Aubrey-Maturin, t. 10
Bon, nous voila dans le film Master & Commander.
Peter Weir a compilé nombre de situations et de personnages connexes à l'ensemble des aventures de Jack, mais le squelette, non pas tant narratif qu’amariné, de ce film est décidement issu de ce dixième épisode.
Ok, ok, le Norfolk américain c’est transformé en Archeron (chiens de Français !) et même toi, pathétique-farang-zélateur-de-la-quenelle, tu comprendras qu’il était bien plus séant (le producteur te dira mainstream) et surtout plus judicieux pour la Twentieth Century Fox Film Corporation de ne pas rappeler aux populations anglo-saxones (coeur de cible du produit) que les rosbeefs et les yankee étaient en guerre entre 1812 et 1815.
Ceci étant dit, que le cul me pèle et que le diable me patafiole si je continuais à dégoiser sur ce film car c’est une merveille, un pur, un noble et aimable objet maritime… c’est presque mieux que Thalassa !
Ce film a pulvérisé les représentations gestaltiques que je me faisais des personnages quand, légèrement plus jeune, je lisais les aventures de Jack et Stephen.
Sans dec, je ne me souviens même pas de la tête que j’avais imaginé pour Jack quand j’ai lu la série pour la première fois, car après le film il me fut structurellement impossible de ne pas comprendre que Russel Crow c’est Jack Aubrey, que Paul Bettany est un admirable Stephen Maturin, que David Threlfall est le fidèle Preserved Killick, etc.
Le livre maintenant.
Donc direction de l’autre côté du monde, et d’ailleurs assez tristement pour commencer car il s’agit peut-être du dernier armement officiel pour cette bonne vieille Surprise et son si aimable équipage…
Départ de Gilbraltar ; un début de voyage atroce. Le midshipman Hollom est un Jonas ; le canonnier a embarqué sa jeune et belle femme avec lui au grand dam de Jack ; un coup de chien après le pot au noir amenera tout ce petit monde à s’échouer sur la cote Brésilienne, à perdre du temps ; le passage du Cap Horn d’est en ouest sera une épreuve terrible qui obligera la Surprise à faire route au sud jusqu’à tutoyer les soixantièmes mugissants avant de pouvoir refaire cap au nord-ouest, vers le Chili ; après les Galapagos, et toujours aux trousses du Norfolk, Jack et Stephen vont presque se noyer en plein pacifique en tombant nuitamment et incognito du navire ! Ils seront ensuite à deux doigts de se faire dévorer par la bande de furies radicalement saphiques qui les recueilleront à bord de leur pahi…
Et il retrouverons le Norfolk...
Et Stephen va frôler la trépanation !
Et...
Quel voyage mes amis, quelle aventure, quel livre !
Toujours, avec Patrick O’Brian, cette volonté de nous imprégner de la science qui consiste à mener au plus juste un navire de Sa Majesté, science qui en l’occurence confine à l’art :
En temps ordinaire, Jack aurait établi les cacatois et probablement les bonnettes ; aujourd’hui il se contenta d’amener le foc et la bonnette d’artimon, de carguer la grand-voile, d’apiquer la vergue de petit hunier et de poursuivre, sous civardière, misaine, bonnettes de hune de misaine et bonnettes basses, grand hunier et grand perroquet avec bonnettes de chaque côté.
…
Un soin méticuleux pour les plus prosaïques précisions navales :
Un navire de guerre, même de sixième rang, exigeait une quantité étonnante de matériel naval, et chacun des guerriers qu’il portait avait droit chaque semaine à sept livres de biscuit, sept gallons de bière, quatre livres de boeuf et deux de porc, deux pintes de pois, une pinte et demie de flocons d’avoine, six onces de sucre et autant de beurre, douze onces de fromage et une demi-pinte de vinaigre, sans parler du jus de citron, des quantités énormes d’eau douce nécessaires pour faire tremper la viande salée, et des deux livres de tabac par mois lunaire [...] une masse considérable lorsqu’on multipliait par deux cents.
…
En contrepoint des nuits océanes, le violon de Jack répondant au violoncelle de Stephen :
Leur vieux Scarlatti en ré mineur et une série de variations sur un thème de Haydn qu’ils échangèrent avec d’agréables improvisations l’entraînèrent encore plus loin...
…
Toujours les urgences de la chose maritime :
Et je ne saurais trop insister, Mr Lamb, pour vous pénétrer de l’idée qu’il n’y a pas une minute à perdre : mettez tout le monde au travail accéléré.
...
Ou bien le portrait fort peu marin de ce cher et impayable Stephen Maturin :
Malgré de nombreuses années passées en mer, le docteur Maturin n’avait pas acquis la moindre teinture de qualités marines. Il avait réussi à diverses reprises à tomber entre le canot qui le transportait et à peu près n’importe quel type de navire ou de vaisseau de la Royal Navy ; il était aussi tombé entre une dghajsa maltaise et un solide quai de pierre, et entre l’escalier de Wapping et un bac de la Tamise, sans même parler d’embarcations instables ; cette fois, bien que le Caledonia ait gréé une large échelle de coupée, sorte d’élégant escalier doté de garde-fous et de rampes en cordage couvert d’étamine rouge, et bien que la mer fut parfaitement calme, il réussit presque à plonger dans l’étroit interstice entre la première marche et la suivante et, de ce fait, sous le flanc du navire. Mais Bonden et Doudle, nageur de tête, étaient habitués à ses fantaisies : ils le saisirent franchement et le reposèrent tout jurant sur les marches, sans rien de plus grave qu’un bas déchiré et un tibia un peu écorché.
...
O’Brian au sommet de son art, un roman de lait et de miel pour tous les matelots entre sept et soixante dix-sept ans.
Merci.
La Surprise |
Je vous suggère de vous dé-cap-hornifier rapidement...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire