Encore
une preuve que les livres ne sont pas des objets inanimés comme les
autres, non, ils ont une âme, eux ! La dernière fois qu’un bouquin m’a
fait ça c’était il y a quelques décennies (hélas), quand j’ai ouvert
mon premier Proust. Si ce n’est pas le bon moment, si tu n’es pas prêt,
tu ne pourras pas le lire... faut la good vibration, ouais, c’est une
question de synchronicité. Si tel n’est pas le cas, si tu n’es pas au
niveau, tu n’entreras pas dans ce livre, il te manquera la clef. Bien
sûr, tu peux te forcer, mais là, ça devient un calvaire, pauvre farang,
c’est un sommet à escalader ; pas de répits, garder son attention
toujours en alerte, impossible de lire en diagonale, il faut rester
concentré phrase après phrase, et tu sais bien que la lutte est vaine,
que t’es déjà baisé et que le livre te tombera des mains. Résultat :
c’est un échec, c’est frustrant. T’es dégoûté et tu te venges sur le
premier polar venu... et t’essaies d’oublier.
Pffff... chienne de vie.
Nonobstant,
et là est la magie de la lecture, quelques années plus tard, souvent de
façon totalement inattendue, le bougre t’agrippe à nouveau. Lui n’a pas
oublié. Il te saute dessus au détour d’un dépoussiérage de
bibliothèque, d’un marché aux puces ou d’une amazonade. Tu le zappais
depuis trois, quatre, cinq ans - plus peut-être. Ton regard glissait
dessus, on n’aime pas se souvenir d’une douleur ; tu le niais et voila
qu’il ressurgit, phagocyte à nouveau ton réel et devient incontournable :
il faut recommencer l’escalade, encore et encore. Plaise à l’Autre que
ce soit le bon moment.
Et
bien cette fois c’était la bonne, cinq ans après ma première tentative
(avortée, tu l’auras compris), j’ai eu de la chance, c’était assez mûr,
et j’ai même pris du plaisir, passé le premier chapitre. Le moment
était là et si j’osais la métaphore, je dirais que nous sommes bien
emboîtés, Malcolm et moi.
De
plus, j’ai découvert un truc stupéfiant à cette deuxième lecture de
"Sous le volcan", je me suis aperçu qu’il était mieux de relire le premier
chapitre après en avoir terminé avec les onze autres, comme s’il
s’agissait du dernier, d’une sorte de conclusion, et là tout s’éclaire,
la ronde est bouclée et le livre est devenu naturellement circulaire, zodiacal.
Bref,
il faut se le tisser soi-même ce bouquin, en plusieurs passes... tout
en sachant qu’on ne sera jamais à la hauteur du mal que Lowry s’est
donner pour l’écrire. Question références, perdez tout espoir (ça
commence par Dante, d’ailleurs) car si vous n’êtes pas féru de
littérature Russe, Anglaise, Française, Américaine, de mythologie, si
vous ne vous rappelez pas bien ce qu’il se passait dans le Mexique des
années trente, si vous ne goûtez pas les mystères de la Kabbale, de
l’universalité du chiffre sept, du mythe de l’éternel retour, des amours
déchirées, de la nécessité de s’engager dans les brigades
internationales (guerre d’Espagne oblige), si vous ignorez tout du
théâtre élisabéthain ou si, plus prosaïquement, vous n’aimez pas le
mescal que l’on sert dans les cantinas, ben vous n’aimerez pas danser
sur ce volcan.
Yvonne, Geoffrey et M. Laruelle sont devenus nos amis
Je vous demande de vous méfier... des chevaux mexicains.
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