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samedi 11 octobre 2014

Sur le jadis, Pascal Quignard

Dernier royaume, Tome 2

L’incroyable balade dans l’univers du Dernier royaume se poursuit.

Tu sais déjà mon amour pour ce qu’écrit l’ami Quignard, farang-homininae, je l’ai suffisamment panégyriqué il y a peu, et point n’est besoin de cacher que c’est la brute néo-darwinienne de Jean-Claude Ameisen qui nous mit le nez dedans, dans le jadis... car cette épopée du Dernier royaume est plus particulièrement articulée (désarticulée ?) autour du temps… vaste sujet encore une fois ! Et ne pense surtout pas que le jadis s’apparente au passé, c’est bien plus complexe que cela, bien plus fractal, tripal.

Bien sûr, je te laisse le soin de t’immerger dans cet univers déstructuré, dans cette intuition a-temporée faite livre. C’est surtout extrêmement beau, esthétiquement sis entre philo et poésie.

Dans cette deuxième “folie douce”, Pascal Quignard nous a donc particulièrement fragmenté le passé et il te sera loisible de devenir un pro de “l’aoriste” ; tu comprendras très vite que le jadis est au passé ce que la haute voltige est au rase motte : une construction ontologique, aérienne et esthétique ; un réflexe métaphysique de la mémoire qui fait sens.

Cela étant, je comprends bien que la parole de Quignard vient de plus haut, qu’elle est altimétrique, et je sais surtout que je ne la capterai jamais qu’à ma mesure, et ne rêve pas, tu ne feras pas mieux, car à force de déconstruction, Pascal Quignard réinvente une façon de raconter l’odysée de l’Homme.

Comm’ça, puisé au hasard :


L’indépendance d’esprit, sur cinquante mille ans de guerre perpétuelle, est une grâce sans cause.
...
La vie d’un homme peut toujours être autre, et meilleure, et plus intense, et pire, et plus brève.
...
Les poissons sont de l’eau à l’état solide.
Les oiseaux sont du vent à l’état solide.
Les livres sont du silence à l’état solide.
...
De même que les crocodiles ont vu périr les dinosaures, les hommes âgés qui survivent encore au début du XXIe siècle ont assisté à l’extermination de l’humanisme.
Larmes de crocodile des plus jeunes.
...
L’usage du passé simple est ce sel mystérieux qui parvient à saler le sel.
Le parfait lève l’absence.
Temps qui est un hallucinogène.
Présence accélérante. Il naquit à… Il vécut dans… Il mourut à… Finitude athée du passé simple. L’imparfait est plein de revenants.
Pas de refrain possible dans l’inachevable, dans le sans fin.
*
L’imparfait enfantôme tout. Le parfait tue. Le temps parfait est parfaitement sans retour. La modalité crue, cruelle, blanchissante, dessiccante du temps.
*
Le passé simple monte dans le corps comme une crampe sexuelle. C’est une espèce de roideur mêlée de lumière. Il va crescendo, pousse à la saccade.
Le style saccadé de César, de Paul, de Denon, de Flaubert.

On est d’accord, c’est exigeant et superbe.

Un bouquin que je réserve à ce cher D. C., l’ami de toujours, the poète, car je sais que son âme de baladin goûtera l’amertume de cette liqueur…





Fabrication du jadis...

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