Pages

dimanche 6 septembre 2015

Diderot ou l'enchanteur des Lumières

Tu te souviendras sûrement, farang figaro-ci, figaro là, qu’aux entours de l’an deux mil dix, le glorieux journal «Le Monde» fit paraître toute une série de bouquins phisolophiques et, gourmande comme je le suis, je ne manquais pas de me les procurer tous... Maintenant, je regarde ce mètre linéaire de papier cartonné en me grattant la tête : quand aurai-je le temps de lire tout cela ? Et ouais, tu te figures bien que malgré toute ma bonne volonté je n’ai jamais dépassé le stade d’amateur laborieux en ce qui concerne les «humanités» qui vont des pré-socratiques à Heidegger, mettons. Ça m'intéresse, bien sûr, mais chuis trop dispersé, je ne possède pas de méthode. Je fais des efforts cependant, et ne manque jamais de sauter sur l’occas dès qu’elle se présente. Tu te souviens que nous venons de déguster la sucrerie de Dame Sophie Chauveau, Diderot, le génie débraillé… Elle m’a méchamment donné envie de lire ce lascar ! Vite un coup d’oeil (celui qui n’a pas de cataracte) sur la bibli, et hop, hop, j’ai rempli mon caddy !
Bon, j’ai déjà lu «Jacques le fataliste» il y a une trentaine d’années ; peut-être y remettrai-je le nez ? En attendant on démarrera par cette compile du «Le Monde».

Plein de textes en fait, ça titre presque cinq cents pages quand même :

Pensées philosophiques
Diderot a été un maître des aphorismes...
XXVII
L’ignorance et l’incuriosité sont deux oreillers fort doux ; mais pour les trouver tels, il faut avoir la tête aussi bien faite que Montaigne.

Addition aux pensées philosophiques
… et il détestait les curés...

LVIII
Ce que ces atroces chrétiens ont traduit par éternel ne signifie, en hébreu, que durable. C’est de l’ignorance d’un hébraïste, et de l’humeur féroce d’un interprète, que vient le dogme de l’éternité des peines.

Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient
Cette publication lui vaudra la prison, car les censeurs de Louis XV ne s’y trompent pas, sa critique enfonce encore et toujours le dogme chrétien et les convenances…

[...] Car savons-nous ce que c’est que la matière ? nullement ; ce que c’est que l’esprit et la pensée ? encore moins ; ce que c’est que le mouvement, l’espace et la durée ? point du tout ; des vérités géométriques ? interrogez des mathématiciens de bonne foi, et ils vous avoueront que leurs propositions sont toutes identiques [...]. Nous ne savons donc presque rien ? cependant combien d’écrits dont les auteurs ont tous prétendu savoir quelque chose ! Je ne devine pas pourquoi le monde ne s’ennuie point de lire et de ne rien apprendre [...]

Addition à la lettre sur les aveugles
Trente ans après, il retouche sa lettre sur les aveugles…

Si la peau de ma main égalait  la délicatesse de vos yeux,  je verrais par ma main comme vous  voyez par vos yeux, et je me figure quelquefois qu’il y a des animaux qui sont aveugles, et qui  n’en sont pas moins clairvoyants.

Entretien entre D’Alembert et Diderot
Un dialogue imaginaire entre Diderot et D’Alembert. Ici, l’ami Diderot déploie toute son intuition, c’est vraiment l’homme d’un nouveau monde.

Diderot
[...] Nous ne faisons qu’énoncer des phénomènes conjoints dont la liaison est ou nécessaire ou contingente ; phénomènes qui nous sont connus par l’expérience ; nécessaires en mathématiques, en physique et autres sciences rigoureuses ; contingents en morale, en politique et autres sciences conjecturales.

D’Alembert
Est-ce que la liaison des phénomènes est moins nécessaire dans un cas que dans l’autre ?

Diderot
Non. Mais la cause subit trop de vicissitudes particulières qui nous échappent pour que nous puissions compter infailliblement sur l’effet qui s’ensuivra. La certitude que nous avons qu’un homme violent s’irritera d’une injure n’est pas la même que celle qu’un corps qui en frappe un plus petit le mettra en mouvement.

Supplément au Voyage de Bougainville
Un supplément qui devrait calmer tous les néo-pénitents friands de repentances et d’autoflagellations. Non, Diderot n’était pas raciste ; non il ne croyait pas à la supériorité de l’homme «blanc» et de son système de valeur. Il suffit de lire ce dialogue entre Orou, le vieux chef tahitien, et l’aumônier du navire de Bougainville ; c’est un procès à charge contre les us & coutumes de la société européenne du XVIIIe.


Diderot c’est l’archétype du chien fou dans un jeu de quilles ; affamé insatiable de la vie et précurseur de la modernité, c’est aussi et surtout notre Atlas qui porta son Encyclopédie sur ses vastes épaules envers et contre tous.
Si notre XVIIIe a été un phare de l’humanité, alors il y a un gros paquet de photons estampillés ©Denis Diderot qui nous en parvient encore !

Merci lointain et lumineux ami.



(Crédit photo: WTT/SIPA)


Diderot n’a jamais existé,
Dieu ne l’aurait pas permis...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire