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mercredi 11 mai 2016

Le premier cercle, Soljénitsyne

Ah… Soljénitsyne !
L’autre jour, en faisant le point sur cézigue, et sûrement influencé par quelque insanité radiophonique judéo-franc-maçonnique ouie sur les ondes gouvernementales qui se forgent dans une certaine maison ronde, ce creuset de propagande bourgeoise dans lequel s'élabore la pensée unique “mencheviko-sioniste”, je m’aperçois, consterné, qu’à part «Le pavillon des cancéreux» et «Une journée d’Ivan Denissovitch» je n’ai rien lu de l’ami Alexandre ! Même pas la trilogie de «L’archipel du goulag» !  Pas plus que «Le premier cercle» ! Sans parler de la somme que représente «La roue rouge» ! Honte sur moi, misérable vermisseau contre-révolutionnaire, ennemi patenté de la dictature du prolétariat, des frites trop grasses, des salaires trop maigres et des enfants trop prodigues.
Oui mais comment faire, me demandé-je après avoir wikipédié la bibliographie du maître ? Elle est giganteste ! Bien sûr, il y a les œuvres complètes chez Fayard, à 30 sacs l’unité ; on en est au volume six, présentement. Mais je ne m’appelle pas Carlos Ghosn, mes cadets, je ne fabrique pas des Trabants «vitres électriques et GPS intégré» pour toute la planète, moi, mon assemblée générale des zactionnaires ne me vote pas une rémunération pharaonique, putain ! Faut que je calcule à 10 sacs près sur le superflu… Oui, lire est superflu, on ne te l’a jamais dit ?
Bref, je l’ai joué laborieuse et patiente, une passe gibsonienne à travers les glaces noires des data-librairies, patiemment étalée sur des semaines, tout le matos affuré d’occas chez les cyber-fourgues «Fayard & Seuil», il m’a même fallu aller dénicher Le deuxième noeud (novembre 16) de «La roue rouge» sur Le Bon Coin ! Heureusement que la mafia sicilienne à un point-relais dans le Var, et j’ai eu ce blot par l’oncle Antonio… (- le frère de Berthe ?).  

Et me voila sur le pas de tir de Baïkonour (Kazakhstan), juché sur une énorme accrétion de textes gyrocentrés sur la vie du zek (valide au scrabble !) Soljénitsyne ; des milliers de pages écrites tout petit, petit ; des milliers d'annotations toutes plus indispensable les unes que les autres ; la Russie du XXe siècle en pleine gueule… brrr, souvent il caille à mort ! La face ontologiquement impure de cette fameuse âme slave. Un hymne à OuroborosW, ou la tragédie moderne de l’autophagie sous le règne des Tsars Rouges.

Le premier cercle.

Qu’est-ce que le premier cercle dans l’univers du goulag soviétique ?
C’est un chapelet d’îlots carcéraux dévolus aux scientifiques (charachka) et disséminés dans tout l’archipel du goulag. Des centres de détention où Staline enfermait les «savants» (ok, savants, mais ennemis du peuple, hein ?) et les faisait trimer gratis pour le progrès, la gloire de l’Empire Soviétique et le bien-être matériel du peuple (Lui et sa clique).
Là, je cède le clavier à Alexandre (p 22, Fayard, Oeuvres complètes, Tome premier).
Un nouveau zek, qui jusqu’à présent n’a traversé que des camps très durs, atterrit au laboratoire d’acoustique de la Charachka de Marfino (banlieue de Moscou). Dialogue avec un ancien (Lev Grigorievitch):
...
- Vous savez, Lev Grigorievitch, cet afflux d’impressions, ce changement d’atmosphère me tourne la tête. J’ai vécu jusqu’à cinquante-deux ans, je suis revenu d’une maladie mortelle, je me suis marié deux fois, mes femmes étaient jolies, j’ai eu des fils, je me suis fait éditer en sept langues, j’ai été lauréat de plusieurs académies, mais je n’ai jamais connu le bonheur béat que j’éprouve aujourd’hui. Où suis-je tombé ? On ne me forcera pas demain à patauger dans l’eau glacée ! 40 grammes de beurre ! Du pain noir à volonté ! Les livres sont autorisés ! On peut se raser soi-même ! Les surveillants ne cognent pas sur les zeks ! Quel est ce grand jour ? A moins que je ne rêve ? Je crois être au paradis !
- Non, très cher. Vous êtes toujours en enfer, mais vous vous êtes hissé à son cercle supérieur, le premier dans tout les sens du mot. Vous demandez ce qu’est la Charachka ? Si vous voulez, c’est un phantasme de Dante. Il en crevait, de ne pas savoir où fourrer les sages de l’antiquité. Son devoir de chrétien lui enjoignait de jeter ces païens en enfer. Mais sa conscience d’homme du Quattrocento ne pouvait se résigner à mélanger ces héros de l’esprit au tout-venant des pécheurs, ou à leur infliger des peines corporelles. Aussi Dante leur a-t-il réservé une retraite dans l’enfer.

Tu le comprends maintenant, farang-stalinien, les charachkas étaient les lupanars du goulag dans lesquelles l’élite des ennemis du peuple se gavait de pain noir et passait son temps à ourdir des complots contre l’aimable locataire du Kremlin...

Je déconne, bien sûr, la charachka de Marfino était une vraie prison, un domaine où l’arbitraire restait roi et la hiérarchie insensée ; un système fou sur fond de secrets atomiques, d’écoutes téléphoniques et de paranoïa extrême de L’ogre rouge ; c’est aussi une gabegie incroyable dans la gestion des hommes et des moyens ; une corruption incontrôlable à tous les étages et cependant, des histoires d’hommes, d’amitiés et d’amours impossibles… toujours très vite lacérés par la cupidité, la lâcheté et la méchanceté des bourreaux.
Voila, c’est la trame de cette première immersion dans le rouge du royaume au petit père des peuples, en 1949.
Et tout au long de ces 670 pages, on sent que c’est du vécu !
Un style à l’humour féroce et désespéré, un récit peut-être moins dense qu'Une journée d’Ivan Denissovitch, mais il s'agit d'un roman plus gros et plus élaboré qui enchaîne une série d’événements «historiques» soigneusement détaillés (l'acquisition de la bombe atomique par les Russes, par exemple) et une remarquable profondeur dans la psychologie des personnages ; tu passeras même tout un chapitre dans la peau de Staline ! 
Du grand Soljénitsyne.
Un régal !

Bon, maintenant on va rentrer dans le dur : L’archipel du goulag en approche...







Picasso est espagnol – moi aussi.
Picasso est un génie – moi aussi.
Picasso est communiste – moi non plus…
Salavador Dali

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