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samedi 24 mai 2014

La maladie de l’islam, Abdelwahab Meddeb

Ami Abdelwahab, je te connais, ou, du moins je ne te découvre pas avec cet essai ; tu fais parti des rares dont j’entends la voix quand je les lis. Ouais, figure-toi qu’il m’est très désagréable de te rater, le vendredi sur France Cul, quand les contingences s’en mêlent.
Au passage, farang-sottement-évangéliste, je te recommande fortement de glisser une oreille dans cette merveilleuse : Cultures d’islam… mais j’en reviens à ce livre écrit dans l'urgence après le désastre du 11 septembre 2001 :

Abdelwahab identifie parfaitement la maladie dont souffre l’islam ; elle est séculaire et devenue endémique, elle possède sa propre dynamique mortifère ; depuis Ibn Hanbal (780-855), en passant par Ibn Taymiyya (1263-1328), pour en arriver à Mohammed ‘Abd al-Wahhâb (1703-1792) on réalise, par le truchement de cette vision historique, la catastrophe que fut la lente plongée vers le wahhabisme et tous ses avatars (dont l’intégrisme dans l'acception qu’on lui prête ici et maintenant), nous assistons à l’extinction programmée des lumières de l’islam qui cèdent à la culture du ressentiment et de la haine ; haine de la poésie, du corps, du beau, de la femme, de l'autre et finalement de soi… la frustration érigée en système de valeurs politiques et religieuses. 

Un témoignage lucide sur ce désastre qu’est la faillite de la pensée, quand les mâles Alpha sont des malades mentaux et qu’ils prennent les manettes de nos pensées et de l'Histoire. Ils auraient pu réussir à conjurer leurs démons, nos frères en islam, rayonner sur le vaste monde, s’ouvrir ; ça doit être terrible à accepter cette obscurité actuelle, ce tropisme du repli.

Abdelwahab est un savant parfaitement bi-culturé, il nous entraîne dans une dialectique inter-civilisationnelle, un va-et-vient entre Kant et Ibn Taymiyya, entre Frédéric II et al-Kâmil, entre Ibn al-Muqaffa' et Voltaire ou Tocqueville ; un grand écart entre "orient" et "occident" ou, plus précisément, entre chrétienté et islam ; quelle agilité, quelle prise de perspective, quelle analyse, c'est étourdissant !

Et, bien qu’étant un constat amer sur la "défaite" de l’islam, ce livre est un objet nécessaire ; la pensée de Abdelwahab Meddeb devient une balise culturelle, son érudition force l’admiration.
Le discours est argumenté, clair, intelligent, pétillant et on comprend que l’islam du XXIe est en panne de nouveaux Avicenne ou Averroes !
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Il a manqué à l'islam un Dante qui se serait éveillé à l'audace de la pensée pour accompagner par son oeuvre écrite le fait politique tel qu'il s'est manifesté dans la réalité de l'histoire. Je rêve de ce génie que l'islam n'a pas suscité : il aurait présenté un pôle d'opposition à Ibn Taymiyya. (p 111)
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En appelant au retour à leur propre tradition, les agitateurs semi-lettrés oublient que l'échec démocratique à pour cause l'atavisme despotique qui est au fondement de la tradition qu'ils invoquent. (p 112)
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Heureusement qu’il existe encore des Malek Chebel et des Abdelwahab Meddeb  pour nous interpeller sur le fait que la culture islamique peut exister différemment, qu’elle a déjà été un phare de la sagesse et de la poésie à la mesure de l’homme et qu’il serait temps d’en ressusciter les feux… qui sait ? Toutes les étoiles du ciel de l'islam ne peuvent s'éteindre par la volonté d'une poignée de crétins maniaques, regarde la Tunisie actuelle ; peut-être le foyer de tous les espoirs ? ou peut être pas...


Encore une fois merci, ami Abdelwahab, pour cet essais totalement maîtrisé, d’une logique imparable, d’une plume savante, fine et dure comme une lame d’acier de Damas ; un réel plaisir d’apprendre et de comprendre cette savante leçon… une enquête formidable sur la puissance et la misère de ces millions de frères.


Qasim Amin (1865-1908)





Tahrîr al-Mar’a (la libération de la femme)...

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