«Étape 2»
Farang réticulaire, as-tu jamais vu cette horreur s’afficher sur ta freebox «révolutionnaire» plusieurs jours d'affilée ? Non ? Alors prie Dieu car pour toi Il existe.
Dieu ? Pour un freenaute ordinaire c’est Xavier Niel, bien sûr. Chez moi il arrive par la prise téléphonique ; c’est un Dieu branché. Il envoie réglementairement sa data-purée au travers du rézo France-Télécom (hein ? Orange, si tu veux), et irradie ses sucs gastro-ondulatoires dans ma freebox Revolución, normal, je paye pour ça tous le mois ; ouais, Dieu à le goût du lucre. Gorgée des mégatbits de cette théophanie électronique, ma freebox redistribue ensuite toutes ces divines particules aux paroisses numériques de mon diocèse Balmano-bérichon ; TV-HD sur la télé de Santa Catarina, la Sainte Mère de mes enfants ; Wifi à gogo pour les portables des juvéniles de la nichée ; serveur et répondeur téléphonique pour les «sans-fils» Gigaset® qui répondent à mon 09 (zéro-neuf) ; c’est aussi des gigaoctets de photos floues qui engorgent le nass ; et c’est surtout les deux petites flèches - tête à queue - qui signalent à ma barre Ubuntu que je suis connecté avec Dieu, que mes e-avatars déploient ma sublime pensée dans maintes agoras sociales avant-gardistes et surtout, surtout, que j’ai accès à tous mes google-docs qui résident dans le cloud… Et oui, Dieu est aérien, il habite sur un nuage, tu le sais j’espère, et pour accéder à sa parcelle du divin nuage, chaque pénitent freenaute se doit de parcourir un chemin de croix (low-cost) composé de huit stations avec une lourde freebox sur l’épaule… souviens-toi de ton e-catéchisme, la crucifixion n’a lieu qu’à la onzième station ; chez free, on s'arrête à la huitième, quand Jean-Claude console les filles de Jérusalem.
D’abord ta freebox affiche l’Étape 1.
C’est une sorte de reconnaissance d’identité, une naissance électro-christique, disons :
« Bzzz… Sbling… Je m’appelle Jean-Claude, je suis le petit Jésus de la freebox, j’habite chez mon MAC à telle adresse, et c’est moi qui allume la lumière, qui charge les modules ADSL, qui fait tourner la petite chenille circulaire et ambrée, qui démarre les ventilos, etc.».
Bon, tu l’auras compris, farang-méticuleux, l’Étape 1 c’est la renaissance du Deamon qui anime ta freebox à chaque fois qu’elle reboote.
À l’Étape 2, le deamon de la freebox, Jean-Claude (J.C.), contacte le Saint-Esprit (Roger), qui se présente habituellement sous la forme d’un boîtier Télécom, sis sur ton palier ou dans ta rue, pour établir sa communication avec Dieu, son Père. Le Saint-Esprit se chargera ensuite du lourd protocole que représente un e-échange avec Dieu (Xav). En fait, le Fils (Jean-Claude, le petit Jésus de la Box, quoi… Putain, sois à c’qu’on te dit !), ne peut parler à son Père (Xavier Niel) que par le truchement du Saint-Esprit, tu vois le coup? Pourquoi faire simple...
C’est, bien sûr, un dialogue liturgique très technique qui démarre à ce moment-là et auquel tu n’entendras rien : seul un jésuite informaticien peut le décrypter. Ça ressemble à ça :
- Jésus-leader, Jésus-leader à Saint-Esprit, demande d’une liaison montante vers Lui, passphrase : «Les carottes sont cuites», je répète : «Les carottes sont cuites», etc.
Théoriquement, Le Saint-Esprit répond à Jean-Claude, toujours selon un protocole e-épiscopal assez abscons :
- Ron… Ron… Humf… Qu’est-ce qu… Hum… Roger. C’est toi Jean-Claude ?
- Ouais, sac à vin.. c’est Jésus-leader à Saint-Esprit, faut que tu m’passes le Dabe...
- Bon, Jean-Claude, arrête avec tes conneries de “Jésus-Leader”... tu veux causer au Boss ?
- Ouais, au Vieux. Y a le taulier qui à bêtement débranché la box… on reboote, quoi !
- ... Hum, l’a payé son obole ton michton ? Il est en règle avec les deniers du culte ?
- Sois pas con, man, on vote centre-droit et on va à la messe tous les dimanches dans cette taule...
- Roger, je te branche avec le Patron… Roger.
Etc.
Ça, c’est déjà l’Étape 3. Jean-Claude et le Saint-Esprit Télécom (Roger) sont synchronisés en quelque sorte. Mais là on est déjà allé trop loin…
Ouais, figure-toi que l’autre jour, rejoignant mes e-pénates après mon e-labeur contractuel et entamant mon palier rituel de décompression, je me laissais aller à lire plusieurs dizaines de pages d’un Soljénitsyne de la meilleure eau, et ce, sans qu’un e-intempestif ne vint me faire chier au téléphone ! Un si long silence, c’était suspect. Je me suis douté de quelques diableries… J’ai pas loin à aller pour vérifier et un coup d’oeil sur la freebox confirma mes inquiétudes : elle était bloquée sur l’Étape 2…
e-Blackout !
Au début ça pique un peu : plus de téloche, plus d’internet ni de téléphone… un e-silence vertigineux venait de s’installer sur la maisonnée : survivrions-nous à ce soudain théo-mutisme ?
Il fallait un coupable, et vite !
Branle-bas de combat !
Premièrement, obtenir des infos sur la vie de la rue durant cette fatidique journée : direction chez Jean-Louis, le nouveau retraité, vigie patentée de nos trottoirs et auquel rien n’échappe, du pissat de chat à l’enterrement d’un voisin en passant par les différents potins que draine la buvette-tabac du bout de la rue. Bref, le voisin idéal.
Le bougre, hélas, confirme immédiatement mes soupçons : le Diable ne possède pas le Jean-Claude de ma freebox, Belzébut n’est pas en train de lui faire subir les derniers outrages. Non, le mal a insidieusement frappé au niveau de la rue, dans le boîtier-relais de Roger, le Saint-Esprit.
Tard dans la matinée, vers 9h, 9h30, du haut de son nid-de-pie, mon bon et vigilant Jean-Louis a repéré une bande de deux hooligans qui débarquaient d’un Jumper Citroën blanc siglé “Le Cable”, et qui ont systématiquement entrepris de tchaoupiner dans tous les boîtiers France-Télécom qui pointillent le trottoir.
- Ils posent la fibre, me précise le Sherlock Holmes du Grand-Toulouse.
Sur ce, il prend immédiatement l’affaire en main et mène l’enquête chez tous les riverains. Au final, les fortunes s’avèrent diverses, mais le verdict est inéluctable : une bande de deux maladroits, deux mains gauches, deux CDD outrageusement surpayés, deux gougnafiers des temps modernes, deux bachi-bouzouks fibre-opticiens de la sous-traitance, ont saboté nos légitimes connexions avec Dieu. Le comble étant que ces deux escogriffes, cette couple d’ennemis du Peuple, cette paire de prépuces desséchés nous posent le câble, future promesse de gigabits à gogo !
Sur ce, il prend immédiatement l’affaire en main et mène l’enquête chez tous les riverains. Au final, les fortunes s’avèrent diverses, mais le verdict est inéluctable : une bande de deux maladroits, deux mains gauches, deux CDD outrageusement surpayés, deux gougnafiers des temps modernes, deux bachi-bouzouks fibre-opticiens de la sous-traitance, ont saboté nos légitimes connexions avec Dieu. Le comble étant que ces deux escogriffes, cette couple d’ennemis du Peuple, cette paire de prépuces desséchés nous posent le câble, future promesse de gigabits à gogo !
Je comprends donc que, effectivement, «Les carottes sont cuites»… On est baisé.
Il faut s’organiser, la nuit approche. Une nuit de silence…
- Faut-il préparer les bougies ? me demande Maman®, très inquiète.
Peu après...
Peu après...
Ben, finalement cette Étape 2 n’est pas une si grande putain que ça, c’est même une Sainte ! Que ne dura-t-elle pas comme l’autre, une semaine !
Passée la première heure assez traumatisante dans une casbah déconnectée, on s’est drôlement vite acclimaté, dis-donc !
Plus de Téloche : un véritable panard, car bien que ne la regardant pratiquement pas, il faut bien que je la croise, de temps en temps, et toujours à entendre sa perfide sourdine.
Plus de téléphone : une jouissance extraordinaire. Quelle que soit la catastrophe qui se produira, nous sommes injoignables, invisibles, hors-concours. Déresponsabilisés.
Plus d’internet : heu… on s’y fait. Le retard sur certains e-devoirs devient relatif, une sorte de e-procrastination obligatoire et libératrice s’installe très vite.
Il ne restait plus que Maman®, moi, et des livres...
What else ! dirait un George Spinoza
Las, je commis l’impair d’ouvrir un ticket dès le lendemain au SAV de Dieu… Tu le croiras si tu veux, le jour d’après la freebox renquillait plein pot les 8 Étapes réglementaires de son chemin de croix (low-cost), et bientôt Jean-Claude pouvait fièrement afficher l’heure, ambre sur noir.
Rappelle-toi qu'elles sont fortes et efficaces les légions de Dieu, et l'angelot qu’il me dépêcha (trop) promptement, tout frais émoulu d’un BTS électro-théologique, m’assura fermement :
«Monsieur, je ne partirai que quand vous recevrez à nouveau la Parole de Dieu».
Et le voila qui déballe ses crucifix, encensoirs et autres burettes d’eau bénite.
J’ai eu droit à “La Totale”.
Exorcisation de la prise téléphonique murale ; changement de cordon ombilical ; bénédiction du tabernacle (designé par Starck) ; bref, toute mon installation domestique sentait bientôt l'encens. Puis vint le tour du prieuré France-Télecom, dans la rue, et encore une fois, ce fier et juvénile soldat de Dieu, n’hésitant pas à salir sa roupane, confessa promptement ce bon Roger et le rappela vivement à ses devoirs de Saint-Esprit : Voulait-il perdre sa franchise ? (Oui, en fait Roger est franchisé, mais c'est une autre histoire.)
Une dernière bénédiction, un dernier signe de croix, et le voila qui s'en repartait sauver une autre âme en peine à bord d’un Berlingo banalisé.
Cinq minutes après, le téléphone hurlait sa résurrection dans toute la paroisse.
Fini les vacances, le vacarme et la frénésie pouvait reprendre !
Si j’avais su...
Au nom du Xavier, du Jean-Claude et du Roger
Amen.
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