Un des bouquins les plus intéressant de ce début d’été.
Faut aussi dire, frarang-juilletiste, que l’ami Jacques Le Goff est loin d’être un inconnu, on se souviendra non sans une certaine émotion de sa merveilleuse émission : « les Lundis de l’Histoire», sur Fr.Cul.
Que Père le garde en sa sainte gloire, ceci, cela...
Amen.
Bon, t’attends pas à un topo très fouillé sur le purgatoire dans ce commentaire car le bouquin fait bien ses cinq cents pages et est doté d’une taille de polices de caractères lilliputienne ! Un compilation phénoménale sur la création du purgatoire, un sommet d'érudition.
Je suppose que comme moi, tu pensais que le purgatoire avait été livré avec tout le reste du saint-frusquin primordial - Hadès, Enfer, Paradis, Nirvana, Sheol, und so weiter -, qu’il faisait parti du mode d’emploi eschatologique officiel dès le début, que tous ses paramètres avaient dû être parfaitement définis et validés une bonne fois pour toute par Père, Moi ou le Saint-Esprit !
Je suppose que comme moi, tu pensais que le purgatoire avait été livré avec tout le reste du saint-frusquin primordial - Hadès, Enfer, Paradis, Nirvana, Sheol, und so weiter -, qu’il faisait parti du mode d’emploi eschatologique officiel dès le début, que tous ses paramètres avaient dû être parfaitement définis et validés une bonne fois pour toute par Père, Moi ou le Saint-Esprit !
Ben, fifre, c’est nous les Zommes qu’on l’a inventé, ‘tain !
Ch’tesplique :
Jusqu’à l’an mil, mettons, le système judéo-chrétien de gratification métaphysique est binaire :
Ou t’es un enculé pour qui ça va pas mal, merci, et t'iras rotir en enfer, ou t’es un pauvre (Donn’ arrrgent, nourritur’, enfant malad’, etc.), et à toi les vierges du Paradis ; simple, clair et précis. Les Béatitudes disent «Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux, etc.», tandis que selon l’Évangile de Matthieu (XIX, 24) : «il est plus aisé pour un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille, que pour un riche d'entrer dans le royaume de Dieu».
Quand c’est manichéen, tout le monde comprend bien, c’est rassurant, y a pas trente six solutions : durant ta vie, ou tu te mérites l’Enfer ou tu te gagnes le Paradis !
Donc, et si tu suis bien, le purgatoire n’a pas toujours existé. Cet endroit improbable que Luther appelait «le troisième lieu» est une véritable création des hommes, dont on peu précisément retracer la genèse, et trouve sont public au XIIe siècle pour devenir ensuite une parfaite start-up des «indulgences» à partir XIIIe.
Alors, c’est quoi ce putain de purgatoire ? Enfer ou paradis ?
Enfer, bien sur, mais pas éternel, car même si tu y es pour un bail, au finish tu débouleras au paradis ! Tu saisis la nuance ? Par exemple, tu déconnes plein tube pendant ton passage en cette vallée de larmes, tu t’es éclaté dans une carrière d’enfoiré de Wall Street par exemple, ou, plus prosaïquement, tu as été chauffeur de taxi, ou conducteur de bus Tisséo, ou commandant de bord de la Compagnie (bip)-(bip), ou mécano de voiturettes sans permis, bref, si tu as exercé un métier de crapule, et ce sans tuer de façon certaine un de tes concitoyens, ben s’ouvre à toi une nouvelle option, un new deal, une troisième voie : la purgation. Bien sur, et au début, juste après avoir réglementairement calanché, t’en chieras un max, tu vas souffrir - normal, t'as quand même été un sale con de ton vivant - et tu ne t'étonneras donc pas que quelques diablotins facétieux viennent t’agacer le trou de balle au fer rouge, te dérouler quelques mètres d’intestins avec un croc de boucher, te faire sauter un œil ou quelques dents, mais au final, et après la consommation des siècles, tu seras sauvé, putain-con !
Pourquoi ?
Pasque dans ce nouveau système, les vivants peuvent racheter les tafiolades forts peu chrétiennes des ancêtres. Suffit de carmer ; faire des dons à l’Église, dire des prières et de consentir à quelques messes sonnantes et trébuchantes pour la rémission des péchés de l’aïeul sinon prodigue, du moins trop libéral quant à la doxa en vigueur de son vivant. Le mort était un vilain garnement promis à la géhenne, mais la piété de la lignée descendante va pouvoir le racheter… à hauteur de sa bourse !
(Génial le concept d’un au-delà de l’intermédiaire ; l'était fort le sapiens-sapiens occidental; si ça c’est pas du raffinement épistémologique, mon cadet !)
Après l’avoir presque formalisé, le plus coton fut de le localiser ce fameux purgatoire. Pour l’Enfer et le Paradis c’était assez simple : en haut et en bas, dessous ou dessus, mais pour avoir une idée précise et topographiquement réaliste du purgatoire il faut encore une fois attendre le génie de Dante (1307-1321 pour l’écriture de la divine comédie).
Il fallut nonobstant douze siècles de tâtonnements, du re-frigerium des premiers chrétiens de Rome, en passant par le récit de la passion de Perpétue et Félicité au IIIe, puis par les réflexions du très purgatoriste Pape Grégoire le Grand (7e siècle) en continuant par le purgatoire de St Patrick, en Irlande, pour que la chrétienté accouche de cette merveille d’ingénierie religieuse !
À la suite de quoi, ça y est , le capitalisme balbutiant a son vade mecum : le purgatoire, car le XIIe siècle c’est aussi l'essor des villes, des bourgeois, des artisans ; les balbutiements de la middle classe, celle qui plus tard mènera la contre-réforme…
L’établissement d’un concept pérenne du purgatoire sera la plus grande preuve de la plasticité de la religion chrétienne, et maintenant je comprends parfaitement ce que voulait dire l’ami Marcel Gaucher en affirmant qu'elle était la religion qui a permis la sortie de la religion. Il lui a fallut une souplesse peu ordinaire pour bousculer le dogme de cette manière, pour permettre cette ingérence formelle de l’homme dans les affaires du Très Haut, car avoir l’idée du purgatoire, c’est subodorer que notre sort n'est pas complètement défini, c'est supputer qu’il nous reste encore un échappatoire, un troisième lieu baroque et sotériologique...
De tout cela il en ressort que le purgatoire a été officiellement ouvert en 1254 par le Pape Innocent IV et que sa décision fut ratifiée par le concile de Lyon, 1274.
Merci ami Jacques Le Goff, c’était…
Ah, c’était incroyablement intéressant, une véritable épopée historiographique, et ça n'a pas pris une ride depuis 1981, date de parution.
Ah, c’était incroyablement intéressant, une véritable épopée historiographique, et ça n'a pas pris une ride depuis 1981, date de parution.
Je vous demande de prier pour moi,
et de me laisser votre numéro de carte bleu...
Du tout bon ce compte rendu!
RépondreSupprimer