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vendredi 11 mars 2016

La nuit de feu, Eric-Emmanuel Schmitt

Eric-Emmanuel on le connaît, on a tous lu au moins un de ses bouquins… Ça paraît être quelqu’un de raisonnable, et de toute façon le mec qui a écrit Oscar et la Dame roseF@P ne peut pas être si mauvais que ça. On est bien d’accord. Comment, tu ne l’as pas lu ? Malheureux, cours immédiatement te pendre !
Cela dit, dans ce nouveau bouquin (2015), le Manu nous explique comment il a pété un câble par une nuit de 1989, au pied du mont Tahat, dans le Hoggar alors qu’il été âgé de 28 ans.
Quand il s’en est allé au désert, chez les Touaregs, c’était un type normal comme toi et moi, athée, blond, de gauche, les yeux bleus ( tu n’as pas les yeux bleus ? va vite te pendre derechef !) ; quand il s’en est retourné, après avoir subi sa «nuit de feu» à lui, il était méconnaissable : petit, les cheveux noirs et frisés, la peau basanée, les yeux chassieux d’une couleur sise entre le marronnasse humide et le jaunâtre pisseux, infesté de poux et de puces des sables, bref, il nous est revenu avec une gueule peut-être pas de juif errant, ni de pâtre grec, mais de métèque assurément, et nous n’évoquons là que la périphérie de cette fatale métamorphose car, tiens-toi bien, il s’est escagassé la cervelle à regarder dieu® en face… non, non, je ne déconne pas, il a vu dieu®, là-bas dans le désert, tout seul et paumé sous les étoiles. L’idée de la mort lui a tellement foutu les jetons, ou du moins l’a si brutalement convaincu de sa petitesse face à la grandiose beauté cruelle de l’univers, que cette insupportable prise de conscience a déclenché en lui un incroyable feu d’artifice neuro-mystique, une sorte d'épiphanie métaphysique qu’il a vécu comme une naissance à dieu®.
Bilan de la guerre : 2ème classe Eric-Emmanuel Schmitt, mort à l’ennemi.

Et pourtant, la description de toute cette séquence est une merveille d’intelligence, de poésie, et de subjectivité, sans dec, j’ai l’air de me moquer, mais en fait je respecte “l’expérience” ainsi que l’expérimentateur, surtout quand il s’agit d’un écrivain comme cézigue. Il commet des pages presque aussi belles et intenses que Mankell dans Les chaussures italiennesF@P :
...
Une étoile filante glissa devant Orion. L’affolement s’accéléra. Mes tempes cuisaient. À quelle distance ce phénomène se produisait-il ? Une distance qui me dépassait… Une distance qui me rendait petit, lamentable. J’étais englouti dans un coin de l’univers, un monde en expansion permanente, un cosmos de quatorze milliards d’années qui subsisterait au-delà de moi. Même ce que je voyais, qui me paraissait énorme, s’avérait minuscule : les planètes dissimulaient des planètes, les galaxies s’ajoutaient aux galaxies, des milliards de systèmes occupaient l’infini inaccessible. Je gisais, poussière au milieu de l’immense, futile poussière de matière, négligeable poussière de temps.
[...]
Qui suis-je ? Une chandelle qui veille au sein des ténèbres et que le vent éteindra. Dérisoire !  [...] Je ne suis qu’une seconde entre deux éternités, l’éternité d’avant moi, l’éternité d’après moi. Je ne suis qu’un bout de vie entre deux néants…

(Page 110 de l’Albin Michel de padré Hugo)

Il pense bien et il l’écrit bien, ce bougre de Manu et tu l’auras deviné, il s’agit ici des premiers symptômes de la maladie qui va lui tomber dessus.

On en a connu d’autres qui ont fait comme lui, qui sont morts à l’ennemi. Ils sont nombreux à avoir témoigné de ce curieux phénomène, de Blaise Pascal à Mgr Lustiger en passant par Claudel. Ça leur tombe sur les endosses, comm’ça, à la surprenante… Putain, ça fait un peu peur quand même, et si tu es malin, farang-infâmo-écraseur, suis mon conseil, ne va pas nuitamment te balader tout seul au pied du mont Tahat, tu pourrais y faire une mauvaise rencontre...

Bravo à frère Eric-Emmanuel Schmitt pour cette «révélation» et merci au Père Hugo de m’avoir prêté ce singulier missel.




 Il est passé par ici, il repassera par là...

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