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samedi 28 décembre 2013

Capitaine de vaisseau, Patrick O’Brian

Aubrey-Maturin, t. 2

Un navire infâme, la pire catastrophe jamais sortie des chantiers navals de Portsmouth, surnommée La faute du charpentier, le Polychrest, une sorte de baignoire dotée de deux proues, sensément compatibles avec le déploiement d’une nouvelle arme (qui tua  son concepteur) et hâtivement recyclé en navire ligne. Une “chimère nautique” bâclée et ingouvernable, et pourtant, rappelle-toi que Jack n’est pas le premier venu en matière de navigation, il préférerait se couper un bras que rater un changement de bord…

- Larguez le grand hunier et le grand hunier arrière. Écoutes de petit hunier bien au vent. Masquez le petit hunier ! Halez ce bras ! Réveillez-vous, là-bas, au gaillard d’avant ! Les boulines sous le vent, les boulines sous le vent !
Comme s’il s’enfonçait doucement dans un coussin, le Polychrest, s’immobilisa soudain - Jack le sentit sous ses pieds. Puis il se mit à reculer, sous l’effet conjugué de ses voiles d’avant et de son fardage.
- Brassez la grand-vergue et la vergue barrée. Sautez sur ces bras, maintenant !
Peut-être le navire n’aimait-il pas remonter le vent, mais avec son étrange proue effilée, il était très bon pour marcher à rebours. Jack n’avait jamais vu une telle culée.
- Huit et demi ! cria-t-on aux chaînes.
Il allait bon train. Brassées carré, les vergues étaient parallèles au vent, les huniers faseyaient. Il allait toujours plus loin. Le vent, maintenant, soufflait grand largue : logiquement, il aurait dû cesser de reculer. Ce n’était pas le cas. Il progressait toujours plus loin, avec une erre remarquable, dans la mauvaise direction. Jack fit servir les huniers et mit la barre au vent, mais le navire ne continua pas moins de glisser en arrière, en contradiction absolue avec tous les principes physiques connus. Pendant un moment, Jack vit vaciller toutes ses certitudes. Il croisa le regard consterné, sidéré, du premier-maître…

Oui, la vie de Jack la Chance se complexifie ; son Polychrest est un bâteau ivre et il commence à émaner un sale fumet de mutinerie de son équipage, son supérieur direct (l’amiral Harte) sachant qu’il l’a allègrement cocufié dans le tome précédant lui confie donc, par pure vengeance, des missions impossibles. De plus il est amoureux de la même femme que Stephen Maturin, son meilleur ami ; son banquier a fait faillite et il est pauvre comme Job, il doit du blé partout et tous les huissiers de Londres lui cavalent aux basques dès qu’il met pied à terre… pfff ! Tel est Jack, grand marin mais hélas piètre terrien.

Mais tu le connais ton Jack, farang-amariné, l’adversité le stimule, et le voila parti à l’assaut de la très dangereuse rade de Chaulieu avec sa maudite barcasse polychrestique. Ça va canonner, s’échouer, se dégager in extremis, aborder, conquérir, vaincre et couler dans une fureur cathartique et sanglante.

À l’abordage !
Monter. Jack bondit au milieu du roulis, il s’agrippa aux caps-de-mouton. Monter. Pas de filet d’abordage, nom de Dieu ! Les hommes se frayaient un passage, s’accrochant à tout ce qui leur tombait sous la main. L’un d’eux lui tira les cheveux. Monter, franchir la lisse, forcer la mince ligne de défenseurs - quelques piques, des fauberts, un mousquet qui détonna près de son oreille -, puis courir vers la plage arrière, l’épée au clair, le pistolet dans la main gauche. Droit sur le groupe d’officiers, en hurlant : “Polychrests ! Polychrests ! “, un essaim  compact d’hommes sur les talons, une bagarre étourdissante au mât d’artimon, une mêlée ouverte, des hommes luttant en silence, une violence sans merci, très brutale. Jack déchargea son pistolet, le jeta au visage de l’agresseur suivant. Babbington, à gauche, courut droit sur le canon d’un mousquet. L’éclair, la fumée. Il tomba. Jack se figea, vint s’interposer. Très violemment, il fit dévier le coup de baïonnette mortel - elle se ficha dans le pont. Il souleva son épée et la fit tournoyer, en y mettant tout son poids, toute sa force. Un terrible coup de revers qui trancha la tête du soldat…

Quatre cent soixante quatorze pages bâbord amures d’embruns iodés et vivifiants…



HMS Polychrest


Au nom du père, du fils et du Polychrest...

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