est que tu ne ressortiras pas de ce livre indemne. Et d’ailleurs, ressortons-nous jamais de pareille lecture ?
J’en ai encore des étoiles pleins les yeux ! 

Ce livre est une grâce, un voyage dans le temps et l’espace, à la poursuite d’une ombre venue d’un passé portugais.
Une parfaite leçon de philo, une trajectoire balistique entre Socrate et Sartre ou Camus, disons.

Raimund Gregorius, depuis toujours prof assez falot de langues anciennes dans un lycée de Berne, va littéralement exploser en plein vol suite à une rencontre anecdotique impliquant une lusitanienne. Cézig va immédiatement éprouver un manque : un désir de “português”. Durant cette matinée fatale, il quitte abruptement ses cours, erre un moment dans Berne, entre dans une librairie de vieux bouquins et achète un livre en portugais. Là, c’est le drame, tout s’enchaîne : train de nuit, direction Lisbonne…
Une quête initiatique qui se déploie comme une explosion lente dans une Lisbonne détemporalisée, une version mélancolique du polar à étages ; flash-backs, histoires dans l’histoire, avec en fil rouge ce fameux bouquin du docteur-poète portugais Amadeu de Prado.
Mille temps, lieux, personnages qui se concrétisent par la patiente agrégation des morceaux d’un puzzle historique et métaphysique ; destins croisés dans les heures noires de la dictature de Salazar ; les bons, les salauds ; les hommes, les femmes ; les morts, les vivants ; les estropiés, les joueurs d’échec ; et aussi les mille simagrées du théâtre de la vie : intimité, amour, solitude, apparence, faux-semblants, dignité ou indignité...


Finalement, combien d’entre-nous se posent-ils les bonnes questions en attendant la mort ?


...
S’il est vrai que nous ne pouvons vivre qu’une seule partie de ce qui est en nous, qu’advient-il du reste ?
...


Je n’ai pas pu le lâcher pendant 432000 secondes (ok, ok, cinq jours), et pourtant il ne fait qu’à peine cinq cents pages ; te dire si ce fut une lecture attentive !

Merci à l’ami Pascal Mercier pour ce voyage entre jadis et maintenant, et surtout merci pour la leçon d’humanité.






Mefie-toi Marcel, j’en ai vu un monter sans billet....

samedi 18 octobre 2014

Exercices spirituels, Saint Ignace de Loyola

Texte définitif (1548)

Je me demande, des fois, quelle perversion me pousse à lire des choses pareilles ? !
Quelle est cette folie qui me possède, quelle est le nom de cette maladie, de cette addiction ? Une schizophrénie aiguë, peut-être ? Seul le Dieu des athées le sait, et quoi qu’il en soit je me suis glissé dans la bure de l’exercitant pour m’injecter ces Exercices dans la veine céphalique. 
Sans dec, ça fait un bail que j’y suis dessus ; ok, je n’ai jusqu’à présent pas réussi à faire les quatre semaines d’affilée, loin s’en faut, mais nombre des processus de mon hémisphère droit progressent, et je devrais bientôt commencer à léviter vers toujours plus de lumière et de grâce, malgré les quolibets de mon hémisphère gauche me serinant logiquement que je n’y arriverai pas, pour me décourager… Ah, quel salaud ! Quel gauchisse ! Quel nihilisse !

Avec ces Exercices spirituels, le gars Ignace, patron de la Compagnie de Jésus (ces enfoirés de Jésuites), donne un vade mecum extrêmement pointu dans sa folie de l’observance millimétrée. En fait il s’agit d’un guide pour moine-instructeurs, comment suivre, épauler, orienter d’autres religieux dans leur parcours en leur proposant un code de conduite organisé heure par heure en fiches, actions, additions, pensées et prières.

5ème exercice de la 1ère semaine
Le premier point est de regarder par l’imagination les feux immenses des enfers et les âmes prisonnières dans des sortes de corps enflammés comme dans des prisons.

Le deuxième : écouter par l’imagination les lamentations, les cris, les vociférations et blasphèmes qui en sortent contre le Chritz et ses seins… heu, Christ et ses saints.

Le troisième : par l’odorat imaginaire, bien sentir la fumée, le soufre et la mauvaise odeur comme de sentine ou d’excréments et de pourriture.

Le quatrième : goûter de la même façon les choses très amères, comme les larmes, l’aigreur et le ver de la conscience.

Le cinquième : toucher en quelque sorte ces flammes dont le contact brûle même les âmes.

S’entretenant entre-temps avec le Christ, il faudra se remettre en mémoire les âmes de ceux qui ont été condamnés aux peines de l’enfer ou bien parce qu’ils refusèrent de croire à la venue du Christ, ou bien parce que, bien qu’y croyant, ils ne rendirent pas leur vie conforme à ses préceptes.
[...]
On terminera en disant un “Notre Père”.
[...]
Quant au temps des exercices, il faut l’organiser de telle façon que le premier exercice se fasse à minuit, le deuxième au matin dès que nous sommes levés, le troisième avant ou après la messe alors qu’on n’a pas encore déjeuné, le quatrième vers l’heure des vêpres, le cinquième une heure avant le souper. Cette distribution du temps est constante pour les quatre semaines[...]
...

Pfiou...
A force de vouloir une chose, on finit parfois par l’avoir et si c’est quand même impossible, ben on la crée, cette chose ; plus trivialement dit, à force de pousser, tu finis par faire caca dans ta culotte. C’est ce qu’ont toujours fait les fous de Dieu, à force de vouloir que Dieu existe, ils en créent un, ces cons ! Ch’te dis pas l’état de nos falzars, après, avec toute cette divine merdasse qui nous dégouline dans les Convers(™) ; floc, floc…

Je comprends bien cependant, que cette chose, cette perversion magnifique, cette propension à préférer le magique au réel, à croire à ce qui n’est pas et à tuer le doute, nous est quasi-génétiquement liée depuis que l’homo a endossé le costard de sapiens, et, si l’on veut bien que le rire nous différencie des animaux, alors on peut bien plus sûrement poser comme axiome que cette capacité à éprouver le sentiment de dieu nous singularise définitivement du reste du vivant, de Gaïa.
Susciter et codifier du surnaturel est notre marque de fabrique.

Au nom du Chritzmeu.


yannick-g.over-blog.com

huitième addition :
M’abstenir complètement du rire et des paroles qui provoquent le rire.

jeudi 16 octobre 2014

Napoléon et les femmes, Guy Breton

Tome VII de la série 
"Les histoires de fesses de l’histoire de la France".

Ah, l'ineffable Guy Breton, l’historien du trou de serrure.

Encore une fois le Padre Hugo m’a mis à l’épreuve. J’ai dû beaucoup pécher car à la suite de ma dernière confession auriculaire, il m’a cruellement infligé un acte de contrition et deux pénitences : Napoléon et les femmes et Napoléon et Marie-Louise.
- Va mon fils, finit-il par conclure tout en remballant son service trois pièces sous sa bure, et n’oublie jamais qui est le dabe, ici !
Et je ne sais toujours pas s’il parle de lui ou de l’Autre...

Napoléon vu du côté braguette, donc.

Ben, mon salaud, le nain priapique Napoléon a eu plus de maîtresses que Louis XV, François 1er et Henri IV réunis, dis-donc ! Et nous ne parlons là que des maîtresses consentantes, quoi qu’il y ait quelques cas où le consentement leur soit venu après ; après le viol… Car oui, qu’il soit Premier Consul ou empereur, le nabot mafieux viole, et il viole abondamment, sur un coin de canapé, au détour d’un couloir, sur un tapis ; je ne te raconte pas la vie du petit personnel féminin qui croisait ses trajectoires impériales.
Il a sévi de la quéquette dans toutes les cours européennes, dans toutes les grandes maisons de toutes les capitales, il a tout troussé, des princesses, des boniches, des filles de familles, des filles sans famille, avec ou sans mari… Toutes, toutes ! Partout, il avait toujours l’outil à la main.
Ah, l’enfoiré ! On se demande quand il a pu trouver le temps de mettre des branlées à toutes les armées d’europe et nous pondre le code Napoléon.

Rien, cependant qui ne m’ait rendu ce salaud de Don Napoléone plus sympathique… Je persiste à ne pas aimer les chefs de gangs mafieux, même quand ils sont corses et libidineux.

Padre Hugo, je vous remercie nonobstant de m’infliger ce cilice redoutable… plus qu’un !

© Tintin chez les corses


… Je… Je… Oh mon Dieu, il va la... la…

mardi 14 octobre 2014

Le moine, Matthew G. Lewis

Je viens de comprendre que mon book-dealer du marché dominical de Saint Aubin (Toulouse.con), est la proie d’un tropisme assez singulier : en effet, Nounours ne jure que par le roman gothique. Je l’avais mal pigé, il y a quelques années, quand il me refila sous la cape “Manuscrit trouvé à Saragosse”, de Jean Potocki, l’oeil attentif à repérer d’éventuels espions bulgares qui auraient pu intercepter cet échange hautement radioactif, tout en marmonnant dans mon oreille : “ Regarde ce que je t’ai mis de côté, fils… Chut, ne discute pas et prends-le !”.

Et voila que le week-end dernier il me refait le coup avec Le Moine de Lewis !
- Tiens, fils, j’ai un truc pour toi, tu comprends, je préfère que ce soit toi qui le lise…
- Hum, Le Moine ? Je l’ai déjà lu et…
- Malheureux, tu as sûrement lu celui d’Artaud, il a trop exagéré le côté érotique, non, le vrai Moine, c’est celui de Lewis... Tiens, je te le fais à quatre euros.

Le bouqin étant en réalité à quatre euros cinquante ; je lui ai refilé cinq balles. Moi aussi je connais mes protocoles du don et contre-don…

Cela étant et comme d’hab, cet amoureux des livres avait raison (il a toujours raison !), ce Le Moine de Lewis est une “tuerie”, diraient des âmes plus juvéniles ; écrit en 1796, on voit bien qu’il a fait des petits, celui de Artaud n’étant pas le moindre, et si on a un peu lu, on voit aussi qu’il a fait école, qu’il a fait genre, pour le meilleur et pour le pire, et ne cherche pas plus loin que Dan Brown pour le pire…

L'estraordinaire de ce livre se révèle dans la subtilité d’un récit à la Cervantes qui se déplierait peu à peu dans l'incongruité et le malaise d’une nouvelle d’Edgard Poe ou une poésie du Comte de Lautréamont ; comme si tu glissais d’un Précis de l’histoire monastique aux moments les plus atroces des Chants de Maldoror, disons.

Rien de surnaturel cependant au début, l’Espagne de l’Inquisition et juste le sublime moine Ambrosio, le parangon de vertu monastique, le rigoureux confesseur de ces dames de la haute ; la star du Christian-business du Madrid des années dix-sept cent et quelques. Un homme (?) qui possède la dessiccante force d”âme d’un fou de Dieu, inébranlable dans sa foi... et pourtant il va succomber à Mathilde, le faux moine, la tentatrice, le truchement de Lucifer, et il va glisser vers toujours plus de mal et de vice, tendre vers toujours plus de turpitudes existentielles ; maltraitances, viols, meurtres, et finalement il vendra son âme au diable… et s’en trouvera fort marri. Car, oui, le diable existe, et tout cela finira pour le pire au milieu des spectres, des nones sanglantes et des démons de l’Enfer !

La chute d’une âme qui se croyait vertueuse et pensait être protégée de la tentation par la plus sévère observance de son credo. Faut croire que tel n’était pas le cas, et l’ami Ambrosio ne tarda pas à se rouler dans la fange du sexe et du rock&roll en commettant les pires exactions qu’il soit possible de perpétrer à l’encontre de jeunes et pures jeunes filles.
Frère Ambrosio eût pu avoir une brillante carrière chez les sales cons de Boko Haram, sans problème.

Encore merci à Matthew G. Lewis et, bien sûr, à l’infernale sollicitude du Roi des Bouquinistes de St Aubin.

©le marginal magnifique





Que le cul te pèle et que le diable te patafiole...

samedi 11 octobre 2014

Sur le jadis, Pascal Quignard

Dernier royaume, Tome 2

L’incroyable balade dans l’univers du Dernier royaume se poursuit.

Tu sais déjà mon amour pour ce qu’écrit l’ami Quignard, farang-homininae, je l’ai suffisamment panégyriqué il y a peu, et point n’est besoin de cacher que c’est la brute néo-darwinienne de Jean-Claude Ameisen qui nous mit le nez dedans, dans le jadis... car cette épopée du Dernier royaume est plus particulièrement articulée (désarticulée ?) autour du temps… vaste sujet encore une fois ! Et ne pense surtout pas que le jadis s’apparente au passé, c’est bien plus complexe que cela, bien plus fractal, tripal.

Bien sûr, je te laisse le soin de t’immerger dans cet univers déstructuré, dans cette intuition a-temporée faite livre. C’est surtout extrêmement beau, esthétiquement sis entre philo et poésie.

Dans cette deuxième “folie douce”, Pascal Quignard nous a donc particulièrement fragmenté le passé et il te sera loisible de devenir un pro de “l’aoriste” ; tu comprendras très vite que le jadis est au passé ce que la haute voltige est au rase motte : une construction ontologique, aérienne et esthétique ; un réflexe métaphysique de la mémoire qui fait sens.

Cela étant, je comprends bien que la parole de Quignard vient de plus haut, qu’elle est altimétrique, et je sais surtout que je ne la capterai jamais qu’à ma mesure, et ne rêve pas, tu ne feras pas mieux, car à force de déconstruction, Pascal Quignard réinvente une façon de raconter l’odysée de l’Homme.

Comm’ça, puisé au hasard :


L’indépendance d’esprit, sur cinquante mille ans de guerre perpétuelle, est une grâce sans cause.
...
La vie d’un homme peut toujours être autre, et meilleure, et plus intense, et pire, et plus brève.
...
Les poissons sont de l’eau à l’état solide.
Les oiseaux sont du vent à l’état solide.
Les livres sont du silence à l’état solide.
...
De même que les crocodiles ont vu périr les dinosaures, les hommes âgés qui survivent encore au début du XXIe siècle ont assisté à l’extermination de l’humanisme.
Larmes de crocodile des plus jeunes.
...
L’usage du passé simple est ce sel mystérieux qui parvient à saler le sel.
Le parfait lève l’absence.
Temps qui est un hallucinogène.
Présence accélérante. Il naquit à… Il vécut dans… Il mourut à… Finitude athée du passé simple. L’imparfait est plein de revenants.
Pas de refrain possible dans l’inachevable, dans le sans fin.
*
L’imparfait enfantôme tout. Le parfait tue. Le temps parfait est parfaitement sans retour. La modalité crue, cruelle, blanchissante, dessiccante du temps.
*
Le passé simple monte dans le corps comme une crampe sexuelle. C’est une espèce de roideur mêlée de lumière. Il va crescendo, pousse à la saccade.
Le style saccadé de César, de Paul, de Denon, de Flaubert.

On est d’accord, c’est exigeant et superbe.

Un bouquin que je réserve à ce cher D. C., l’ami de toujours, the poète, car je sais que son âme de baladin goûtera l’amertume de cette liqueur…





Fabrication du jadis...

mercredi 8 octobre 2014

La ferme des animaux, George Orwell

Comment est-il possible ?
Comment ai-je pu laisser passer une merveille pareille ? Ah, je te vois ricaner, toi la hyène érudite, la méduse lettrée : 
- Putain, ça la fout mal pour un kosmonaute agricole, non ? penses-tu en ton for intérieur - car je te sais fort de cet endroit-là -, et je te l’accorde, tu peux ricaner trois secondes de plus…
- Gnarg, Gnarg, Gnarg…
- STOP ! ...
Cela dit, peut-on avoir lu la Révolution d'Octobre sous toutes les plumes que tu voudras ; être l’exégète (auto-proclamé) de toutes les Internationales socialistes sises entre le paléolithique supérieur et le Congrès de Tours ; avoir ahaner amèrement sous le joug de Marx et Engels ; presque compris comment escroquer l’intelligence de son prochain à l’aide de la dialectique matérialiste, il est vrai  épaulée par une pratique consciencieuse des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola ; et nonobstant, avoir raté “La ferme des animaux”, de George Orwell ? ! Cette pure critique du stalinisme en particulier, et de toutes les autres vilaines choses en “ismes” en général.

J’en suis à me demander ce que j’avais réellement compris de 1984…

Un acte de contrition s’impose :
Mon Dieu, j'ai un très grand regret de Vous avoir offensé, parce que Vous êtes infiniment bon, infiniment aimable et que le péché Vous déplaît. Je prends la ferme résolution avec le secours de Votre sainte grâce de ne plus Vous offenser, de faire pénitence... et de relire 1984 à la lumière tyrannique de cette “sus scrofa domesticus-story”.
Amen, ‘tain !

Ok, ok, je vois que tu t’énerves, farang-accidentogène, alors voila finalement le topo :

La Ferme du Manoir c’est la terre sacrée de la Sainte Russie sur laquelle triment les animaux prolétaires depuis toujours. Les exploiteurs capitalistes sont les humains, en l'occurrence les Jones.
Bon, un beau matin, Sage l’Ancien, un très vieux cochon, rêve d’une révolution qui mettra à bas l’intolérable domination des hommes et libérera les animaux de la ferme. Là on tient notre Karl Marx. Ensuite tout s’enchaîne ; surgit rapidement un Staline (c’est vrai, je te le concède, l’étape Lénine est zapée) qui déclenche et mène la Révolution ! Bastons, bagarres, mauvais coups et voila nos animaux vainqueurs.  
Il y a toute la nomenklatura ; Staline c’est le cochon Napoléon, les membres du politbureau étant les autres cochons. Bien sûr, à l'instar de Staline qui avait son Trotsky fiché dans le pied, Napoléon à son Boule de neige coinsaresse entre les sabots, et ça commence sérieusement à le chauffer… il va sévir ; va y avoir des purges, des procès de Moscou, de la manipulation éhontée du peuple (les moutons, les poules, les oies) via Brille-babil, la réécriture de l’histoire et des commandements originaux… tout le cirque, ch’te dis ! C’est incroyable tant ça colle à l’historiographie stalinienne ; j’ai même reconnu Beria dans un des neuf molosses… Brrr.

Sous préteste d’un petit fabliau animalier, Môssieur George Orwell (baptisé Eric Blair en 1903), décortique de façon terrifiante la mécanique de la mise sous tutelle de la majorité par une minorité bien organisée, sanguinaire et décidée.

Une pantomime glaçante, un conte fulgurant sur l’éternelle mauvaiseté des cochons de toutes obédiences…

Merci, George.





Neurf… Neurf… Fais bien gaffe ma Pougne, les chats on les pêle, on leur met un long bâton dans le cul, et on les fait cuire à la broche… Miam, miam...

dimanche 5 octobre 2014

Le parlement des invisibles, Pierre Rosanvallon

L’historien sociologue de gauche, Pierre Rosanvallon initie ici une campagne de salut public avec la collection “raconter la vie”.

Avec son “le parlement des invisibles” l’ami Pierre souligne la distance qu’il existe désormais entre le citoyen et son représentant et il propose de mettre un coup de projo sur les petites gens, sur les sans grades, sur la multitude des pue-la-sueur qui ne trouvent plus leur compte dans le consensus démocratique et ne sont plus considérés qu’en tant que variables d’ajustement.

Il redonne ainsi la parole à ceux qui l’avait perdu et restitue une parcelle de citoyenneté aux ilotes d’en bas, tant il est vrai que se raconter c’est vivre.

Reste maintenant à entendre toutes ces paroles : le site est .

C‘est dans l’esprit de ce que faisait Plon avec son admirable “Terre Humaine”, en plus light cependant.

Il s’agit donc de faire témoigner le peuple, cette entité protéiforme qu’une certaine gauche aimerait bien refonder.

Vaste programme, et la dream-team de raconterlavie.fr à raison, il serait temps d'ouvrir les yeux avant que tout nous pète à la tronche...



Photo: EPA



Laissez venir à moi les petits nenfants…

Le Royaume, Emmanuel Carrère

Mon cinquième Carrère : mêm’ pas mal !

Un Carrère au sommet de son art avec cet Évangile selon Saint Emmanuel.

Ah, il possède son sujet, le bougre ! Tu vas en connaître un rayon sur les débuts du Royaume, farang-pharisien, et si tu es malin - hélas, je sais que tu ne l’es pas -, tu vas en profiter pour réviser ton Nouveau Testament, et, de fait, tu vas certainement réaliser que tu avais par trop négligé “Les actes des apôtres” ou les épîtres de l’ami Paul.
Cela dit, c’est un rusé le Manu, la religion, le christianisme, il y a goûté, plus même, il a eu la foi, jadis, mais ouf, c’est un esprit fort, bien éduqué, logique, intelligent et tourmenté, ça ne pouvait pas durer - je suis même surpris qu’il ait eu un regain d’activité cagoularde dans sa vingtaine - car la religion instillée de façon informelle durant nos enfances des années 50-60 ne survécut que rarement aux premières branlettes ou, dans quelques cas plus aigus, aux premières boumes… 
Mais, bref !
Cette relecture minutieuse et terriblement personnelle des textes fondateurs du christianisme offre des perspectives vraiment très plaisantes si tant est que tu fasses le tri entre ses récurrentes turpitudes sinon narcissiques, du moins existentielles, et la longue, minutieuse et judicieuse enquête qu’il mène sur les acteurs de cette incroyable saga des chrétiens du premier siècle.
Deux personnages sont dans sa focale : Paul et Luc.
Paul, il le raconte de l’extérieur, son chemin de Damas, ses fureurs, ses excès, sa part de ténèbres, c’est un personnage nécessaire mais qui reste à distance.
Luc, me semble-t-il, c’est son favori, c’est l’écrivain, le romancier, le double identifiable du Manu ; c’est lui, son point de vue, sa porte d’entrée dans toute cette histoire.
Les autres, les apôtres historiques, les Pierre, les Jean, les Jacques and Company ne sont que des paysans cagots, menés par un gourou départemental illuminé qui délivre un message ultra-révolutionnaire et donc incompréhensible : aime ton ennemi, heureux les imbéciles, les pauvres et les tordus, la fin du monde est pour demain, ceci, cela...
En somme, tous les arguments d’une petite équipe qui joue en troisième division et qui n'intéresse que son canton. Du petit plomb  finalement, car à ce moment là et en ce lieu, cette petite et turbulente colonie de l’Empire Romain, cette peuplade d’irréductibles fous de Dieu, est abondamment pourvue en Messies, guérisseurs et autres prédicateurs strictement passionnés par d’étranges et nouveaux credo millénaristes, par des observances singulières de la religion juive ; et à cette équipe, cette micro secte proto-lévinassienne, il lui manquait un Aimé Jacquet, un entraîneur du calibre de Paul pour la hisser au niveau de la Champions League de la Pax Romana, pour l’extraire du régionalisme barbare des coupeurs de prépuces, de Jérusalem et de ses environs, et surtout, il lui fallut Luc. Ah, Luc ! L’érudit grec, le lettré, la caisse de résonance, l’organisateur de la com, le Séguéla des années 50. Il a fallu à cette sous secte juive ces deux catalyseurs, Paul et Luc pour finalement faire flores. Et quelle victoire, 20 siècles plus tard, l’équipe est toujours en championnat !
Tout comme google, le tiercé ou Apple, quand elles naissent, ces conneries là, tu ne sais pas si elles migreront de la rubrique "fait divers" à la pub "pleine page" des nouveaux paradigmes culturels.

...
Résumons :  c’est l’histoire d’un guérisseur rural qui pratique des exorcismes et qu’on prend pour un sorcier. Il parle avec le diable, dans le désert. Sa famille voudrait le faire enfermer. Il s’entoure  d’une bande de bras cassés qu’il terrifie par des prédictions aussi sinistres qu’énigmatiques et qui prennent tous la fuite quand il est arrêté. Son aventure, qui a duré moins de trois ans, se termine par un procès à la sauvette et une exécution sordide, dans le découragement, l’abandon et l’effroi. Rien n‘est fait dans la relation qu’en donne Marc pour embellir ni rendre les personnages plus aimables. À lire ce fait divers brutal, on a l’impression d’être aussi près que possible de cet horizon à jamais hors d’atteinte : ce qui c’est réellement passé.
(pages 556-557)


Incontestablement, là, le Manu, il a fait fort ! C’était très très judéo-chrétien… un régal évangélique…



©Melancholia


Promis, juré, craché, la fin du monde c’est pour 2034...