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mercredi 26 février 2014

La cruauté, Michel Erman

Essai sur la passion du mal. 

Là, on est loin de Lévinas, mon chéri ! On est plutôt à l’école Hannah Arendt.
Le Michel t’explique que tu es intrinsèquement méchant, que ton petit corps est bourré de cruor et de sanguis, mais que ce n’est pas grave car telle est ta nature. Le père Rousseau peut toujours aller se rhabiller!
Nous sommes tous mauvais naturellement, la réification de son prochain, la chosification de l’autre, tout ça nous est parfaitement familier depuis toujours, et, selon les circonstances, tu pourrais bien te réveiller dans la peau d’un salaud de première, petit scarabée. Et cela nous permet à tous d'exister, d’exercer la violence, de quelque nature qu'elle soit, avec la meilleure légitimité du monde, avec sinon une extrême jouissance, du moins une parfaite bonne conscience… Ça fout les boules de se reconnaître à travers les saloperies de l’histoire !
Y t’esplique tout, ch’te dis, l’ami Michel Erman ; on est baisé camarade, du début à la fin.
T’inquiète, Freud, Lacan, Pol pot, Staline, Nietzsche, Caligula et Copé (heu… chuis pas sûre pour cézigue) sont invités, tous les héros des temps modernes et anciens apportent leurs touches à la tapisserie finale, à l'infâme boucherie dans laquelle nous nous complaisons depuis la nuit des temps car, finalement, le pouvoir échoit toujours au plus méchant, à celui capable d'infliger la plus grande douleur.


Cet essai sur la passion du mal est implacable et laisse à penser que la noirceur qui est en nous à gagner de toute éternité, qu’il faut se résigner au darwinisme de la méchanceté, à l’état de nature… Dieu préserve !


- Et bien non, il n’y a pas de fatalité à la violence !
- Et pourquoi ? demanda l’autre.
- Parce que de glorieux ancêtres en sont déjà passés par là et nous ont montré le dur chemin que celui qui se prétend humain doit emprunter ; pour ma part je retiendrai juste cet extraordinaire raccourci salvateur de Camus :
« Un homme, ça se retient ! »


Merci de nous avoir si magistralement dessiller, ami Michel.
Merci, vraiment.

(Ça, Lady Gé, c'est un sujet de Kultur'Gé par excellence, maman le met dans le prochain colis...) 




Secouez-moi ! Secouez-moi ! ...





Pourquoi est-il si méchant ?
Paaaarskeuuuu !!!
 

mardi 25 février 2014

L’univers des Tontons flingueurs, Philippe Lombard

Le décodeur du film culte

Avant toutes choses, farang-JDRiste, sache que c’est Patrice-la-tremblote qui m’a refilé ce blot, et ça, c'est pas la joncaille à monsieur tout-le-monde ; c'est là qu'on reconnaît un vrai fourgue. Ouais, entre deux dialyses péritonéales et une orchidectomie (couillectomie) qui s’infecte méchamment, le vieux Patriçounet a encore des ressources ; il est toujours capable de flairer une bonne piste, de dégoter des gibiers inespérés… c’est un roué, il a de la bouteille et de la fierté le bibard de l'Union, faut pas trop déconner avec cézigue quand il se pointe enfouraillé dans ton Club House, un bouquin (approvisionné, armé) en pogne.
Bon, ch’t’explique :
Il arrive, il se gare comme une merde pile en face du portail d’Olive, pénètre dans ton logis en claquant les portes, invective la bonne ukrainienne et donne des coups de pieds dans le chien allemand (heureusement, il n’y en a pas !), puis, il te chope à la surprise, dans ton antre, il te plaque ce livre sur le burlif, il garde la main gauche appuyée dessus, pose sa main droite sur ta clavicule gauche éberluée (et oui, vous êtes face-à-face), vrille son regard d’acier dans le pâle cloaque oculaire qui te tient lieu d’organe de la vision et te déclare d’une voix solennelle mais légèrement asphyxiée :
- Lis ça, fils ! heuf, heuf, heuf…
Pis y s'casse, dis-donc, because un rendez-vous urgentissime avec quelque divinité de la proctologie ! Il disparaît, comme ça, dans un tourbillon de matière noire pétrochimique à peine baryonique, et quand tu sors encore éberlué dans la rue, il ne reste plus qu’Olive, devant son garage qui demande :
- C’était qui l’enculé garé devant chez moi ? Regarde, y a des flaques de cambouis partout !

Putain, c’est pas facile de fréquenter plus vieux que soi ! Nous avons tous une pensé pour Sainte Patriçounette, qui se l'appuie quotidiennement !

Ceci dit, la chose qu’il a laissé sur le bureau est un véritable pot de miel. Un petit pot, certes, mais soixante minutes de bonheur ne se refusent pas par les temps qui courent (où courent-ils, d’ailleurs, ces enfoirés ?).

C’est très bien fait, agréable, très instructif et bien sûr bourré d’anecdotes.
J’ai, par exemple, découvert l’origine de la fâcherie entre Michel Audiard et Albert Simonin. Bébert, lui, est un véritable écrivain, un pue la sueur du porte-plume et un maître de l’argot du Paname des années cinquante, tandis que le Michou m’appert plutôt comme une danseuse, il virevolte de périphrases en entrechats, de pointes en métaphores, façon mousse et pampre, une petite fée clochette avec un égo digne d’une star du show-biz.
De toutes les façons, à m’ment donné, tout le monde c’est fâché avec Audiard … c’est un signe, non ? Et cela n'enlève rien à son génie.

Quoi qu’il en soit, c’était super, merci cher Patrice à moi que j’ai…



Le mexicain



Chez moi, quand les hommes parlent, les gonzesses se taillent...

dimanche 23 février 2014

Confessions d’un taoïste à Wall Street, David Payne

C'est le livre d’une monstrueuse giration !

Tu vas cheminer tout au long de la jante de la grande roue du Tao, padawan-juvénile, en parcourir toute la circonférence sur tes deux pieds, à cheval, en voiture, à genoux, sur les dents ou sur les tendres et encore fragiles écailles de ton ventre de jeune dragon, et Sun I sera ton cicérone durant toutes ces interminables et douloureuses reptations !
Qui est Sun I ?
Sun I est un jeune prêtre taoïste chinois qui a passé les vingts premières années de sa vie au monastère Ken Kuan perché sur une falaise rocheuse des contre-forts de l’Himalaya, près des sources du Yang-tsé, dans le sud-ouest du Szu-ch’uan, à un petit jet de pierre des champs de pavots du Yunnan, et qui part à la recherche de son daron, Eddie Love, ex-pilote de guerre devenu un grossium de Wall Street. La pérégrination littéraire subséquente sera sinon initiatique, du moins longue  de 1119 (mille cent dix-neuf) pages !
Un voyage total, mortel, des sources du Yang-tsé aux berges polluées de l’East River, un tour de roue, une révolution sous le signe du Yi king, le livre des mutations… Du Tao au Dow Jones, du fin fond de la Chine à l’extrême pointe du Wall Street des années 70 ; un holocauste de l'innocence sur l’autel des vanités du dieu dollar.
Il y a du Servantes et du Borges, du Wolfe et du Lowry dans ce livre univers. Un festival de baroque et tu vas en apprendre un max sur l'étrangeté radicale du taoïsme !

Trois cents pages après, Sun I débarque à New York. 
L'ascension va être fulgurante et le juif Aaron Khan délivre sa parole au petit scarabée taoïste.
Un des personnages les plus importants, Aaron, un maître et un ami :
(au passage je te laisse juger du "style" David Payne)
Je vais t’expliquer : fais passer un Wasp à la moulinette de l’éducation libérale occidentale : tu auras beau ajouter gousses d’ail et poignées d’épices, le résultat sera toujours une bonne potée yankee ; fume un juif, tu obtiendras immanquablement un filet de poisson ratatiné. Inutile de t’apitoyer, personne n’y peut rien. C’est ça, la gravité du sang. Un “Juif assimilé” ressemble à un poivrot qui a cesser de boire, petit. Il reste alcoolique et mortifie simplement son désir d’alcool. Même chose avec le Chinois ou le nègre. Tu peux l’éduquer, arrondir ses angles, passer une couche de peinture blanche sur ses mauvaises manières : impossible d’éliminer la noirceur de son coeur. Ça te paraît raciste ? Ça ne l’est pas. Le monde serait peut-être plus paisible et plus harmonieux, mais à mon avis il deviendrait sacrément plus emmerdant si chaque juif était une Jessica et chaque nègre un Oncle Tom. Et si c’est le mot “nègre” qui te gêne, alors laisse-moi te dire que l’homme noir n’a pas le monopole de l’indignation vertueuse. Le jour où le mot “juif” sera débarrassé de toutes connotations péjoratives, alors nous serons tous de gentils youpins et d’adorables nègre, heureux comme la vermine dans un sommier, et toutes les épithètes injurieuses se métamorphoseront en termes affectueux. Mais, en attendant ce jour, je parlerai de nègres, et on pourra bien me traiter de youpin.
... 
(c'est tout simplement bon, non ?)

Le petit scarabée va bien apprendre toutes ces leçons, peut-être au prix de son âme.
Le taoïsme appliqué aux équations qui gouvernent la bourse.
Attention les yeux, ça va faire mal. Le texte de l’ami David suit le chemin de l’eau, il s’insinue partout, bouche tous les trous, tous les creux ; l’amour, le fric, le jeux, la bouffe, la mémoire, la trahison ou la folie ; c’est d'une irrésistible complétude. 

Sun I, pauvre petit prêtre… tu t’es bien défendu, tu aurais mérité de gagner, mais malgré toutes tes compromissions il était certain que les T-Rex de la finance ont les écailles plus dures que celles des jeunes dragons ; point de salut pour le petit scarabée car le poison œdipien d’Eddie Love, l’image du père, était là depuis le début.

David Payne est certainement un des plus grands ‘stylistes” de la littérature amerloque, c’est éblouissant et toujours surprenant sur plus de mille pages, une véritable machine à laver épistémologique, si tu t’y risques, t’en sortiras... essoré.

Je sais, l’année est encore jeune, mais c’est le bouquin qui m’a offert la semaine la plus fiévreuse d’icelle ; chuis exténué, plus qu’une loque taoïste sur une rive bourbeuse de l’East River !


Un défaut cependant, et de taille : c'était trop parfait.
Et un conseil (pour ce qu'il vaut) : si vous croisez ce livre, fuyez, pauvres fous !





Hé, toi, le petit blanc,
ouais, toi avec l’œil noir,
ben, je te demande de cesser de me renifler le cul...




mercredi 19 février 2014

Au temps de l’Aiglon, Guy Breton

Histoires d’amour de l’Histoire de France (t. 10)

L’ami Hugolin est une crapule ! Je voyais bien que depuis quelques mois il tournait en rond, il ne trouvait plus rien d’un peu singulier à me faire lire ; j’ai fini tous ses Boudarluche, tous les Audiard, c’est même son complice Michou qui m’a dealé le Rocheford de la semaine dernière. Mais le Hugo n’avait pas dit son dernier mot, il a sa fierté le bigre. Le voila-t-y pas qui se pointe dans mon burlif avec cette chose en pogne et un méchant sourire vicelard sur la trogne : “Et çà, t’as jamais lu, hein ?”...

Va pour cette Histoires d’amour de l’Histoire de France (t. 10).

En gros il s’agit de l’Histoire de France sous le signe de la fesse. La majeure partie de ce tome est consacrée aux frasques putassières de ce gros con de Louis-Napoléon et aux influences diverses mais invariablement nocives de l’Impératrice Eugénie.
1853, mariage de Louis-Napoléon Bonaparte avec Melle Eugénie de Montijo, donc.
Un couple très mal assorti ces deux là. Lui a la libido carrément surgonflé tandis qu’elle ne conçoit la chose que très catholiquement. De fait, l’Empereur n’aura tout au plus que trois maîtresses par jour tout au long de son règne ! T’ai-je précisé, farang-priapique, que la donzelle Eugénie est d’une jalousie à faire pâlir le premier Othello venu ? Je te laisse supposer les fâcheries continuelles ; ça devait voler bas les assiettes et les invectives chez les Bonaparte. Le petit personnel en aurait eu des choses à raconter...
Cette Eugénie était une vraie teigne, une guerrière de salon et entre autres vilenies, c’est elle qui pousse l’autre bonasse de Louis-Napoléon dans l’expédition désastreuse du Mexique. Te dire s’ils étaient éclairés ces bougres là !

Ensuite on continue avec un court passage sur les femmes de la commune, les viragos des faubourgs ; Louise Michèle est à peine évoquée ; très déçu mézigue, je commence à me douter que l’ami Guy Breton n’était  pas un féministe convaincu, pour le moins.

Et on finit avec toutes les gonzesses des gross’ têtes du début de la IIIe République. Les légitimes (ou non) des Chambord, Thiers, Gambetta, etc.

Mouais...

Malgré les anecdotes savoureuses et les détails piquants, déchiffrer l’Histoire avec ce genre de binocles me laisse assez dubitatif (Desproges a déjà expliqué… pour dubitatif) ; chuis pas convaincu par la démonstration. Et d'ailleurs, y en a-t-il une ? Tout au plus un éclairage, nécessaire, certes, certes...
Faudrait bien reluquer le pedigree de l’ami Guy ; est-on bien sûr qu’il n’a rien fait sur les OVNI ?

Sans aucun doute vais-je très prochainement acheter les deux omnibus de cette série mais je vais surtout attendre que l'ami Hugo se reprenne, et me surprenne à nouveau avec des choses moins Lacaniennes, plus… aériennes.


El bandator





Je vous demande de débander...








dimanche 16 février 2014

Peur noire, Harlan Coben

Des années que je n’avais pas remis un oeil dans un Harlan Coben.

T’inquiète, faranga-Célina, j’ai eu ma période, il y a dix piges je sautais sur tous les bouquins de l’ami Harlan, sur tous les Michael Connelly aussi.

Je le piste depuis les années 90 à l’aimable héros des temps moderne Myron Bolitar, l’ex-basketteur au genou pété. Rappelle-toi qu’il en a démêlé des embrouilles vicieuses, des intrigues sanglantes et des tours de putes qui se tissent dans le milieu du basket américain de haut niveau.
Ce Peur noire s’inscrit sous le signe de la thérapie génique. Une course contre le temps ; oui, il faut sauver un petit nenfant qui a besoin d’un don de moelle osseuse et figure-toi que le seul candidat possible est un putain de tueur en série…

Il n’a pas fini de cavaler le Myron, jusqu’à la dernière page !

Du Harlan Coben, quoi, c’était parfait, comm’ d’hab’.


Merci à l’estimable Caelina (V2.0), égérie Oscardienne de nos piles TCP-IP.




DessiNAteur!





Luke, ich bin dein Vater...

samedi 15 février 2014

Wakefield, Nathaniel Hawthorne

Quelle folie me pousse à acheter des choses de cette sorte ?

Ben, figure-toi, farang-amazonien, que mon dealer américain (fiscalement basé en Irlande) me propose des sortes d’addenda, des listes additionnelles connexes à mes commandes. En l’occurrence, l’autre jour, j’achetais le Bartelby de Melville, et le gentil corrélateur d’événements - tout droit issu de la silicon-valley - qui scrute ultra-libéralement toutes mes envies, m’a immédiatement proposé un blot de trois bouquins : qui plus outre le Melville, et pour une modique poignée de dollars en sus, il m’était loisible d’affurer ce Hawthorne et, tiens-toi bien, un indispensable Gogol. Ouais mon cadet ! Ah, y sont forts les mecs d'en face ! Et que crois-tu qu’il arrivât, hum ? Si fait moussu, tu ne vas pas tarder à t’appuyer un commentaire sur Gogol. Je sais, je suis un misérable, dès qu’il passe une connerie qui flatte le côté qui me gratte, ben je cède, je suis la victime de mes tropismes sinon ontologiques, du moins consuméristes ; j’achète !
C’est grave, docteur ?


Bon, j’rigole, hein ? En fait, chuis très contente de ce Wakefield, une aimable demi-heure, et le corrélateur sus-nommé avait raison, on est toujours dans l’hypothèse du pas de côté. Bartelby entre dans une résistance passive presque inimaginable tandis que Wakefield ose un hiatus de vingt ans.
Je t’esplique : le gars Wakefield, jeune bourgeois pépère des années 1830, femme, boulot, appart en ville, simule un court voyage de quelques jours, embrasse sa femme, lui dit “à samedi, chérie” et se casse… à deux pâtés de maisons de là et va passer vingt piges à vivre juste à côté de chez lui. Il assiste au deuil de son épouse, la croise même une fois à la messe, dix ans plus tard, et nous le quittons juste au moment où il se décide enfin à rentrer chez lui, sur le seuil du domicile conjugal.
Très, très singulier le matelot Wakefield, non ?


Ceci dit, 3,10€ pour à peine quarante-quatre pages, ça situe cette affaire au delà de la faute de goût, là ça frôle l'enc... heu,  bref, on s'est compris.

€v€nt corr€lator



Je vous demande de cesser de m’encorréler...

jeudi 13 février 2014

Ce genre de choses, Jean Rochefort

Au fil de la plume avec Rochefort, l’éternel jeune homme facétieux.

On volette, on papillonne avec bonheur dans quelques aimables péripéties qui ont jalonné sa belle vie. On frôle, croise et recroise les amis du conservatoire, les Bébel, les Mariel and Co.
On se régale gentiment, par petites touches. Et impossible de se défaire du style Rochefort, farang-équinophage, tout le bouquin en est saturé : 

L’amant de la femme que j’aimais demanda à me voir, rendez-vous chez Prunier, il commanda discrètement des ormeaux. Je m’assis face à lui, le choix de vin blanc me fit admettre que cet homme aux yeux verts serait définitivement mon devenir, nous parlions peu, cela ne nous gênait pas. Nous évitâmes l’un et l’autre l’insolence du rire, j’évitais de regarder ailleurs quand il régla l’addition.


Jeannot, on t’entend parler quand on te lit, on est au ciné ; on te voit !

Tout cela est écrit avec beaucoup de tendresse et de lucidité, avec toujours ce petit côté délicieusement précieux du mot choisi qui caractérise l’image que l’on s’est faite du bonhomme de films en pièces de théâtre.

Une couple d’heures très agréable. Bravo l’artiste !


Merci à Michou, mécano officiel de la Lison, et fourgue littéraire occasionnel (à ce propos, Michou, ça fait au moins trois semaines que je n’ai pas vu la queue d’un Charlie Hebdo).



Don Jeannot



Je vous demande de ne pas manger Rossinante...

mercredi 12 février 2014

En finir avec Eddy Bellegueule, Édouard Louis

Pfiou ! Quel bouquin mon cadet !
Ah, il n’a pas pris des pincettes l’ami Ed, il assaisonne joliment l’Homme du Picardie.

Il est cependant nécessaire de souligner qu’il ne fait pas bon traîner dans l’arrière pays de notre douce France si t’es homo, noir, juif ou arabe ; rappelle-toi que le siècle des lumières n’a pas fait que des émules, loin s’en faut.
Ceci dit, je me demande si tu ne l’as pas fait exprès d’être homo en plein pays des macho-prolos, avoue ? Y aurait-y pas un peu de provoc de ta part, hein ?

(Te fâch’ pos, Ed, j’déconne…)

Écoute-moi bien, Ed, je me demande si la question “Est-ce que Édouard Louis sera un grand écrivain ?” n’est pas devenue obsolète dès la parution de ce “En finir avec Eddy Bellegueule” ? Je n’ai pas lu ton truc sur Bourdieu, mais là tu casses la baraque mon grand ; c’est réaliste, poignant, humain, formidablement vivant et surtout t’as bien pigé que l'essentiel c’est de savoir quand s'échapper.

Cependant  laisse-moi te dire que j’ai rarement vu un mec franchir l'abîme existentiel qui existe entre le milieu “ultra-prolo” et la catégorie “bobo” sans y laisser sinon son âme, du moins une grosse poignée de plumes. Ouais, t’as fait une sacrée enjambée avec ce bouquin, t’as pété le miroir ; au passage, je rassure immédiatement tous les branleurs d’Hallencourt (80441, la Somme), t’as des couilles en ciment mon cadet, t’es un putain de vrai mâle, mec. Que tes anciens bourreaux homophobes en soient convaincus. Mais, j’ai aussi parcouru quelques articles du Courrier Picard ; y sont pas très contents de tout ça, là-bas, à Hallencourt, ta daronne ne décolère pas ! Je pense hélas que tu n’en as pas encore fini avec cet enfoiré d’Eddy Bellgueule.
(Au passage, je t’ai vu en photo dans l’Express, une vraie tête de gendre !)

Pour en finir avec toi, Ed, j’espère qu’avec cette catharsis tu auras un peu purgé la haine qu’il est légitime que tu aies ressenti à l’encontre des hommes trop simples qui t’ont fait du mal et que tu garderas un peu de commisération envers la bêtise crasse de ces pauvres hères qui sont presque encore nos frères...

Et paraphrasant l’autre qui s’inventa berlinois, je déclare ici  : ich bin ein homosexuell… et pour celles qui en doutent, sachez, aimables créatures, que je suis bien plus homo que Kennedy n’était berlinoise.

Encore bravo, fils, c’était superbe et je n’ai pas pu m’empêcher de penser au non moins excellentissime “Vie animale” de Justin Torres en te lisant. 



Ed
 


Homo sapiens-picardia…

lundi 10 février 2014

Bartleby le scribe, Herman Melville

"Une pure figure du neutre" a dit Adèle van Reeth, l’autre matin sur France-Cul en parlant de ce bouquin. C’est beau, non ? C’est normal, il s’agit d’Adèle van Reeth, elle est phisolophe après tout, et elle en a plus oublié sur la question que t’en a jamais appris, pauvre farang-picard.

Tout le monde, ou presque, connaît l’histoire de Bartleby ; un employé aux écritures, récemment embauché dans une étude (de notaire ?) et dont l’employeur est parfaitement satisfait, du moins au début, va brusquement se mettre à refuser toutes les tâches qu’on lui demande avec la célèbre phrase : I would prefer not to, qu’on peu traduire par : je préférerais ne pas (le faire).

Évidemment, il ne s’agit pas d’un refus, on ne dit pas non au conditionnel, quand on dit non, c’est non !
Là, c’est plus subtil que le refus il s’agit plutôt de résistance.

- Faites ceci, Bartleby.
- Je préférerais pas.
- Faites cela, Bartleby.
- Je préférerais pas.
Etc.

Sans compter que cet animal de Bartleby commence à influencer ses collègues, qu’il squatte son bureau même la nuit. Bref, il devient un parfait poids mort.
Bien sûr tout cela finira très mal, mais l’aimable Melville crée avec ce personnage le premier Gandhi de la littérature, un homme dont la seule force est juste d’être là, d’occuper pacifiquement l’espace et le temps, et qui se consumera dans un comportement de passivité mortifère ; un résistant absolu au changement, doté d’une incompétence structurelle à participer à quelque mouvement brownien que ce soit. Il renonce à tout sauf à être là, figure d’une présence exsangue et dé-concernée, n’offrant plus aucune prise à ce que nous nommons la raison.

Ce texte de 1853 éveille obligatoirement toute une théorie d’échos plus contemporains voire très actuels comme la résistance passive de Gandhi, les seetings des indignés, les occupations d’usines, les nuits à l'hôtel du cul tourné, etc.
En fait cela concerne tous les individus, qu’ils aient lu Melville ou pas, qui sont capables d’assumer les conséquences de cette phrase : I would prefer not to 

Un pur exemple de la puissance de l’inertie, donc.

Et ce n’est pas fini car en dernière partie de cette petite gourmandise, comme la cerise sur le gâteau, disons, un (trop) bref résumé de la vie de Melville écrit par Jean-Philippe Jaworski… Oui mon cadet, Fifi him self !
Un truc à te donner une furieuse envie de lire une très bonne bio de l’ami Herman.

Bravo noble et aimable Jean-Phi’ip, cela dit j’espère que toutes ces activités connexes ne t’empêchent pas de te concentrer sur les onze “branches” restantes des Rois du Monde, hein ?  Nous trépignons…

Quoi qu’il en soit, merci à vous tous, Herman, Adèle, Jean-Phi, pour cette petite merveille.







Je vous demande de résister...

dimanche 9 février 2014

Le Mode interrogatif, Padgett Powell

roman ?

Une réflexion ?
Une auto-fiction oulipienne ?
Un monologue interrogatif et ethno-centré sur la condition de l’homme américain des années 2000 ?

Comment ne pourrait-on répondre implicitement à toutes ces interrogations ?
As-tu compris qu’il s’agit d’un récit en creux et que ce qui importe ici n’est pas tant la série apparemment décousue des questions que les réponses automatiques qu’elles suscitent ?
Es-tu convaincu que l’ami Padgett Powell ne fait que parler de lui et que la nature de ses questions le défini singulièrement ?

Est-ce, comme moi, le vieux Bill qui t’as poussé dans cette extravagance ? Combien de temps as-tu mis pour le lire ? Et d’abord, as-tu pu le faire en une ou deux passes, comme on le fait généralement avec des ouvrages de cette taille ?
Et comment peut-on ressortir intact de 232 pages entièrement écrites sur le mode interrogatif ? Hum ?

Veux-tu savoir comment ça commence ?
Vos émotions sont-elles pures ? Votre sang-froid est-il réglable ? Quel est votre point de vue sur la pomme de terre ? Devrait-on encore dire Constantinople ?
...

Et comment ça fini ?
Fournir des efforts pour s’entretenir suppose-t-il de se représenter sa propre Mort ?
Vous partez ? Vous pourriez ? Cela vous dérangerait ?


As-tu remarqué comme on se sent désorienté, après, dès que l’on reprend un livre “conventionnel”, quelles difficultés jusqu’alors insoupçonnées il a fallu surmonter pour que l'absence d’un point d’interrogation en fin de phrase ne soit plus considérée comme un manque, un inconfort ?

Ceci dit, remercierai-je jamais assez le trop rare Spiralweb-man pour cette agonistique pictophanie de points d’interrogations ? Ou peut-être le maudirai-je pour m’avoir mis la tête à l’envers ?

Hum ?




Vous demanderai-je de vous exclamer ? …