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samedi 29 novembre 2014

Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas

Comment dire ?
Comment ne pas se sentir péteux en refermant ce bouquin, si l’on a passé sa vie dans le mainstream de la fausse sécurité qu’octroie un bon CDI ; un job agréable, intéressant, correctement rémunéré, des collègues qui sont devenus des amis ; quand tes problèmes se réduisent au choix des tropiques sous lesquels tu iras te faire bronzer le zona ; ou si ta prochaine bagnole LOA sera blanche ou noire, und so weiter...
Bref, farang-moyennement-classé, comme moi, tu as peu goûté au néo-paradigme post-thatcherien JPv2 (Job Précaire version 2.0), et comme moi, tu n’es pas une femme en position “fragile”... Je te vois sourire ; qu’est-ce que tu crois, hein ? Que les caissières de l’Inter sont des mecs ? Qui passe nettoyer ton burlif, après dix-sept heures, un mec ou une nana ? Qui récure tes chiottes ou repasse tes calcifs, quand tu la joues chèque-emploi-service, un mec ou une nana ? Etc.
On l’a tous compris, à moins d’être très cons, dès qu’il y a du fragilisé, du foyer mono-parental, du cassant, du sous-payé, sous-estimé, de l'éhontément exploité, du précaire, la première rafale est toujours pour vous, les frangines ; dès qu’il faut trimer, sucer, récurer, jongler, encaisser, se démerder malgré tout avec les mômes et le frigo, c’est pour vos gueules, les filles. De fait, l’ami Florence nous en propose une remarquable observation avec ce livre.

Ouais, la Aubenas, elle a pris son courage à deux mains, son âge (presque cinquante piges), ses rides, son faux curriculum vitae, et s’est inscrite à l’agence Pôle emploi de Caen.
La donzelle s’est immergé dans la fosse des travailleurs pauvres : descente spiralée dans le sordidos, dans la misère, dans l’aléatoire, l’ubuesque. Même les mecs de Pôle emploi sont dans la focale de cette monstruosité ; la frustration et l’impuissance sont des deux côtés du guichet.
Entre sa première inscription à Pôle emploi et l’obtention d’un CDI, il se passera six mois de galère ; deux heures par jour à récurer les cabines d’un ferry de Ouistreham ; deux heures par semaine à décrasser les bungalows du camping local, et autres heures grappillées de-ci de-là, qui, au final, donnent des journées avec levé à 4:30 du matin et des couchés à 23:00, pour des tarifs qui frôlent les neuf euros brut de l’heure et quelques dizaines de bornes au compteur de la vieille caisse gourmande et capricieuse entre chaque morceau de boulot. Un monde ou le summum est d’être caissières en CDI ! Des CDI à moins de 50 heures par mois ! Ça existe, ‘tain !

On se croirait dans The People of the Abyss (1903) de  Jack London ; c’est terrifiant !
Hé, le prochain qui m’esplique, chiffres zé courbes à l’appui, qu’il faut que la supérette ou Jardi-Reich soient ouverts le dimanche, ou qu’on peut faire bosser des gens à cinq balles de l’heure, ben, j’y colle recta un bourre-pif !


Merci amie Florence pour cette gifle de réalisme, pour cette bouffée de mauvais parfum des gens qui galèrent. Merci Florence de faire ton boulot et même un peu plus, et d’être le témoin viscéral des forçats du post modernisme, ceux qui vivent aux aguets et dans l’inquiétude. 
Encore merci et bravo ; Le quai de Ouistreham ? À lire ab-so-lu-ment !

Et, bien sûr, une grosse bise (avec la langue) au vieux Patriçounet doré, l’indéfectible ami, l’intarissable source des lectures nécessaires, et cependant, l'inique bourreau de la gente Patriçounette argentée.


Marianne



Ah ! ça ira, ça ira, ça ira…

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