Pages

samedi 20 février 2016

Souvenirs et solitude, Jean Zay

Il y a comme ça des gens qui forcent le respect, de parfaits honnêtes hommes qui mettent leurs discours en actes et dont la vie, même sous la loupe la plus intransigeante, reste parfaitement «exemplaire».
Exemplaire, voila bien le mot qui te restera, farang-milicien, après la lecture poignante de ce «Souvenirs et solitude».

Avocat, député radical-socialiste du Loiret à 27 ans, première fois ministre à 32 ans, puis ministre de l’Éducation Nationale dans le gouvernement de Léon Blum, il représentait tout ce que par la suite la crapule vichyssoise abhorra le plus : un agnostique, juif par son père, protestant par sa mère, ouvertement franc-maçon, ministre du Front Populaire, et farouche anti-munichois de surcroît.
Durant les quarante-quatre mois où il fut en charge du ministère de l’Éducation, on lui doit, entre autre, l’introduction de l’hygiène à l’école, de l'obligation d’y garder les enfants jusqu’à quatorze ans, de l’éducation physique, de l’orientation, de l’apprentissage, de la formation professionnelle, il crée aussi le CNRS, le Musée de l’Homme, le musée d’Art Moderne, le Festival de Cannes, l’ENA, etc., que ça mes cadets ! Ça laisse rêveur sur ce que peut un ministre combatif. 
La guerre étant là et par solidarité avec sa classe d’âge, il démissionne en 1939 pour rejoindre son bataillon en tant que sous-lieutenant ; c’est «la drôle de guerre» jusqu’en 1940.
Puis vient l’armistice ; il est un temps envisagé que le gouvernement se rapatrie à Alger et ses membres les plus hostiles à l’armistice, dont Jean Zay, Mendès France, Viénot et Wiltzer, entre autres, sont curieusement bloqués à bord du MassiliaW.
Arrestations, simulacres de procès, lourdes peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée (?) pour Jean Zay.  
1941, la prison du Fort Saint-Nicolas à Marseille, à la «dure», puis quelques mois plus tard, transfert à la Maison d’Arrêt de Riom, de laquelle il ne ressortira qu’en 1944, pour monter dans la voiture des trois sordides crapules fascistes : Develle, Cordier et Millou qui, agissant sur ordres de DarnandW, allèrent le flinguer dans le bois de Cusset, près de Vichy, et ensuite jetèrent son cadavre au fond d’un ravin surnommé “Le puits du Diable” !
Bilan de la guerre pour Jean Zay : quatre piges de celotte en sus des attaques permanentes de la plume fielleuse de Philippe HenriotW, et au bout, un 20 juin 1944, une rafale de mitraillette en travers du corps...

Heureusement pour le futur, c’était un homme d’écriture et pendant sa sordide incarcération, d’une plume sobre, très précise et talentueuse, il va tenir ce journal où s’entremêlent les événements factuels de sa pitoyable condition et les souvenirs de sa vie d’avant la guerre. Cette série de flash-back dans les coulisses du gouvernement du Front Populaire est tout bonnement passionnante et c’est la meilleure initiation qu’il soit possible d’avoir pour pénétrer dans les arcanes du gouvernement de combat que la France se donna en 1936.
Bien sûr, tu vas aussi en apprendre un rayon sur les conditions de vie des prisonniers de Vichy ; nature de ces derniers - les politiques, les droits communs, leurs habitus et autres tropismes induits par leur condition ; les us et coutumes des gardiens, des directeurs, leurs états d’âmes, leurs rigueurs ou bienveillances ;  bref, une parfaite étude sur le statut de prisonnier politique durant les «grandes heures» in Frankreich que, peu après, un Michel Foucault ne put ignorer en écrivant son «Surveiller et punir». 

Un livre remarquable d'un homme qui ne l'était pas moins et il est évident qu'un tel géant ne fera pas honte à la gueuse, notre chère République, si désormais il repose au Panthéon, n'en déplaise aux pisse-froid qui trouvèrent à y redire.

À lire et faire lire de toute urgence... 

Et surtout merci à l’ami Pariçounet, le noble papa putatif de ce livre qu’il me prêta.
Tout cela m’a donné une furieuse envie d’en savoir plus sur le Front Populaire...


Jean Zay, par Ernest Pignon-Ernest





Aux grands hommes la patrie reconnaissante...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire