Pages

jeudi 16 avril 2015

La vie devant soi, Emile Ajar

Momo (Mohamed) est un petit garçon… arabe, et il est élevé par Madame Rosa… une vieille juive.
On est à Belleville, au début des années soixante-dix. Madame Rosa, vieille pute d’avant guerre fut un jour convoqué par la police pour soi-disant assister à une réunion, au Vél’ d’Hiv, puis elle fut invité dans une institution pour juifs, à Auschwitz… elle en revint, physiquement s’entend, mais ça tête a dû rester là-bas. Disons qu’elle est un peu traumatisée, elle n’aime pas bien quand ça sonne à la porte de sa cagna à six heures du mat’... 
N’empêche, maintenant elle s’occupe des enfants de putes ; oui, les putes n’ont pas le droit d’avoir d’enfants, sinon y vont à l’assistance… et ça c’est terrible l'assistance, comme l’hôpital !
Hélas, Madame Rosa est vieille, grosse et essoufflée, et son gourbis est au sixième, sans ascenseur ; Momo qui a presque dix ans, bientôt quatorze, est le plus vieux de la couvée de tous les fils de putes qu’elle élève, il aide… comme il peut. Oui, car ils sont nombreux, tous ces fils de putes, chez Madame Rosa, en pension pour la semaine, ou plus...
Au fils des ans, il s’est créé une relation quasi amoureuse entre Momo et Rosa. Le petit môme est devenu l’homme de la maison, entre débrouille, mensonges et petits larcins il participe à faire bouillir la marmite et surtout il donne son amour à la vieille femme.
Moi je pense qu’on respecte pas assez les vieilles putes, au lieu de les persécuter quand elles sont jeunes. Moi si j’étais en mesure, je m’occuperais uniquement des vieilles putes parce que les jeunes ont des proxynètes mais les vieilles n’ont personne. Je prendrais seulement celles qui sont vieilles, moches et qui servent plus à rien, je serais leur proxynète, je m’occuperais d’elles et je ferais régner la justice. Je serais le plus grand flic et proxynète du monde et avec moi personne ne verrait plus jamais une vieille pute abandonnée pleurer au sixième étage sans ascenseur.

Bien sûr, il n’est pas seul, tous les habitants de l’immeuble et même du quartier sont solidaires, depuis les frères de Monsieur Waloumba qui habitent dans le foyer africain, en passant par le docteur Katz et jusqu’à l’irremplaçable Madame Lola, travesti qui turbine nuitamment au bois de Boulogne.
Madame Lola est d’un naturel gai parce qu’elle a été bénie par le soleil d’Afrique dans ce sens et c’était un plaisir de la voir assise là, les jambes croisées, sur le lit, vêtue avec la dernière élégance. Madame Lola est très belle pour un homme sauf sa voix qui date du temps où elle était champion de boxe poids lourds, et elle n’y pouvait rien car les voix sont en rapport avec les couilles et c’était la grande tristesse de sa vie.

Pour son deuxième Goncourt (1975), l’ami Romain Gary nous installe dans la logique implacable de Momo, ça frôle le naturalisme ; humour, lucidité, naïveté, cynisme et amour s'entremêlent dans la caboche du môme pour camper ce formidable personnage. Non content de cela il va le faire valser avec l’exceptionnelle Rosa dans une chorégraphie folle, un ballet de forces centripètes et centrifuges qui fabrique, à mon sens, un des plus beau couple de la littérature : la vieille  juive et le petite arabe, ou autrement dit, quand l’amour transcende le principe de réalité.
Car oui, Il y a de l’amour et de l’humanité à toutes les pages de ce bouquin, c’est le liant, le gluon de cette soupe de quarks interlopes.

Inch'Allah, Madame Rosa, tu vois, ce petit Momo, un jour, ce sera un Saint.


La vie devant soi ? Une merveille…
Et tu seras bien sot de ne pas me le voler dès demain matin.


 





Shma israël adenoï eloheïnou adenoï ekhot bouroukh shein kweit malhoussé loëilem boët...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire