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dimanche 23 février 2014

Confessions d’un taoïste à Wall Street, David Payne

C'est le livre d’une monstrueuse giration !

Tu vas cheminer tout au long de la jante de la grande roue du Tao, padawan-juvénile, en parcourir toute la circonférence sur tes deux pieds, à cheval, en voiture, à genoux, sur les dents ou sur les tendres et encore fragiles écailles de ton ventre de jeune dragon, et Sun I sera ton cicérone durant toutes ces interminables et douloureuses reptations !
Qui est Sun I ?
Sun I est un jeune prêtre taoïste chinois qui a passé les vingts premières années de sa vie au monastère Ken Kuan perché sur une falaise rocheuse des contre-forts de l’Himalaya, près des sources du Yang-tsé, dans le sud-ouest du Szu-ch’uan, à un petit jet de pierre des champs de pavots du Yunnan, et qui part à la recherche de son daron, Eddie Love, ex-pilote de guerre devenu un grossium de Wall Street. La pérégrination littéraire subséquente sera sinon initiatique, du moins longue  de 1119 (mille cent dix-neuf) pages !
Un voyage total, mortel, des sources du Yang-tsé aux berges polluées de l’East River, un tour de roue, une révolution sous le signe du Yi king, le livre des mutations… Du Tao au Dow Jones, du fin fond de la Chine à l’extrême pointe du Wall Street des années 70 ; un holocauste de l'innocence sur l’autel des vanités du dieu dollar.
Il y a du Servantes et du Borges, du Wolfe et du Lowry dans ce livre univers. Un festival de baroque et tu vas en apprendre un max sur l'étrangeté radicale du taoïsme !

Trois cents pages après, Sun I débarque à New York. 
L'ascension va être fulgurante et le juif Aaron Khan délivre sa parole au petit scarabée taoïste.
Un des personnages les plus importants, Aaron, un maître et un ami :
(au passage je te laisse juger du "style" David Payne)
Je vais t’expliquer : fais passer un Wasp à la moulinette de l’éducation libérale occidentale : tu auras beau ajouter gousses d’ail et poignées d’épices, le résultat sera toujours une bonne potée yankee ; fume un juif, tu obtiendras immanquablement un filet de poisson ratatiné. Inutile de t’apitoyer, personne n’y peut rien. C’est ça, la gravité du sang. Un “Juif assimilé” ressemble à un poivrot qui a cesser de boire, petit. Il reste alcoolique et mortifie simplement son désir d’alcool. Même chose avec le Chinois ou le nègre. Tu peux l’éduquer, arrondir ses angles, passer une couche de peinture blanche sur ses mauvaises manières : impossible d’éliminer la noirceur de son coeur. Ça te paraît raciste ? Ça ne l’est pas. Le monde serait peut-être plus paisible et plus harmonieux, mais à mon avis il deviendrait sacrément plus emmerdant si chaque juif était une Jessica et chaque nègre un Oncle Tom. Et si c’est le mot “nègre” qui te gêne, alors laisse-moi te dire que l’homme noir n’a pas le monopole de l’indignation vertueuse. Le jour où le mot “juif” sera débarrassé de toutes connotations péjoratives, alors nous serons tous de gentils youpins et d’adorables nègre, heureux comme la vermine dans un sommier, et toutes les épithètes injurieuses se métamorphoseront en termes affectueux. Mais, en attendant ce jour, je parlerai de nègres, et on pourra bien me traiter de youpin.
... 
(c'est tout simplement bon, non ?)

Le petit scarabée va bien apprendre toutes ces leçons, peut-être au prix de son âme.
Le taoïsme appliqué aux équations qui gouvernent la bourse.
Attention les yeux, ça va faire mal. Le texte de l’ami David suit le chemin de l’eau, il s’insinue partout, bouche tous les trous, tous les creux ; l’amour, le fric, le jeux, la bouffe, la mémoire, la trahison ou la folie ; c’est d'une irrésistible complétude. 

Sun I, pauvre petit prêtre… tu t’es bien défendu, tu aurais mérité de gagner, mais malgré toutes tes compromissions il était certain que les T-Rex de la finance ont les écailles plus dures que celles des jeunes dragons ; point de salut pour le petit scarabée car le poison œdipien d’Eddie Love, l’image du père, était là depuis le début.

David Payne est certainement un des plus grands ‘stylistes” de la littérature amerloque, c’est éblouissant et toujours surprenant sur plus de mille pages, une véritable machine à laver épistémologique, si tu t’y risques, t’en sortiras... essoré.

Je sais, l’année est encore jeune, mais c’est le bouquin qui m’a offert la semaine la plus fiévreuse d’icelle ; chuis exténué, plus qu’une loque taoïste sur une rive bourbeuse de l’East River !


Un défaut cependant, et de taille : c'était trop parfait.
Et un conseil (pour ce qu'il vaut) : si vous croisez ce livre, fuyez, pauvres fous !





Hé, toi, le petit blanc,
ouais, toi avec l’œil noir,
ben, je te demande de cesser de me renifler le cul...




1 commentaire:

  1. Bien vu!
    Rien a ajouter ... j'en suis aussi sorti essoré!
    Jeangarou

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