Pages

dimanche 5 octobre 2014

Le Royaume, Emmanuel Carrère

Mon cinquième Carrère : mêm’ pas mal !

Un Carrère au sommet de son art avec cet Évangile selon Saint Emmanuel.

Ah, il possède son sujet, le bougre ! Tu vas en connaître un rayon sur les débuts du Royaume, farang-pharisien, et si tu es malin - hélas, je sais que tu ne l’es pas -, tu vas en profiter pour réviser ton Nouveau Testament, et, de fait, tu vas certainement réaliser que tu avais par trop négligé “Les actes des apôtres” ou les épîtres de l’ami Paul.
Cela dit, c’est un rusé le Manu, la religion, le christianisme, il y a goûté, plus même, il a eu la foi, jadis, mais ouf, c’est un esprit fort, bien éduqué, logique, intelligent et tourmenté, ça ne pouvait pas durer - je suis même surpris qu’il ait eu un regain d’activité cagoularde dans sa vingtaine - car la religion instillée de façon informelle durant nos enfances des années 50-60 ne survécut que rarement aux premières branlettes ou, dans quelques cas plus aigus, aux premières boumes… 
Mais, bref !
Cette relecture minutieuse et terriblement personnelle des textes fondateurs du christianisme offre des perspectives vraiment très plaisantes si tant est que tu fasses le tri entre ses récurrentes turpitudes sinon narcissiques, du moins existentielles, et la longue, minutieuse et judicieuse enquête qu’il mène sur les acteurs de cette incroyable saga des chrétiens du premier siècle.
Deux personnages sont dans sa focale : Paul et Luc.
Paul, il le raconte de l’extérieur, son chemin de Damas, ses fureurs, ses excès, sa part de ténèbres, c’est un personnage nécessaire mais qui reste à distance.
Luc, me semble-t-il, c’est son favori, c’est l’écrivain, le romancier, le double identifiable du Manu ; c’est lui, son point de vue, sa porte d’entrée dans toute cette histoire.
Les autres, les apôtres historiques, les Pierre, les Jean, les Jacques and Company ne sont que des paysans cagots, menés par un gourou départemental illuminé qui délivre un message ultra-révolutionnaire et donc incompréhensible : aime ton ennemi, heureux les imbéciles, les pauvres et les tordus, la fin du monde est pour demain, ceci, cela...
En somme, tous les arguments d’une petite équipe qui joue en troisième division et qui n'intéresse que son canton. Du petit plomb  finalement, car à ce moment là et en ce lieu, cette petite et turbulente colonie de l’Empire Romain, cette peuplade d’irréductibles fous de Dieu, est abondamment pourvue en Messies, guérisseurs et autres prédicateurs strictement passionnés par d’étranges et nouveaux credo millénaristes, par des observances singulières de la religion juive ; et à cette équipe, cette micro secte proto-lévinassienne, il lui manquait un Aimé Jacquet, un entraîneur du calibre de Paul pour la hisser au niveau de la Champions League de la Pax Romana, pour l’extraire du régionalisme barbare des coupeurs de prépuces, de Jérusalem et de ses environs, et surtout, il lui fallut Luc. Ah, Luc ! L’érudit grec, le lettré, la caisse de résonance, l’organisateur de la com, le Séguéla des années 50. Il a fallu à cette sous secte juive ces deux catalyseurs, Paul et Luc pour finalement faire flores. Et quelle victoire, 20 siècles plus tard, l’équipe est toujours en championnat !
Tout comme google, le tiercé ou Apple, quand elles naissent, ces conneries là, tu ne sais pas si elles migreront de la rubrique "fait divers" à la pub "pleine page" des nouveaux paradigmes culturels.

...
Résumons :  c’est l’histoire d’un guérisseur rural qui pratique des exorcismes et qu’on prend pour un sorcier. Il parle avec le diable, dans le désert. Sa famille voudrait le faire enfermer. Il s’entoure  d’une bande de bras cassés qu’il terrifie par des prédictions aussi sinistres qu’énigmatiques et qui prennent tous la fuite quand il est arrêté. Son aventure, qui a duré moins de trois ans, se termine par un procès à la sauvette et une exécution sordide, dans le découragement, l’abandon et l’effroi. Rien n‘est fait dans la relation qu’en donne Marc pour embellir ni rendre les personnages plus aimables. À lire ce fait divers brutal, on a l’impression d’être aussi près que possible de cet horizon à jamais hors d’atteinte : ce qui c’est réellement passé.
(pages 556-557)


Incontestablement, là, le Manu, il a fait fort ! C’était très très judéo-chrétien… un régal évangélique…



©Melancholia


Promis, juré, craché, la fin du monde c’est pour 2034...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire