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lundi 30 mai 2016

Post-scriptum

Honorable farang lecteur (puis-je t’appeler HFL ?), il y a maintenant quatre ans pile que je te traîne dans les hallucinations qu’induisent mes lectures. Je sens bien que tu en as marre.
Je constate aussi que cet exercice, en plus d’habituel, m’est devenu nécessaire ; une véritable addiction. 
Je n’envisage plus un livre sans immédiatement me projeter dans son futur commentaire, sans corner, gribouiller et surligner ses pauvres pages qui finalement n’en demandent jamais tant. Si bien que désormais je lis sous le joug d’un démiurge, sub-lecteur ultime et orienté, un maître avide de complexités qui bouffe bien trop de mon temps CPU !
Il est temps que tout cela cesse : je dis STOP !
Je ne serai plus la victime propitiatoire de cette folie...

Farang mon ami(e), quel bonheur de t'avoir parlé à l’oreille durant ces quelques années, merci de ta complaisance.

Je t’embrasse et te rends à tes devoirs.


Sergio Continuo, un fils à papa comme un autre.





Ce fut un honneur...

dimanche 29 mai 2016

L’Illustration Deuxième semestre 1911

[Avertissement aux innombrablesnombreux… plusieurs ? faloheur(s) de 4269 Carinae, ces «chroniques tribulatoires d’un lecteur e-perdu», ce qui suit s’apparente à une séquence “Émotion à deux balles”, et elle ne vaut que pour ce qu’elle prétend.]

Je ne sais pas toi, farangis-libris, mais en ce qui me concerne j’ai appris à lire au début des années soixante. De la méthode employée par Madame D., ma noble et adorée maîtresse du Cours Élémentaire, je ne m’en souviens pas… Je gratte, je cherche, j’essaye de me souvenir, mais fifre, rien ne revient. Par contre il me reste un souvenir extra-scolaire de cet apprentissage, un souvenir que je chéris entre les autres et qui est intimement lié au volume relié cuir des journaux de «L’illustration» allant de juillet à décembre 1911. Mon premier «Livre». L’ouvrage que je tiens présentement entre mes mains tremblantes. Ce livre était dans la famille depuis des décennies. Oh, il n’y avait pas beaucoup de livres chez moi, nous sommes des gens de peu ; pour tout dire il y en avait deux qui nous venaient d’un passé, pour moi, préhistorique : il y avait donc «L’Illustration» Deuxième semestre 1911, et il y avait le «Robinson Suisses» de Johann David Wyss. Le Robinson Suisse possède une petite vignette collée et presque indéchiffrable au dos de la première de couverture. Écrit à la plume, le texte dit ceci : «Prix d’honneur offert par M? ?eygriès à l’élève Massias Joseph qui a obtenu le Certificat d’Études primaires le 10 juillet 1893. L’Instituteur, Dubois.» (Massias Joseph c’était le petit frère de mon arrière grand-mère). Celui-là, je l’ai lu après et tout seul, ce fut mon deuxième vrai livre… c’est une autre histoire.
Mais le premier, ces quelques cinq kilogrammes (4,6) de papier, d’encre et de cuir, de L’Illustration, deuxième semestre 1911, restera ma première plongée dans le pays des mots, des images, du dessin et de l’Histoire. Et ça compte les premières fois ; ce sont de merveilleux moments, fragiles et insoutenables qui décident du futur.
Bien sûr, à six ou sept ans, je ne disposais pas de ce livre à mon grès, non, il s’était créé une délicieuse dictature : quand je rentrais de l’«École», cette navrante incarcération, je retombais dans le giron du meilleur des hommes : pépé Alix. Classe 1899, donc né en 1879. Mon arrière grand-père. C’était mon pépé. On s’aimait bien tous les deux, quoi. Il avait quatre-vingts piges quand je suis né, un vécu déjà comac ; un mec contemporain des Mac-Mahon, Grevy et Gambetta, et qui s’était tapé toutes les joyeusetés de 14-18. Il en a vu des choses ce valet de ferme, ce petit paysan ; les premières bicyclettes dotées de pneus, les premières bagnoles, les premiers navions, tous les carnages mémorables depuis la Grande Guerre, la fin de l’Empire, les trente glorieuses, le spoutnik, et même un peu plus tard des mecs qui marchent sur la Lune (!). Et, se sentant sûrement moins agile et nécessaire au sein de ce rucher bourdonnant et pré-productiviste que représentait une famille paysanne des années soixante, il s’était mis en tête d’employer une partie de son temps à faire lire les derniers petits de la nichée. Si bien que tous les soirs, après avoir repoussé moulte ennemis qui attaquaient quotidiennement mes cabanes dans les bois, et avant cette maudite douche obligatoire, pépé Alix nous prenait sous son aile de vieux radical socialiste, tendance Blum, et nous faisait la leçon de lecture, à ma petite sœur et moi. Voila comment ça se passait :
Il allait chercher ses lunettes et la baguette réglementairement posées sur le compteur électrique. Avec la baquette de bois il tapait sur la bakélite noire : TAC, TAC, TAC.
C’était l'ouverture du rideau, le signal béni qui permettait de repousser le moment de la douche...
- Allez, petit, nous allons lire. (en phonétique gasconne, ça donnait : Allez, nénet, anen liré)
Il farfouillait ensuite dans la vieille armoire (au fond derrière le rideau) et il en extrayait L’Illustration Deuxième semestre 1911. Nous nous installions alors à la table, sous la lumière crue du néon, chacun d’un côté de lui ; il ouvrait ensuite solennellement l’immense livre et reprenait à la marque de la veille. Il fallait bien une semaine pour lire une page entière ! Nous n’allions pas vite, nous ânonnions encore, surtout ma sœur ;-) Mais il était patient et méticuleux ce bonhomme et bien sûr, la baguette de bois ne servait pas à nous taper sur les doigts quand nous nous trompions, non, elle servait simplement à suivre les mots sur la ligne. Pépé Alix était un sage. Un vrai. Si tout le monde avait eu un pépé Alix, nous vivrions au pays du lait et du miel !
Je pourrais t’en faire des pages sur le bonheur que fut cet apprentissage. Depuis, je sais qu’en 1911 le Président de la République s’appelait Armand Fallières et que Caillaux (celui qui jouera dans l’Affaire Caillaux trois ans plus tard !) était son ministre des finances ; je connais pratiquement la nature et le nom de tous les navires de la flotte de guerre française qui participèrent à la revue du 4 septembre en rade de Toulon grâce aux magnifiques illustrations d’Albert Sébille (peintre officiel de la marine) ; que le 25 septembre, l’horreur eut lieu dans cette même rade de Toulon quand le cuirassé Liberté explosa à 5h30 du matin (feu dans la Sainte-Barbe !) ; que cette année là on a joué «Le Typhon» au théâtre Sarah-Bernhardt le 14 octobre, et que les Italiens ont pris Benghazi le 19 octobre à 11h15 du matin ; etc.

Quant aux illustrations, elles nous espantaient littéralement, une véritable féerie. J’ai adoré DulacW avant de savoir qui était Dulac, et que dire des dessins «pleine page» d’André Devambez sur les voyages de Gulliver ? Une merveille inégalée et prémonitoire de la ligne claire à une époque où Hergé suçait encore le pouce.

Nous avons eu, ma sœur et moi, la chance d’avoir un arrière grand-père de combat, un vieillard encore vert qui vibrait toujours sur des harmoniques de la Troisième (République); férocement anti-clérical et résolument anti-militaire car il l’avait vu de très près, la Camarde, lui, pendant cinq piges. Et si maintenant nous avons ce goût si marqué pour les livres, Madame N. et moi, c’est bien grâce à son attentive patience et à ce volume particulier de L’illustration.

Voila la charge que véhicule ce Livre pour moi. C’est con, hein ?

Hélas, le temps a passé et cent cinq ans après sa parution, ce trésor familial s’était presque perdu : pages déchirées, moisies ou manquantes, illustrations envolées, reliure bousillée, etc. et une restauration, un temps envisagée, s’avéra bien trop onéreuse. Quant à le racheter d’occas, il fallut vite l’oublier car ces livres existent toujours, bien sûr, mais à prix d’or ; plusieurs centaines d’euros pour un volume en bon état ! Un véritable trafic…
Et c’est ici qu’intervient le “Bon Coin”.
Glorieux bon Coin-coin, et inespéré ami Robert qui voulait se défaire de son  “L’Illustration Deuxième semestre 1911” pour un prix, certes conséquent mais cependant tout à fait acceptable.
Alléluia, le volume en question c’est avéré très correct et il va naturellement trouver sa place dans ma bibliothèque.
En attendant, et juché sur les épaules de mon pépé Alix, ce géant, je ne me lasse pas de compulser fiévreusement cette merveille qui a retrouvé sa vocation première : celle d’un talisman…

Et si d'aventure il me venait l'envie de mettre sinon un terme, du moins un coup de frein à cette chronique de mes lectures, c'est bien avec ce livre, premier et ultime, que je le ferais…
Ça aurait d’la gueule, non ? Du joli mois de mai 2012 au joli mois de mai 2016.              



©Dewambez : Les voyages de Gulliver au pays de Lilliput

lundi 23 mai 2016

L’archipel du Goulag, Tome 3, Soljénitsyne

Dernier tome en trois parties :
V.   Le Bagne
VI.  La Relégation
VII. Staline n’est plus.

Encore une semaine sous la griffe de Soljénitsyne !
Quel monument son Archipel, quelle somme, et quel style ! J’en infère que les traducteurs ont fait un boulot remarquable (bravo à eux, donc), et j’en ressors totalement concassé...

Un morceau de l’incontournable quatrième de couverture :

Voici le troisième et dernier volume d’une œuvre qui restera comme un monument impérissable à la mémoire des dizaines de millions de victimes du totalitarisme en URSS. Il traite de la période finale du règne de Staline et de celui de ses successeurs : comment, un quart de siècle après son abolition par la Révolution, a été rétabli le bagne russe, bientôt confondu avec les camps spéciaux, réservés aux détenus politique, où on leur fait porter des numéraux comme chez les nazis - oui, à peine quelques années après Nuremberg, quand l’humanité soupirait : “Cela ne se reproduira plus jamais !”
“Mais pourquoi donc vous êtes-vous laissé faire ?” demande aujourd’hui l’historien marxiste soucieux de rejeter sur les victimes la responsabilité de leur sort. Soljénitsyne saisit l’occasion de répondre par une extraordinaire chronique des évasions, grèves, révoltes héroïques qui ont jalonné l’histoire des camps soviétiques de l’après-guerre et dont personne n’avait jusqu’ici connaissance.
La mort de Staline a-t-elle mis fin au Goulag ? Absolument pas, répond Soljénitsyne. A certains égards, le régime des camps s’est encore durci. Quant à la relégation, cette forme d’exil intérieur qui toucha 15 millions de paysans lors de la dékoulakisationW, puis des nations entières, elle est devenue une méthode généralisée de mise à l’écart des indésirables. En bref, “les dirigeants passent, l’Archipel demeure”.
[...]

Que veux-tu que j’en dise de plus ?
C’est une sorte de condensat de tout ce que nous avons pu lire sur les camps de concentration nazis, réinjecté, puis recyclé pendant plus de quarante ans dans le fameux réseau des canalisations pénitentiaires (tome 1) du Goulag soviétoïde.

Ajouterai-je qu’il faut absolument lire, ou relire ça ? Ne serait-ce que pour bien garder à l’esprit que toutes ces monstruosités furent théorisées, organisées et planifiées par quelques énergumènes à sang froid, très malins, opportunistes et surtout, très décidés…

Cette plongée dans le Goulag de Soljénitsyne m’a rendu un peu parano... Je suis en train de calculer mon entourage ; j’imagine lequel d’entre vous me dénoncera à une quelconque kommandantur dystopique (rouge, noire ou verte, coche la case qui te convient) si la pression du milieu se faisait tout à coup plus aiguë, moins démocrate ; un tant soit peu clivée et plus rigoureuse…

Lequel d’entre vous me donnera-t-il aux Organes, hein ? Enfants de salauds !   
( - Tu quoque, Jean-Louis ? Arrrg...)

Lequel d’entre-vous donnerai-je ? 






Soljénitsyne le Grand...

jeudi 19 mai 2016

L’archipel du Goulag, Tome 2, Soljénitsyne

On continue dans le dur.
Troisième et quatrième partie de L’Archipel du Goulag :
III. L’extermination par le travail.
IV. L’âme et les barbelés. 
Et, pour une fois, je te consens la quatrième de couverture de ce deuxième tome ; elle est parfaite et il n’y a rien à rajouter. Garde cependant à l’esprit qu’à ce moment là, nous sommes en 1974, date de parution de L’Archipel du Goulag.
La voici :

« Dans sa lutte inégale contre le pouvoir terrestre, usurpateur et mystificateur, l’homme désarmé n’a pas eu depuis des siècles, sous aucune latitude, de défenseur plus lucide, plus puissant et plus légitime qu’Alexandre Issaïevitch Soljénitsyne… »
« C’est probablement le livre de ce siècle. Il va écraser sous sa masse, sous son poids spirituel et temporel, tout ce qui a été publié depuis la guerre… »
Ces deux phrases résument les milliers de réactions qui ont salué de toutes parts la publication du premier tome de L’Archipel du Goulag.
Ce volume central plonge à présent le lecteur au cœur même de l’histoire et de la géographie de l’Archipel. On assiste à son surgissement, à sa consolidation, à son essaimage et à sa prolifération à la surface de ce pays qui a fini par devenir une sorte d’immense banlieue de ses propres camps, vivant du travail exterminateur d’une nouvelle nation d’esclaves, tout en s’imprégnant peu à peu de ses mœurs et de ses mots. Voici décrite par le menu cette «culture» concentrationnaire qui s’est perpétuée pendant des décennies chez des dizaines de millions d’indigènes de l’Archipel, avec ses rites, ses règles, sa tradition orale, sa hiérarchie et ses castes, jusqu’à engendrer comme une nouvelle espèce infra-humaine - les zeks, peuplade unique dans l’Histoire, la seule sur cette planète à avoir connu une extinction aussi rapide et à la compenser par un mode de reproduction non moins accéléré : les flots successifs d’arrestations massives.
Impossible à un seul rescapé de tout vouloir décrire en quelques centaines de pages, précise Soljénitsyne ; ajoutant toutefois :
«Mais la mer, pour savoir quel en est le goût, il n’est besoin que d’une gorgée.»

Voila, farang minuscule, 66 [soixante-six] millions d’êtres humains l’auront goûté à cette bouillabaisse infernale… ici et maintenant, on n’a pas l’imagination assez grande pour se figurer des trucs pareils.

Allez, zou Galinette, finissons-en vite avec le tome 3 et ensuite nous iront nous suicider...







Le zek Soljenitsyne...

lundi 16 mai 2016

L’archipel du Goulag, Tome 1, Soljénitsyne

Nous y voila… Pfiouuuu !
Hé, c’est vraiment écrit tout petit pour le coup. Et au moins deux systèmes distincts de représentation des notes (heureusement en bas de page… t’as vu la galère quand faut aller les piocher à la fin du bouquin?). Ça m’a un peu fichu les foies quand j’ai feuilleté les tomes au fur et à mesure qu’ils boite-à-lettraient, j’avoue. Mais je venais de tellement aimer le «Premier cercle» que je me suis lancé. 
Bon, une des premières difficultés : les abréviations. Y en a à la toque ! Le mieux c’est de les lire en premier, page 444 du tome 1.
Par exemple:
GOULAG : Glavnoïé Oupravlenié Laguéréï [Administration générale des camps].
ITL : Ispravitelno-Troudovoï Lager’ [camp de redressement par le travail]. L’unité de base du Goulag.
KR : Kontr-Révolioutsioner [devine ?]
Tchéka = Tch. K. : Tchrezvytchaïnaïa Kommissiïo [Commission extraordinaire] de lutte contre la contre-révolution et le sabotage. L'ancêtre des Organes.
etc.
Ensuite se rendre aux pages 470 à 473 pour mémoriser les cartes et les toponymes de l’archipel. Et rappelle-toi que c’est vaste l’URSS...
En fait, et contrairement au Premier Cercle ou à Une journée d’Ivan Denissovitch, L’archipel du Goulag n’est pas un roman, c’est un «essai d’investigation littéraire», et c’est Soljénitsyne lui-même qui l’écrit dès la première page. C’est donc touffu, daté, circonstanciel, étayé d'innombrables témoignages, y compris le sien, bien sûr, et d’une précision chirurgicale quant au déroulé des étapes qui menèrent plus de 60 millions de personnes à plonger dans la gueule brûlante du Goulag entre 1918-1956.
C’est ficelé en trois tomes d’un peu plus de 400 pages, L'encyclopédie du Goulag, disons, quoi qu’un post-moderniste occidental dirait plutôt qu’il s’agit du Dictionnaire amoureux du Goulag.
Mais ne pense pas, farang soviétique, que Soljénitsyne ne soit qu’un obscur écrivaillon juste bon à compiler des données sur le Goulag, non, il s’agit en outre d’un immense écrivain doté d’un style extraordinaire et d’un humour féroce.
Pour les millions de zeks, tout commença par l’arrestation ; un doigt dans l’engrenage de l'inhumaine mécanique du MVD (Ministerstvo Vnoutrennikh del [ministère de l’Intérieur]).

L’arrestation :   

Comment fait-on pour gagner cet Archipel mystérieux ? Avion, train, bateau, à toute heure un moyen de transport est en marche qui y conduit, mais aucun d’eux ne porte une plaque de destination. Et les employés des guichets ou les agents des services de tourisme intérieur ou de l’Intourist seraient bien étonnés si vous leur demandiez un billet pour cet endroit-là. Aussi bien l’ensemble de l’Archipel que chacune de ses innombrables îles, ils ne les connaissent pas, ils n’en ont jamais entendu parler.
Ceux qui se rendent dans l’Archipel pour l’administrer passent par les écoles du MVD.
Ceux qui se rendent dans l’Archipel pour y être gardes-chiourme sont recrutés par les commissariats militaires.
Et ceux qui s’y rendent, comme vous et moi, pour y mourir, ami lecteur, pour ceux-là il n’est qu’une voie, obligatoire et unique, l’arrestation.
L’arrestation ! Est-il besoin de dire que c’est une cassure de toute votre vie ? un coup de tonnerre qui tombe de plein fouet sur vous ? un ébranlement moral insoutenable, auquel certains ne peuvent s’y faire, qui basculent dans la folie ?
Le monde recèle autant de centres qu’il compte d’êtres vivants. Chacun de nous est le centre du monde, et l’univers se fend en deux lorsqu’on vous jette dans un sifflement : «Vous êtes arrêté ! »
Si vraiment vous êtes, vous, arrêté, se peut-il que quelque chose ait tenu le coup dans ce tremblement de terre ?
Mais, leur cerveau enténébré les rendant incapables de comprendre ces déformations de l’univers, les plus subtils comme les plus simplets d’entre nous restent bouche bée, et de l’expérience de toute une vie ne trouvent rien d’autre à extraire que : «Moi ?? Pourquoi ?? » - question répétée des millions et des millions de fois avant nous et qui n’a jamais reçu de réponse.
L’arrestation - en un instant, de façon stupéfiante, elle vous transporte, elle vous transplante, elle vous transmue d’un état dans un autre état.
Tout au long de cette rue tortueuse qu’est notre vie, filant d’un cœur allègre ou nous traînant comme une âme en peine, il nous est arrivé maintes et maintes fois de passer devant des palissades et des palissades et encore des palissades - palis de bois pourri, murettes de pisé, enceinte de béton ou de fonte. Nous ne nous étions jamais demandé ce qu’il y avait derrière. Ni physiquement, par l’œil, ni intellectuellement, nous n’avions jamais tenté de regarder de l’autre côté ; or c’est là justement que commence le pays du GOULAG, sous notre nez, à deux pas. Autre chose encore avec ces palissades : nous n’y avions jamais remarqué la présence, en quantité innombrables, de portillons, de portes basses solidement ajustées, soigneusement camouflées. Eh bien, ces portes, toutes ces portes, c’est à notre intention qu’elles étaient préparées, et voici que l’une d’elles, fatidique, vient de s’ouvrir toute grande, cependant que quatre mains d’hommes, quatre mains blanches qui n’ont pas l’habitude du travail, mais des mains préhensiles, nous agrippent par la jambe, par le bras, par le col, par la chapka, par l’oreille, elles nous balancent à l’intérieur comme un sac, tandis que la porte dans notre dos, la porte qui donnait sur notre vie passée, est claquée sur nous pour toujours.
Terminé. Arrêté. Vous êtes arrêté !
Et rien, vous ne trouverez toujours r-r-rien d’autre à répondre que ce bêlement d’agneau :
«Moi ?? Pourquoi ??»
                                                                                    

Voila comment il écrit le vieux zek Soljénitsyne. Il t'interpelle, toi, son ami lecteur, il te fait des clins d’oeil, tout en continuant à nous traîner dans l’horreur et l’iniquité de ce moment russe.
Nous voila parti dans un monstrueux voyage au coeur du Goulag.
Le tome 1 est divisé en deux parties :
I. L’industrie pénitentiaire
II. Le mouvement perpétuel

Outre “l’arrestation”, nous subirons “l’instruction” (pas glop-pas glop, les caves de la Loubianka ! ). Puis petit rappel historique de toutes les lois qui régirent cet enfer, déjà élaborées dès 1918 par Lénine et Trotski, et qui trouvèrent un formidable démiurge avec l’Ogre Rouge du Kremlin. Nous découvrirons aussi toutes les subtilités de l’article 58 du code pénal (1927), nous ferons relâche dans les ports de l’Archipel non sans avoir goûté aux atroces façons de voyager d’une île à l’autre !

Un texte terrible et passionnant. 
Ça fait très peur...




Alexandre Soljenitsyne, lors de son incarcération, en 1946.

mercredi 11 mai 2016

Le premier cercle, Soljénitsyne

Ah… Soljénitsyne !
L’autre jour, en faisant le point sur cézigue, et sûrement influencé par quelque insanité radiophonique judéo-franc-maçonnique ouie sur les ondes gouvernementales qui se forgent dans une certaine maison ronde, ce creuset de propagande bourgeoise dans lequel s'élabore la pensée unique “mencheviko-sioniste”, je m’aperçois, consterné, qu’à part «Le pavillon des cancéreux» et «Une journée d’Ivan Denissovitch» je n’ai rien lu de l’ami Alexandre ! Même pas la trilogie de «L’archipel du goulag» !  Pas plus que «Le premier cercle» ! Sans parler de la somme que représente «La roue rouge» ! Honte sur moi, misérable vermisseau contre-révolutionnaire, ennemi patenté de la dictature du prolétariat, des frites trop grasses, des salaires trop maigres et des enfants trop prodigues.
Oui mais comment faire, me demandé-je après avoir wikipédié la bibliographie du maître ? Elle est giganteste ! Bien sûr, il y a les œuvres complètes chez Fayard, à 30 sacs l’unité ; on en est au volume six, présentement. Mais je ne m’appelle pas Carlos Ghosn, mes cadets, je ne fabrique pas des Trabants «vitres électriques et GPS intégré» pour toute la planète, moi, mon assemblée générale des zactionnaires ne me vote pas une rémunération pharaonique, putain ! Faut que je calcule à 10 sacs près sur le superflu… Oui, lire est superflu, on ne te l’a jamais dit ?
Bref, je l’ai joué laborieuse et patiente, une passe gibsonienne à travers les glaces noires des data-librairies, patiemment étalée sur des semaines, tout le matos affuré d’occas chez les cyber-fourgues «Fayard & Seuil», il m’a même fallu aller dénicher Le deuxième noeud (novembre 16) de «La roue rouge» sur Le Bon Coin ! Heureusement que la mafia sicilienne à un point-relais dans le Var, et j’ai eu ce blot par l’oncle Antonio… (- le frère de Berthe ?).  

Et me voila sur le pas de tir de Baïkonour (Kazakhstan), juché sur une énorme accrétion de textes gyrocentrés sur la vie du zek (valide au scrabble !) Soljénitsyne ; des milliers de pages écrites tout petit, petit ; des milliers d'annotations toutes plus indispensable les unes que les autres ; la Russie du XXe siècle en pleine gueule… brrr, souvent il caille à mort ! La face ontologiquement impure de cette fameuse âme slave. Un hymne à OuroborosW, ou la tragédie moderne de l’autophagie sous le règne des Tsars Rouges.

Le premier cercle.

Qu’est-ce que le premier cercle dans l’univers du goulag soviétique ?
C’est un chapelet d’îlots carcéraux dévolus aux scientifiques (charachka) et disséminés dans tout l’archipel du goulag. Des centres de détention où Staline enfermait les «savants» (ok, savants, mais ennemis du peuple, hein ?) et les faisait trimer gratis pour le progrès, la gloire de l’Empire Soviétique et le bien-être matériel du peuple (Lui et sa clique).
Là, je cède le clavier à Alexandre (p 22, Fayard, Oeuvres complètes, Tome premier).
Un nouveau zek, qui jusqu’à présent n’a traversé que des camps très durs, atterrit au laboratoire d’acoustique de la Charachka de Marfino (banlieue de Moscou). Dialogue avec un ancien (Lev Grigorievitch):
...
- Vous savez, Lev Grigorievitch, cet afflux d’impressions, ce changement d’atmosphère me tourne la tête. J’ai vécu jusqu’à cinquante-deux ans, je suis revenu d’une maladie mortelle, je me suis marié deux fois, mes femmes étaient jolies, j’ai eu des fils, je me suis fait éditer en sept langues, j’ai été lauréat de plusieurs académies, mais je n’ai jamais connu le bonheur béat que j’éprouve aujourd’hui. Où suis-je tombé ? On ne me forcera pas demain à patauger dans l’eau glacée ! 40 grammes de beurre ! Du pain noir à volonté ! Les livres sont autorisés ! On peut se raser soi-même ! Les surveillants ne cognent pas sur les zeks ! Quel est ce grand jour ? A moins que je ne rêve ? Je crois être au paradis !
- Non, très cher. Vous êtes toujours en enfer, mais vous vous êtes hissé à son cercle supérieur, le premier dans tout les sens du mot. Vous demandez ce qu’est la Charachka ? Si vous voulez, c’est un phantasme de Dante. Il en crevait, de ne pas savoir où fourrer les sages de l’antiquité. Son devoir de chrétien lui enjoignait de jeter ces païens en enfer. Mais sa conscience d’homme du Quattrocento ne pouvait se résigner à mélanger ces héros de l’esprit au tout-venant des pécheurs, ou à leur infliger des peines corporelles. Aussi Dante leur a-t-il réservé une retraite dans l’enfer.

Tu le comprends maintenant, farang-stalinien, les charachkas étaient les lupanars du goulag dans lesquelles l’élite des ennemis du peuple se gavait de pain noir et passait son temps à ourdir des complots contre l’aimable locataire du Kremlin...

Je déconne, bien sûr, la charachka de Marfino était une vraie prison, un domaine où l’arbitraire restait roi et la hiérarchie insensée ; un système fou sur fond de secrets atomiques, d’écoutes téléphoniques et de paranoïa extrême de L’ogre rouge ; c’est aussi une gabegie incroyable dans la gestion des hommes et des moyens ; une corruption incontrôlable à tous les étages et cependant, des histoires d’hommes, d’amitiés et d’amours impossibles… toujours très vite lacérés par la cupidité, la lâcheté et la méchanceté des bourreaux.
Voila, c’est la trame de cette première immersion dans le rouge du royaume au petit père des peuples, en 1949.
Et tout au long de ces 670 pages, on sent que c’est du vécu !
Un style à l’humour féroce et désespéré, un récit peut-être moins dense qu'Une journée d’Ivan Denissovitch, mais il s'agit d'un roman plus gros et plus élaboré qui enchaîne une série d’événements «historiques» soigneusement détaillés (l'acquisition de la bombe atomique par les Russes, par exemple) et une remarquable profondeur dans la psychologie des personnages ; tu passeras même tout un chapitre dans la peau de Staline ! 
Du grand Soljénitsyne.
Un régal !

Bon, maintenant on va rentrer dans le dur : L’archipel du goulag en approche...







Picasso est espagnol – moi aussi.
Picasso est un génie – moi aussi.
Picasso est communiste – moi non plus…
Salavador Dali

samedi 7 mai 2016

Pour la Science, Mai 2016, N° 463

Ce mois-ci, le dossier principal de PLS : Le GPS de notre cerveau.

C’est lumineux, on comprend plein de choses sur la façon qu’ont les mammifères (entre-autres) de fabriquer une carte mentale qui reflète la géométrie spatiale où ils se trouvent. Hé, les mammifères c’est nous… les rats. Il y a trois façons de se déplacer dans le monde du vivant ; soit tu suis une odeur ou un stimuli quelconque et tu fais parti de la gent des Caenorhabditis elegansW, par exemple ; soit tu es doté d’un GPS interne et tu peux alors revendiquer un certain voisinage de pensée avec apis mellifera, si tu veux ; ou alors tu proclames haut et fort ton appartenance à l’échelon supérieur du mamiferiat : rattus rattus, disons, et là tu sais actualiser des cartes Michelin neuroniques.
Bon, ok, mais comment ça se passe ?
En fait, notre cerveau fabrique et apprend en permanence une carte topologique de notre environnement de façon à nous situer dans le temps et dans l’espace. Quatre sortes de cellules (cellules de grille; cellules de lieu, cellules de vitesse et cellules de direction de la tête) interviennent dans le système d’orientation, et deux organes (l’hippocampe et le cortex entorhinal) entrent en jeux dans cette bio-appli de géolocalisation et ce, sans smartphone ni GPS ! Non, juste quelques viscères, de la chimie et d’infimes différences de potentiel électrique. Après apprentissage et stockage d’une série de “cartes”, et avec ces quelques grammes de graisse blanche ultra-spécialisée, les mammifères de base, les rats, se déplacent allègrement dans tous les labyrinthes qu’on leur présente. S’invente alors dans leur cerveau ratimorphe un système de navigation couplé à la mémoire qui associe des souvenirs aux lieux visités. C’est la magie de la viande et des glandes qui ont subi les millions d’années de l’Évolution (et le scalpel de l’homo-sapiens-experimentis, en l’occurrence).
J'espère nonobstant que tu sais que toi aussi tu possèdes un hippocampe et un cortex entorhinal, farang-du-vieux-campeur.
Hippocampe : de hippo, “cheval” en novlangue de l’Éducation Nationale, et campe, pour “campe”... C’est donc un viscère qui a la forme d’un cheval qui campe (je rappelle aux étourdis qui décideraient d’aller camper avec un cheval, qu’il faut insister auprès de ce dernier pour qu’il dorme avec la tête dans la canadienne et non dehors… Oui, ça pisse hippoment un cheval, le soir au campement… ok, je sors --->) et où, accessoirement, se fabriquent nos souvenirs ; notre expérience, en somme.
C’est ainsi que dans leurs errances quotidiennes, les femmes sont invariablement déviées vers le tiroir où on planque le chocolat, pendant que les maris, se mélangeant les pinceaux dans leurs cartes d’orientation, font très souventes fois un détour par l’appartement de leur(s) maîtresse(s) avant de regagner le foyer conjugal. Que cet hippocampe nous rend la vie amère et compliquée !
Cortex entorhinal :
- Comment, tu ne préfères pas savoir ?
Dommage, tu rates la façon dont sont liés les … hein ? Tu liras toi-même ? Bon, bon…

Sinon, et dans le dossier de la métaphysique cosmologique (page 36), un excellent article sur les multiples visages de la Matière Noire.
Tu vas y apprendre que la matière par nous observable, et donc par nous observée (riez pas vous autres, les rats en font parti), la matière baryonique en fait, n’est qu’un modeste pourcentage (4,9%) de toute la matière de l’Univers. Oui, tout le reste, à l’exception des neutrinos qu’éventuellement on détecte moyennant de lourds investissements (IceCube, ANTARES expérience, etc.), tout le reste, disais-je, est composé de matière inférée… (inférée ? c’est de la science, ça ?) opaque à tout nos détecteurs et en flagrante opposition à l’esprit cartésien qui devrait animer nos savantes investigations. Oui, il faut maintenant “inférer” que la majeure partie de l’Univers reste hors de notre portée ! ???
Attends, je te pourcente le truc.
L’Univers® est saucissonné comm’ça :
- 4,9% pour la matière baryonique, ce que tu peux agripper, zieuter, renifler, manger, baiser, voler, sucer, etc.
- 26,8% de matière noire. Bon, on va pas s’attarder sur la matière noire, disons que c’est la nuit et qu’on y voit mal. D'ailleurs, la matière noire n’est non pas tant noire que transparente.
- 68,3% d’Énergie sombre… Là, c’est mystère et boule de gomme  !  On suppose que… Faudrait que ça soit comm’ci… Ça expliquerait que certains trucs se passent comm'ça… Les milieux informés s'autorisent à penser que… 
Et ça me fait rudement mal aux miches, ‘tain ! Tout ça commence à furieusement ressembler aux Équants de Ptolémée ou à l’harmonie des sphères de l’ami Pythagore, non ? Peut-être est-il temps de changer de paradigme ?
Quoi qu’il en soit, amis «Géo Trouvetou», faut arrêter de nous rendre fous, de nous embrouiller, matière noire ou pas, faut vous sortir les budgets d'où vous voulez, et trouver les moyens de nous expliquer ce bordel de façon sinon cartésienne - on a compris, vous ne pourrez pas - du moins de manière rationnelle ! Sinon tout ce merdier continuera à ressembler à de la marmelade métaphysique, et ça tu peux pas testMOZINOR.

Autrement, tu apprendras comment la jeune Annie Lannuzel, professeure de neurologie au CHU de Pointe-à-Pitre mène son enquête sur les traces du virus Zika ; tu vas aussi en savoir un peu plus sur une nouvelle régularité dans la suite des nombres premiers ; ou encore sur la pertinence de l’intervalle entre les internoeuds d’un bambou (force de flexion, etc.) ; et même comment l’olivine se déforme sous l’effet d’une force de cisaillement…

Toutes ces choses si vulgairement baryoniques et pourtant si passionnantes !

Bef, encore une fois que du bon dans ce PLS.
Merci les zamis !






Un photon sombre peut-il couler à la vitesse de la lumière ? ...