Alors voila, on y est dans le dernier Onfray… les deux pieds dans son ontologie matérialiste, ‘tain ; on serre les miches !
Déjà, les vingts pages auto-biographiques de la préface sont fulgurantes, foudroyantes !
Si tu as déjà lu un de ses bouquins, tu as compris qu’il fait toujours cela, le gars Onfray, il commence par s’expliquer et poser un contexte ; c’est d’ailleurs un de ses crédo, impossible de comprendre un auteur sans mettre sa vie en contrepoint de son oeuvre, sans confronter ses dires à ses faits et gestes.
Ensuite, dans le tissage d’un canevas épistémologique très serré, très dense, l’ami Michel déploie son implacable tropisme de déconstruction pour nous hacher le réel en fines particules ; nous pénétrons dans la matière vivante par le biais de l’histoire, de l'anthropologie, de la sociologie, de la biologie, la botanique, de la cosmologie, du darwinisme (à tous les étages), de la philosophie, de la politique, etc. ; nous naviguons à vue sur des océans de botanique, d’œnologie, de corrida, de grotte hors du temps de Michel Siffre, d’une toile d’Arcimboldo, ou encore dans la qualité des bulles d’un excellent champagne ; et toujours Darwin en fils rouge, épaulé par Thoreau, Nietzsche, Deleuze, Descartes, Spinoza, Aristote, Diogène, und so weiter...
Tu l’auras compris, nous nous confrontons ici à la qualification d’une ontologie matérialiste à large spectre ; tout y passe : le temps, la vie, les plantes, les animaux, l’art, les religions ; depuis les vers nématomorphes qui parasitent les grillons et les poussent au suicide, en passant par l’anguille lucifuge qui va se reproduire et mourir dans la mer des Sargasses, jusqu’aux poétiques profondeurs intersidérales de l’univers chiffonné de l'excellentissime Jean-Pierre Luminet...
(satisfecit à Peter Singer, le zoophile antispéciste adepte du végétarisme et de l’ontologie conséquentialiste… Putain, ça s’invente pas des trucs pareils, et cézigue trouvait parfaitement naturel d’enculer sa chèvre ! )
Et, si l’on ne doit retenir qu’une chose de cette petite merveille, c’est bien de savoir comment nous pouvons avoir prise sur le réel, sur la matière baryonique, ou du moins, qu’est-on prêt à consentir pour avoir ici-bas la vie bonne chère à Aristote ?
Pour presque en finir, Farang-évangéliste, je ne te cacherai pas que je me suis régalé presque tout au long de ce livre, mais laisse-moi cependant t’adresser un petit conseil : si d’aventure, tu te plais à passer pour un catholique, apostolique et romain, si tu aimes la pêche à l’anguille, chasser les petits oiseaux, jouir au spectacle navrant d’une corrida et de l’indigne agonie du taureau, ou si plus simplement, tu es un petit bobo confondant causalité ontologique avec fort pouvoir d’achat, ben, ce bouquin va te faire du mal. Les tyrans (domestiques ou pas), les saints, les gros beaufs, les psychanalystes freudiens et les toreros habillés comme des gonzesses en prennent plein les sabots, et c’est justice !
Au passage il en remet une petite giclée des plus réjouissante sur ses têtes de Turcs favorites.
Ici Freud :
…
Le complexe d’Oedipe universel est une foutaise, la horde primitive et le meurtre du père, puis le banquet cannibale, une bêtise sans nom, le viol de la première femme par le premier homme, une fadaise inqualifiable, la transmission prétendument phylogénétique de toutes ces farabioles, une vaste fumisterie.
...
Ou sur les Marcel Griaule et Michel Leiris qu’il traite comme les voyoux colonialistes qu’ils étaient, et là sur la corrida, justement ; aficionado de merde, je te laisse escalader ce petit sommet de lucidité :
…
Dévêtons la corrida de ses oripeaux esthétisants, intellectualistes, culturalistes, pour la regarder en face et voir ce qu’elle est vraiment, à savoir une torture infligée à un animal condamné à mort, un acte de cruauté, un geste clairement sadique et une perversion caractérisée. Ces mots ne sont pas des jugements de valeur, ils qualifient objectivement des faits.
…
Et bien sûr, encore et toujours à taper sur les curés de Jean-Claude... un régal :
...
Dans le nouveau Testament, qui raconte la vie d’un homme qui n’a existé qu’à coup de métaphores et d’allégories, de fables, de mythes, de recyclages de fictions orientales...
...
Tu comprends, maintenant, le discours de Michel Onfray n’est pas performatif, ce que je dis est, au contraire, il est constatif, ce qui est, je le dis : tu vois le coup ?
Bref, c’était parfait, un livre remarquable...
Cela étant, et pour ne pas passer pour le dernier des flagorneurs, je n'ai quand même pas tout apprécié ; ouais, le petit couplet apologétique sur les Tziganes, par exemple ; comment ils vivaient avant de se faire ethnocider par le Jean-Claudisme ; la liberté dans l’errance, le feux de bois du soir au campement, et patati et patata… Franchement, Michou, tu voudrais vivre comme un romanichel, toi ? À bouffer des hérissons mal cuits et des châtaignes farineuses, à souvent déguerpir devant une meute de paysans qui ne songe qu’à te planter une fourche dans le cul, à traînailler par tous les temps derrière une roulotte brinquebalante tirée par une haridelle étique, à patauger dans la merde et la misère, hum ? Ben, moi, la vie bonne aristotélicienne, j'la vois pas comm' ça, 'tain !
Mais heureusement que nous ne sommes pas d'accord sur tout, n'est-ce pas ? Alors encore une fois merci ami Michel, je t’aime beaucoup, et puisque nous dégustâmes à l’envie de si bons champagnes dans la première partie de ton «premier livre», laisse-moi en finir avec celui qui enchanta nos années rebelles… l'ami Higelin.
Cocher lugubre et bossu, déposez-moi au manoir
Et lâchez le crucifix
Décrochez-moi ces gousses d'ail
Qui déshonorent mon portail
Et me chercher sans retard
L'ami qui soigne et guérit
La folie qui m'accompagne
Et jamais ne m'a trahi
Champagne !
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