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samedi 2 avril 2016

Vies de Spinoza, Colerus/Lucas

Depuis le temps que je navigue sur ce bateau ivre, il fallait bien que j’en arrive à Spinoza.
Bien sûr, il y a eu Montaigne et Descartes avant, mais c’est vraiment Spinoza l’étincelle qui précipitera l’embrasement de la fin du 17ème et qui fera briller tout le 18ème.
Je comprends désormais d’où Voltaire tira son Dieu de tous les êtres, tous les Mondes et tous les Temps, ce Dieu global et naturel, cette contingence sinon mécanique, du moins d’un déterminisme absolu qu’aucune obédience officielle de ces temps-là ne pouvait recevoir. Pour Spinoza, Dieu c’est la nature.
Oui, mais pourquoi, te demandes-tu, farang-cartésien, démarre-t-on par une biographie de Spinoza, alors que d’habitude, c’est l’oeuvre avant la vie d’un Grand Tomme ?
Faut bien que tu t’imagines que j’ai commencé par faire comme d’hab : j’ai exfiltré l’énorme compilation de Spinoza de ma bibliothèque, celle du Monde®, et je l’ai réglementairement démarrée, bille en tête… Ouille ! Pas facile à maîtriser la bécane spinoziste ; mille pages des plus exigeantes composées de trois textes fondamentaux : le “Traité de la réforme de l’entendement”, “Èthique”, et les “Lettres”…
Les cents premières pages, avec les notes, sur le Traité de la réforme de l’entendement (1670) m’ont convaincu que je n’étais pas prête pour vraiment suivre… Heureusement, j’avais prévu le coup : «Vies de Spinoza». Figure-toi que je n’ai pas trouvé de biographie véritable de Spinoza, son excessive modestie nous a privé des habituelles hagiographies qui entourent le vie des grands. Il existe cependant deux témoignages (d’où le “s” à “vies”) de ses contemporains qui donnent corps au personnage. Jean Colerus et le médecin Lucas firent témoignage. Les voici réunis dans ce livre des éditions Allia.

Baruch Spinoza naît à Amsterdam le 24 novembre 1632. Il est petit, brun de peau et de cheveux et d’une complexion chétive. Son père, juif portugais émigré à Amsterdam, le pousse à faire des études hébraïques sous la férule du rabbin Morteira. Baruch est doué ; trop, même, et il a 23 ans quand il est ignominieusement chassé de sa communauté en 1656 « au cours d’un rituel d’exclusion d’une exceptionnelle sévérité »… on imagine comme il dut casser les couilles aux rabbins de la synagogue pour être traité de la sorte ! C’est ça les petits génies, ça a réponse à tout, ça empêche tout le monde de prier en rond !
Il sera ensuite l’élève du sulfureux François Vanden EndeW, et pour survivre, il apprend le métier de polisseur de lentilles dans lequel il excellera et qui lui permettra de vivre libre et heureux. Il a surtout le temps de déployer sa pensée, de se perfectionner dans moultes sciences naissantes et d’influencer toutes les âmes libres de son époque. Son Traité théologico-politique, pourtant paru de façon anonyme lui apportera une réputation embarrassante et le convaincra de garder ses écrits pour lui. L’éthique ne sera publiée qu’après sa mort et tous les exemplaires seront brûlés peu après !

Dans le premier témoignage, le plus long, celui de Colerus, et on y apprend que les Lettres sont d’une importance capitale (merci), et il y figure quelques indications sur la façon dont fut reçu son Traité théologico-politique :
C'est un livre, [...], rempli de découvertes curieuses mais abominables, dont la science et les recherches ne peuvent avoir été puisées qu’en enfer. Il n’y a point de chrétien, ni même d’homme de bon sens qui ne doive avoir un tel livre en horreur ; l’auteur tâche d’y ruiner la religion chrétienne, et toutes nos espérances qui en dépendent ; au lieu de quoi il introduit l’athéisme, ou tout au plus une religion naturelle [...]
(Sieur Guillaume van Bleyenburg de Dordrecht)

Le deuxième témoignage, celui de Lucas est vraiment plus enthousiaste, on sent bien que ce médecin de La Haye aime son Spinoza, voici le fond de sa pensée :
...
Comme il n’épousait aucun parti, il ne donnait le prix à pas un. Il laissait à chacun la liberté de ses préjugés ; mais il soutenait que la plupart était un obstacle à la vérité ; que la raison était inutile, si on négligeait d’en user, et qu’on en défendît l’usage où il s’agissait de choisir. «Voila, disait-il, les deux plus grands et les plus ordinaires défauts des hommes, savoir la paresse et la présomption. Les uns croupissent lâchement dans une crasse ignorance, qui les met au-dessous des brutes ; les autres s’élèvent en tyrans sur l’esprit des simples, [...]

Bref, on cerne mieux la vie de cet authentique inventeur de la modernité. Ça permet de l’aimer plus à cet Einstein, et ça me donne du courage pour plonger dans L’éthique

Plouf !

Spinoza drawing by David Levine



Proposition XIII, Èthique II  
L’Objet de l'idée constituant l'Âme humaine est le Corps, c'est-à-dire un certain mode de l'étendue existant en acte et rien d'autre.

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