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dimanche 6 décembre 2015

À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Proust

À la recherche du temps perdu II

Je me régale… 
Comme quoi une sereine obstination à parfois du bon.

Attention cependant, je ne dis pas que je me ballade, pfiouuu… loin de là, l’ami Marcel a une écriture des plus exigeante, une vigilance relativement soutenue est recommandée pour survivre à, disons-le, la pression de la colonne d’eau qui te pèse forcement très vite sur les épaules, le neurone, les poumons, etc. ; non, il te faudra, et telle est ta mission si tu l’acceptes, rapidement travailler tes apnées de la lecture, pour tenir la distance, et surtout ne pas bouder ton sens de l’émerveillement à t’immerger, de réalité pointilleuse en rêves sensationnels, au sein de tous ces paysages visuels, olfactifs, tactiles, et presque dotés d’une certaine auditude, de sorte qu’il te soit loisible de trôner, tel un Poséidon maître en son royaume, et de découvrir quelques féeries, merveilleuses et sub-aquatiques, préparées à ton intention par le noble peuple de la mer.

Sans dec’, ou tu te noies, ou tu te régales avec l’ami Proust. 

Je suppose que ce qui m’a le plus désarçonné, dans ce début de la Recherche, c’est que nous n’avons pas à faire à un roman “classique”, pas plus qu’à un essai, d’ailleurs. C’est écrit en prose, bien sûr, et pourtant ça confine à la poésie. Il s’agit d’une mosaïque, et je ne doute pas qu’à la fin, avec quelques pas de recul, on aura la fresque d’une époque, d’une société et des individus qui la composent. C’est aussi et sans doute ce que l’on a pu peindre de plus beau et de plus juste dans la plus belle des langues ; quel virtuose du stylo-plume ce Marcel ! Plus on avance dans ce deuxième tome et plus on comprend tous les indices et les petits détails, souvent à peine entrevus, qui parsemaient le premier livre (Du côté de chez Swann). Je subodore que chaque opus de la Recherche n’est non pas tant un livre à part entière que le chapitre d’une totalité, pour l’instant à mes yeux inconnue. Il vaut donc mieux s’imaginer lire un énorme roman doté de sept chapitres.

Première partie, Gilberte Swann:
A priori, rien ne me disposait à goûter si pleinement cette façon précieuse et sophistiquée de s’inviter à bord des premières amours du narrateur. Bien sur elles sont complexes et à géométries variables ses premières amours, on le pressent dès le premier opus ; depuis tante Léonie ou sa grand-mère, et sa mère, assurément, jusqu’à la jeune et fascinante Gilberte Swann, la première jeune fille qui vole son coeur… Il y a même la complaisance ambiguë de ses sentiments à l’encontre de Odette, la mère de Gilberte ; il y a aussi l’ascendant qu’exerce depuis toujours Charles Swann sur notre jeune et imaginaire bourreau des coeurs…
Tocade ! pourraient annoncer certains mammifères omnivores et matutinaux, à propos de cette première partie consacrée à la relation tortueuse que le personnage principal (Marcel?) entretien avec la fille des Swann, cette chère Gilberte.
Un amour d'enfance lié aux circonstances, une chose précieuse et subjective, en somme ; des êtres, des événements, une histoire, et les conventions bourgeoises qui figent temporairement les situations, hoquetant dans une pavane de la vie amoureuse, vaines gesticulations d’un jeune homme non pas tant sujet à la sensibilité, que victime d’une sensiblerie maladive.

Deuxième partie, le voyage à Balbec.
Ça démarre secos, l’angoisse du départ, presque de la fébrilité, la peur viscérale de s’éloigner de sa mère, si bien qu’au début j’ai cru que le jeune et souffreteux héros(?) s’embarquait, avec sa grand-mère, pour un voyage en Turquie, au moins ! Mais ne rêve pas, farang-baroudeur, Balbec n’est qu’une petite localité imaginaire de Normandie qui ressemble à Cabourg (Calvados). Une sorte de petite ville balnéaire où les snobinards parisiens viennent reproduire leurs vilaines habitudes ségrégationnistes et louis-philippardes durant quelques semaines d’été.
Que du beau monde au Grand Hôtel de Balbec, la valse des personnages, ou brièvement évoqués précédemment, ou surgissant au détour d’une promenade sur la jetée. Sans conteste une brillante étude de moeurs qui frôle parfois l’ethnologie la plus pointue ; comment est-on juif dans la brillante société au début du XXe (famille Bloch, je veux le Père…) ? quels quartiers de noblesse faut-il revendiquer pour avoir accès aux soirées de la Marquise Madeleine de Villeparisis ? et que penser de ce fameux Robert de Saint-Loup, ce noble rouge, ce si volontiers camarade, et élève à l’école de Cavalerie de Doncières ?

La pauvre Gilberte est désormais bien loin...

Troisième partie :
Un jour, à Balbec, et telle une volée de moineaux chamailleurs, une troupe de jeunes filles délurées attire l’attention de notre jeune homme cacochyme ; des filles décidées et insolentes qui tranchent sur le prout-prout habituel des jeunes personnes de «bonnes familles» auxquelles il s’est habitué durant la première partie de son séjour balnéaire.
La bande est composée de Andrée, Gisèle, Rosemonde, et de son prochain grand amour :  Albertine. Les voila les jeunes filles en fleurs, et il va butiner la saveur de chacune pour finalement se fixer sur la fameuse Titine, non sans avoir tergiversé et faussé les pistes avec Andrée ; il n’est pas simple ce garçon et, comme tous ceux qui s’écoutent beaucoup, il ignore la ligne droite.
N’oublions pas l’influence du peintre Elsir qui suscitent de nombreuses pages sur l’art, la couleur, les portraits, les fleurs, la mer, l’esthétique, la subjectivité de la beauté, und so weiter… un mille-feuille d’une complexité et d’une précision folle, on commence à s’habituer.
On découvre aussi qu’il a vite fait de délaisser son ami Saint-Loup pour ne plus passer son temps qu’à draguer les gonzesses, ce qui ne laisse pas de s’interroger sur la versatilité du coeur des hommes dès lors que les gonades prennent le pas.
Encore une fois, le génie de l’ami Marcel dissèque les mécanismes sous-jacents qui nous animent, et, sous les scialytiques de sa plume chirurgicale, tous ces petits bidules vitaux, toutes ces petites parcelles d’existentialisme éparpillées, prennent l’acuité douloureuse des choses qui passent de l’ombre à la lumière. On commence à se deviner dans le miroir qu’il nous tend. Il y a des moments où c’en est presque gênant.

Bravo l’artiste !

Je continue ma plongée vers le troisième palier «Le Côté de Guermantes», sans me mettre la pression... ce qui me laissera un peu de temps pour régler son compte à un certain retraité, oisif et crypto-maoïste, qui ferait mieux de savoir une bonne fois pour toute que c’est “Lui” qui est en charge de surveiller les nouveautés de l’ami Qiu Xiaolong !


 
©David Richardson
  
 




Albertine, mon amour...

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