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samedi 27 février 2016

Deux années sur le gaillard d’avant, Richard Henry Dana

[...] en 1834, il (Richard Henry Dana) s’engagea comme simple matelot sur un voilier de commerce à destination de la Californie - qui, à l’époque, était encore une province lointaine et à demi sauvage du Mexique - pour un  voyage de quelques deux ans, en passant par le cap Horn. Il avait dix-neuf ans.
(Introduction, Simon Leys)

Tu vois le parcours moussaillon ? Boston San-Francisco via le Horn, aller et retour ! Et rappelle-toi qu’à cette époque la Californie n’était pas le synonyme de «Silicon Valley», non, on était encore au temps où le sergent Garcia essayait vainement d’attraper Don Diego de la Vega, «renard rusé qui fait sa loi».  

Plein la gueule, farang-patrick-O’brianophile, que tu en prendras des paquets de liquide iodé, des embruns, du pot au noir, de l’alizé, du gros temps, des coups de tabac à t’en faire péter les huniers, de l’enfer glacé du cap Horn, etc.  
Avec ce bouquin, tu as dans les pognes une ship’s log de plus de six cents pages écrite depuis le gaillard d’avant, et, si comme moi, tu étais plutôt habitué à voyager à l'arrière, dans la cabine de Jack Aubrey, à jouer du violon avec Stephen Mathurin pendant que Killic t’apportait des toasts au fromage arrosés d’un pot de café très fort, et bien tu vas trouver du changement, en apprendre un peu plus sur la lutte des classes, mon cadet, sur les humeurs assassines d’un capitaine - seul maître à bord - et sur toutes les misères maritimes endurées par les forçats du gaillard d’avant pour trimbaler des peaux de bœufs à travers deux océans. Un voyage de deux ans sur deux navires : le brick Pilgrin, et le trois-mâts carré l’Alert.

Cela dit, ce récit, sis à l'apogée de la marine à voile, pourra te sembler relativement hermétique si tu es l’indécrottable terrien que je subodore car le vocabulaire afférent, bien qu’extrêmement poétique, n’en demeure pas moins assez abscons, heureusement, ce livre possède une quinzaine de pages entièrement dévolues à un glossaire minimum qu’il te faudra au moins survoler pour devenir un parfait matelot de sorte que tu n’ignoreras plus rien sur : «Abattre : ou faire une abattée, arriver, laisser porter ; faire tourner un voilier du côté opposé à celui d’où vient le vent ; pour un navire qui marchait au près, c’est l’écarter du lit du vent.», ou encore : Affaler, Amure, Barrot, Bonnettes, Contre-cacatois, Estrope, Galhauban, Hale-bas, Pantoire, et autres Rabans ou Rocambeaux...

Un régal pour le marin !
Un récit sobre et factuel.
Une initiation.

Passage du Cap Horn
(by James. E. Butterworth)




Faut pas mollir matelot…

mercredi 24 février 2016

Montesquieu, Les vendanges de la liberté, Jean Lacouture

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu.

Voilà, puisqu’il sera dit que je me tape le parcours à l’envers, j’en arrive à la première étincelle qui embrasa le siècle des Lumières :
Montesquieu.
C’est le début de la fin pour la vision ecclésiale du monde. Louis XIV fait chier avec ses guerres de religions et ses lubies de domination, toutes l’Europe est fatiguée de ce roi vindicatif, qui ferraille avec tous ses voisins car toutes ses conneries solaires ne sont pas bonnes pour le commerce. Et le commerce il ne connaît que ça l’ami Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu ; son truc à lui c’est le pinard - c’est un bordelais, un vrai viticulteur et ça lui fout les boules s’il ne peut plus vendre son pif à ses meilleurs clients : les rosbeefs.

Un aristo agricole, élevé chez les paysans et les curés, lecteur insatiable, viticulteur et président du Parlement de Bordeaux, et dont tout le monde se moque dès les premières fois où il met les sabots à Paris. C’est vrai qu’il devait détonner dans les salons avec son accent bourru de paysanas ; il dut passer pour un extraterrestre chez les snobinards poudrés et enrubannés. Une expérience dont il tira cependant les «Lettres Persanes» car bien sûr, Usbek et Rica, les deux voyageurs persans et épistoliers qui visitent nos contrées et nos mœurs, c’est lui !
C’est un malin, il n’édite pas sous son nom et fait tirer en Hollande, mais la mèche va assez vite être vendue. En attendant la critique a porté, et ses lettres Persanes lui apportent la notoriété ; plus personne ne se moque de lui, son accent n’est plus rédhibitoire, au contraire c’est devenu une charmante particularité : 
---> hardi sur les gonzesses ! 
Ensuite, entre deux vendanges et deux frangines, il fait comme son vin, il voyage, mûrit et se bonifie. Très souvent à Paris, ensuite l’Europe ; Autriche, Hongrie, Hollande, l’Italie à fond, et finalement Londres.
Quand il rentre dans l'âge, certes il est presque aveugle, mais il est mûr pour nous pondre «L’esprit des Lois», (1748).

Bon, je te l’ai faite courte, c’est plus compliqué que ça, et puis c’est une biographie de Jean Lacouture, et tu connais l’ami Jean maintenant, tu as compris qu’il ne fait pas dans le prêt-à-porter, c’est un exubérant le Jeannot, un créateur, il échafaude, fait des parallèles, démontre presque la relation putative qui existe entre Montaigne et Montesquieu, malgré le siècle et demi qui les sépare, c’est presque de l’histoire comparée.

Bref, ce Montesquieu de Lacouture est un très bon cru où Montesquieu n’apparaît pas toujours sous son meilleur jour (ses façons frôlaient parfois la pingrerie, par exemple), mais où il ressort bien que :
«L’esprit de l’Encyclopédie est en lui. On l’aime ainsi...»
(page 179).

Bravo et merci à l'ami Jeannot et à Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu.






 «Elle est gouleyante cette vinasse , quoi qu’un peu clairée !»
(©Jacquouille)

samedi 20 février 2016

Souvenirs et solitude, Jean Zay

Il y a comme ça des gens qui forcent le respect, de parfaits honnêtes hommes qui mettent leurs discours en actes et dont la vie, même sous la loupe la plus intransigeante, reste parfaitement «exemplaire».
Exemplaire, voila bien le mot qui te restera, farang-milicien, après la lecture poignante de ce «Souvenirs et solitude».

Avocat, député radical-socialiste du Loiret à 27 ans, première fois ministre à 32 ans, puis ministre de l’Éducation Nationale dans le gouvernement de Léon Blum, il représentait tout ce que par la suite la crapule vichyssoise abhorra le plus : un agnostique, juif par son père, protestant par sa mère, ouvertement franc-maçon, ministre du Front Populaire, et farouche anti-munichois de surcroît.
Durant les quarante-quatre mois où il fut en charge du ministère de l’Éducation, on lui doit, entre autre, l’introduction de l’hygiène à l’école, de l'obligation d’y garder les enfants jusqu’à quatorze ans, de l’éducation physique, de l’orientation, de l’apprentissage, de la formation professionnelle, il crée aussi le CNRS, le Musée de l’Homme, le musée d’Art Moderne, le Festival de Cannes, l’ENA, etc., que ça mes cadets ! Ça laisse rêveur sur ce que peut un ministre combatif. 
La guerre étant là et par solidarité avec sa classe d’âge, il démissionne en 1939 pour rejoindre son bataillon en tant que sous-lieutenant ; c’est «la drôle de guerre» jusqu’en 1940.
Puis vient l’armistice ; il est un temps envisagé que le gouvernement se rapatrie à Alger et ses membres les plus hostiles à l’armistice, dont Jean Zay, Mendès France, Viénot et Wiltzer, entre autres, sont curieusement bloqués à bord du MassiliaW.
Arrestations, simulacres de procès, lourdes peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée (?) pour Jean Zay.  
1941, la prison du Fort Saint-Nicolas à Marseille, à la «dure», puis quelques mois plus tard, transfert à la Maison d’Arrêt de Riom, de laquelle il ne ressortira qu’en 1944, pour monter dans la voiture des trois sordides crapules fascistes : Develle, Cordier et Millou qui, agissant sur ordres de DarnandW, allèrent le flinguer dans le bois de Cusset, près de Vichy, et ensuite jetèrent son cadavre au fond d’un ravin surnommé “Le puits du Diable” !
Bilan de la guerre pour Jean Zay : quatre piges de celotte en sus des attaques permanentes de la plume fielleuse de Philippe HenriotW, et au bout, un 20 juin 1944, une rafale de mitraillette en travers du corps...

Heureusement pour le futur, c’était un homme d’écriture et pendant sa sordide incarcération, d’une plume sobre, très précise et talentueuse, il va tenir ce journal où s’entremêlent les événements factuels de sa pitoyable condition et les souvenirs de sa vie d’avant la guerre. Cette série de flash-back dans les coulisses du gouvernement du Front Populaire est tout bonnement passionnante et c’est la meilleure initiation qu’il soit possible d’avoir pour pénétrer dans les arcanes du gouvernement de combat que la France se donna en 1936.
Bien sûr, tu vas aussi en apprendre un rayon sur les conditions de vie des prisonniers de Vichy ; nature de ces derniers - les politiques, les droits communs, leurs habitus et autres tropismes induits par leur condition ; les us et coutumes des gardiens, des directeurs, leurs états d’âmes, leurs rigueurs ou bienveillances ;  bref, une parfaite étude sur le statut de prisonnier politique durant les «grandes heures» in Frankreich que, peu après, un Michel Foucault ne put ignorer en écrivant son «Surveiller et punir». 

Un livre remarquable d'un homme qui ne l'était pas moins et il est évident qu'un tel géant ne fera pas honte à la gueuse, notre chère République, si désormais il repose au Panthéon, n'en déplaise aux pisse-froid qui trouvèrent à y redire.

À lire et faire lire de toute urgence... 

Et surtout merci à l’ami Pariçounet, le noble papa putatif de ce livre qu’il me prêta.
Tout cela m’a donné une furieuse envie d’en savoir plus sur le Front Populaire...


Jean Zay, par Ernest Pignon-Ernest





Aux grands hommes la patrie reconnaissante...

jeudi 18 février 2016

Charlie Hebdo N° 1230, 17 Février 2016

Un Charlie Hebdo de la meilleure facture que celui d’hier et dont un remarquable article de Guillaume Erner m’a étrangement renvoyé au non moins remarquable blog du Vieux Bill® et surtout à ce qu’il y écrit en ce moment. 
Je profite aussi de ce commentaire pour ouvrir une parenthèse : “(“, et faire mon mea culpa, rapport à Gui-gui Erner, pardon, à (Gui)2, pour les lecteurs Texas-Instrument (je sais, les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître...mais tous ceux qui vécurent la transition «règle à calcul / TI 58W» savent de quoi je parle) ; ouais, il y a quelques mois, j’avais mal apprécié de ne plus trouver Marc Voinchet aux manettes des Matins de France Culture, et je l’avoue franchement, je l’ai eu à la caille pendant un petit moment, pas toi ? C’est que je l’aimais mon Marco, moi.
Et puis finalement, passé la contrariété d’un changement d’habitude, j’ai apprivoisé la voix et les manières de ce nouveau zèbre ; l’ami Guillaume se défend comme un chef, et force m’est d’en convenir, Les Matins sont vachement bien draïvés ; fin de la parenthèse sus-ouverte, “)”.  
Sur ces entrefaites, Ô surprise, une nouvelle signature dans Charlie : Guillaume Erner… Mais il est partout c’est animal ! Et c’est tant mieux car si Charlie c’est bien, avec la touche Guillaume Erner, c’est mieux.

Puisque j’en en ai fini avec cette interminable préambule, je te rapporte ci-dessous l’article en question en supposant que tu ne l’as pas déjà lu, ou que tu louperas l’occasion de le lire.

Charlie Hebdo d’hier, donc, bas de page 6.
Rubrique :    Progrès social

Le Haut-Rhin à l’assaut du cancer du RSA

Puisque l’on ne parvient pas à lutter contre le chômage, pourquoi ne pas lutter contre les chômeurs?

Ce mois-ci, la lutte contre le cancer a enregistré un progrès important, la lutte contre le cancer de l’assistanat. C’est ainsi que le conseil départemental du Haut-Rhin a décidé de demander aux bénéficiaires du RSA de travailler sept heures par semaine en échange de cette prestation. Enfin, «travailler», c’est un grand mot, puisque l’on a tendance à dire que «tout travail mérite salaire». Or, ici, ce travail ne donnerait droit à aucune rémunération. Je dis bien aucune, puisque le RSA n’est en rien un salaire, c’est un droit. La différence : un salaire est conditionné, un droit ne l’est pas. Or le RSA appartient à ces dispositifs censés venir en aide aux pauvres, aux «bons» pauvres comme aux «mauvais».
Pour nos camarades du Haut-Rhin, le versement du RSA devrait être conditionné à du bénévolat. Encore que le terme ne soit pas vraiment adéquat, puisque, d’ordinaire, les bénévoles sont des volontaires qui se mettent au service de la communauté. D’où l’alternative suivante. Si l’on requiert des pauvres qu’ils produisent un travail utile à la communauté, on recréé peu ou prou un statut familier : celui de la fonction publique. En effet, ceux que la collectivité rémunère en raison de leur utilité sociale ont un nom : ce sont des «fonctionnaires». Le conseil départemental du Haut-Rhin est-il trop pudique pour dire qu’il compte augmenter le nombre de fonctionnaires ? À moins que les bénéficiaires du RSA ne soient condamnés à effectuer sept heures de travail inutile. Dans ce cas, il s’agirait d’une nouvelle manière de casser des cailloux à Cayenne, d’ailleurs, là, ça ne ne se passerait pas à Cayenne, mais à Colmar, puisque c’est une idée, je vous le rappelle, du conseil départemental du Haut-Rhin. Et ce travail inutile viserait principalement à rappeler à ces pauvres qu’ils sont des salauds de pauvres.

La chasse aux pauvres.

Soyons magnanimes : on n’a pas attendu cette décision courageuse du Haut-Rhin pour assimiler les pauvres à des assistés devant sortir de leur état. En réalité, la totalité des mécanismes d’assistance conçus depuis la Révolution française partent implicitement de ce postulat, et c’est pourquoi d’ailleurs leur montant est si bas. Le RSA permet peut-être de vivre, il ne permet pas de le faire confortablement. Ce n’est pas un hasard, mais un calcul délibéré : rien, dans les mécanismes d’aide aux moins aisés, ne doit les encourager à demeurer dans leur situation. Si l’on double la modestie de la pension par une obligation de bénévolat, on créé en quelque sorte une double peine.
Et cette double peine pose d’autant plus problème que le travail qu’elle implique semble n’avoir aucune utilité collective. Alors, certes, les économistes néoclassiques tiennent le travail pour «désutile». Par ce terme, ils signifient que Homo economicus, en l’absence de rémunération, cesse généralement de travailler. Mais ils ne veulent en aucun cas dire que le travail ne sert à rien ni à personne. Si tel était le cas, cela impliquerait que le travail peut parfaitement être dénué de productivité - exemple, casser des cailloux à Colmar. Un travail qui ne servirait pas à produire, mais à occuper les gens ? C’est là que le Haut-Rhin rejoindrait la Corée du Nord.
Ce que ce conseil départemental propose est l’inverse de ce que proclamait l’économiste Adam Smith, l’un des premiers théoriciens de l’économie libérale, lorsqu’il parle du boulanger. Selon Smith, le boulanger tire sa subsistance de la rencontre de son égoïsme - il veut nourrir les siens - et d’un besoin collectif - les autres veulent se nourrir. En d’autres termes, c’est parce que le pain a une utilité sociale que le boulanger peut en vivre. Voilà pourquoi l’invention du Haut-Rhin a toutes les chances de rejoindre le cortège des vraies-fausses bonnes idées contre le chômage.
Mais s’il fallait poursuivre la chasse aux pauvres, on pourrait aller plus loin : d’autres mécanismes pourraient venir raffiner l’invention. Dans ces conditions, pourquoi ne les taxerait-on pas ? Comme cela, ils se débrouilleraient peut-être pour devenir riches.

Guillaume Erner


Hein ?



Merci ami Guillaume et encore bravo à Charlie et à France.Cul d’avoir sélectionné ce parfait demi d'ouverture.

©L’Obs



Guillaume Erner...

lundi 15 février 2016

Les naufragés du Batavia, Simon Leys

Suivi de Prosper

Encore une fois nous voici confronté à la plume aiguisée de l’ami Simon Leys.
Avec le premier récit, il vient nous instruire sur ce qui advint de l’équipage du Batavia, ce fameux navire de la glorieuse Compagnie hollandaise des Indes orientales (Vereenigde Oost-Indische) qui fit naufrage au sud-est de l’Australie en 1629.
Les trois cents passagers et membres d’équipage qui échappent à la catastrophe se précipitent dans les griffes du pire d’entre-eux : le subrécargue du Batavia, Jeronimus Corneliszoon (Cornelisz), apothicaire ruiné dans sa précédente condition.
L’histoire incroyable de toute une communauté qui tombe sous la coupe d’un psychopathe secondé par une poignée de criminels.
En trois mois de temps, l’ignoble Cornelisz fera assassiner des dizaines de personnes par ses séides, si bien qu’il ne restera plus que soixante-dix passagers, dont seize de leurs bourreaux quand les secours arriverons.
Bien sûr, ça va très mal se finir pour les méchants quand la maréchaussée déboulera, mais je te laisse découvrir tout cela par toi-même.

L’ami Simon nous avertit cependant d’entrée que son petit pensum n’est qu’un résumé de l’affaire car quand il voulut se mettre à écrire cette histoire pour laquelle il avait déjà accumulé pas mal de doc, Mike Dash venait de sortir son Batavia’s Graveyard (L’Archipel des hérétiques), et qu’il n’y avait plus rien à rajouter tant ce dernier livre lui paraissait parfait.
Tu me connais, farang-lebouteilliste, et tu penses bien que je me suis empressé de farfouiller dans tous les espaces réticulaires, scalaires et non triviaux, pour trouver cette merveille : des nèfles ! pas de version “poche” accessible, dis donc ! Une version brochée à 19€ et basta ! ‘tain, écrouler vingt sacs sur un bouquin, c’est des trucs que je ne m’autorise plus qu’une ou deux fois l’an… bon, trois-quatre, disons, mais je garde ça pour les urgences, genre l’ami François Baranger sortirait, à la surprenante, un Dominium Mundi III, mais autrement, non, je ne lâche plus l’oseille comme pendant les “Grandes heures”, c’est la crise ! Cela dit, j’ai trouvé «Deux années sur le gaillard d’avantW» de R. H. Dana, traduit par Simon Leys en 1990, pour moins de dix balles et où il m’est avis qu’on va prendre sa dose d’embruns salés… 


Prosper

Deuxième partie de ce petit bouquin. Il s’agit du très maritime récit d’une expérience que fit Simon Leys alors qu’il était jeune homme (1958) : il s’embarqua pour la durée d’une «marée» sur un des derniers thonier à voile breton, le Prosper.
La vie simple et rude des forçats de la mer… 


Batavia



  
Il était un petit navire...

mercredi 10 février 2016

Revue des deux mondes, février-mars 2016

Voila le petit dernier de mes abonnements, la plus ancienne revue du vieux monde ; premier numéro sorti en 1829, sous le règne de ce salaud de Charles X, je crois, puisque les Trois Glorieuses (Révolution de juillet) c’est 1830 ! T’imagine la tranche d’histoire qui nous contemple ?
Mais c’est catalogué néo-réac ! me diras-tu, homo-badiousensis, et ce n’est pas entièrement faux car je me souviens encore que Proust les avait déjà trouvé très “neutre” lors de l’Affaire@Dreyfus.fr, mais tu conviendras que tout cela n’est qu’une question d’équilibre, et en ce qui me concerne, mon barycentre de gravité est sis entre un Médiapart, le Canard et la Revue des deux mondes, disons.

Le sujet de ce numéro : Les bien-pensants, de Rousseau à la gauche “morale”, l’histoire du camp du bien.

Je sais, farang-du-NPA, tu ne vas pas être content de moi car je ne te cacherai pas que l’article de Jacques Julliard, “Aux origines de la gauche morale”, est une petite merveille d’horlogerie et, tout bien pesé, je suis très séduit par son analyse ; et que penser de celle de l’excellentissime Jean-Pierre Le Goff, “L'hégémonie du camp du bien battue en brèche”, sur le «gauchisme culturel» ? Et Laurent Joffrin qui réplique avec un bon “Vive la bien-pensance”, hélas vite contré par l’extraordinaire uchronie “Dans Libération tout est bon”, de Marin de Viry.
Bref, cent pages pour passer la «gauche» à la moulinette, on trouve même des choses signées par Philippe Val ou de Villiers !

Ceci étant, ça fait un bail que j’ai compris que la gauche “morale”, ou “pure”, comme tu voudras, à toujours été la pire ennemie de la gauche “réaliste”, car rien n’est plus intolérable à un révolutionnaire que de devoir fréquenter un réformiste.
J’espère que personne n’a oublié que la révolution Russe de 1917 n’a pas été que le fait des bolcheviks ; commencée à Pétrograd en février-mars, suite au grèves des ouvriers de l’usine Poutilov, elle fut vite dirigée par les très mensheviks Alexandre KerenskiW et Nicolas TchkhéidzéW , et ce n’est qu’en septembre de la même année que Lénine se pointa, le couteau entre les dents, et que les bolcheviks imposèrent la dictature sanglante que l’on sait. Tous ces gens étaient de gauche pourtant, mais même un mauvais flingue manié par un lascar énervé a toujours eu plus de poids qu’une bonne réforme votée par le meilleur des parlements ou comité que tu voudras. C’est comme ça, c’est toujours les plus décidés qui ont le dernier mot, à gauche comme à droite, d’ailleurs, suivez mon regard...

Bref, je me suis régalé, ce qui, je suppose, fait de moi un réac de gauche, mais tant pis : qui aime bien châtie bien !

Les autres cent et quelques pages de cette revue au format résolument «livre» sont déclinées en études, reportages, réflexions et critiques (livres, expo, musique).
Tu passes des paysages italiens, émancipateurs de la peinture d’histoire, de Marc Fumaroli, à un extraordinaire reportage sur le bouddhisme tibétain en Occident, de Marion Dapsance, en passant par un hommage à Marc Chagall…

Et pas une seule image ou dessin.
Un vénérable artefact culturel strictement écrit et à la couverture orange pétard ; elle n'est pas vieille la RD2M, c'est une demoiselle, que du bon miam-miam pour la caboche.

(Bon, tout ça n'empêche pas que je flippe un max en pensant que l'Équipe de France de Novès est possiblement capable de prendre une branlée mémorable contre l'Irlande, samedi prochain... mon honneur de menchevik-toulouse.con est en jeu !)

© {BnF
 




1er numéro de la RD2M…
(Août 1829)

dimanche 7 février 2016

Anthologie de l’humour noir, André Breton

En 1939, André Breton réunit ces quarante-six textes dans une anthologie de l’humour noir.

Ça va de Jonathan Swift à Salvador Dali en passant par Sade, Lacenaire, Edgar Poe, Baudelaire, Lewis Carroll, Charles Cros, Nietzsche, Huysmans, Rimbaud, Alphonse Allais, Gide, Jarry, Apollinaire, Prévert, etc. pour les plus connus.

Surréalisme débridé dans ce florilège d’aphorismes, de nouvelles, d’extraits de romans, de chansonnettes ou de poésies.

Il n’y a juste qu’à se laisser faire…

Lichtenberg :

Il était de ceux qui veulent toujours faire mieux qu’on ne le demande. C’est une abominable qualité chez un domestique.

Sa bibliothèque était devenue pour lui comme un vêtement qui ne lui allait plus. En général, les bibliothèques peuvent devenir ou trop étroites ou trop larges pour l’esprit.

Il s’émerveillait de voir que les chats avaient la peau percée de deux trous, précisément à la place des yeux.

Pétrus Borel:
Marchand et voleur est synonyme.

[...] Je ne crois pas qu’on puisse devenir riche à moins d’être féroce, un homme sensible n’amassera jamais.
Pour s’enrichir, il faut avoir une seule idée, une pensée fixe, dure, immuable, le désir de faire un gros tas d’or ; et pour arriver à grossir ce tas d’or, il faut être usurier, escroc, inexorable, extorqueur et meurtrier ! maltraiter surtout les faibles et les petits !
Et, quand cette montagne d’or est faite, on peut monter dessus, et du haut du sommet, le sourire à la bouche, contempler la vallée de misérables qu’on a faits.

Et encore Charles Cros avec cette comptine qu’enfant je savais par coeur :

Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
Et, par terre un hareng saur - sec, sec, sec.
Etc.

Bravo à l’ami André Breton et surtout merci au Père Hugo, mon sévère et formidable Pygmalion, pour ces quatre cents pages de balade en ces improbables contrées...


©Salvador Dali





 Le «sex-appeal» serrra «spectrrral»…

Pensées pour moi-même, Marc Aurèle

Suivies du «manuel d’Épictète»

Marc Aurèle (121-180).
Adepte de la doctrine du Portique, la vénérable école du stoïcisme créée par Zenon de CitionW, ses différents maîtres vont très tôt lui donner le goût de la lecture, de l’écriture, de la philosophie, de la musique, de la peinture, etc.
Mais notre bon Marcus Aurelius est un cumulard et au lieu de faire le phisolophe ou l’artiste, le gaillard se fait bombarder César de l’Empire Romain, le Number One de la plus puissante holding du moment : «SPQR». (riez pas, vous autres, au deuxième siècle ça équivalait à Apple, Google et Microsoft réunis !)
Hélas, dès le début de son règne c’est Les Rosbifs qui se rebellent, comme quoi c’étaient déjà des spécialistes pour faire chier le monde, ensuite il y a les fridolins du Kolonel Klink qui se soulèvent, et à nouveau : ferraille que j’te ferraille, là-bas dans le noreux... puis les Parthes, à l’est, qu’il doit aussi mater jusque sur les rives de l’Euphrate, etc. ; c’est bien simple, à par les esquimaux et les aborigènes d’Australie, lui et ses armées ont mis des branlées à tout le monde ! Et pas que ça, il lui fallut compter avec les Dieux : inondations, peste, tremblements de terre... et surtout cette petite secte de djihadistes chrétiens qui commençait à échauffer sérieusement les oreilles des honnêtes citoyens. Bref, l’ami Marc Aurèle s’est tapé une gouvernance par «gros temps», disons.

L’Empereur philosophe, justement parce qu’il était les deux, fut à la hauteur de sa tâche.
Il réfléchissait, philosophait et écrivait tous les matins, jusque sur les champs de batailles, sur les qualités nécessaires aux hommes telles que : sincérité, gravité, endurance, continence, résignation, modération, bienveillance, liberté, simplicité, austérité, magnanimité, etc., et une fois ses exercices spirituels terminés, il sortait de sa tente et allait mettre une sévère correction aux Parthes, ou donner aux lions quelques excités chrétiens.

Ses «pensées pour moi-même» sont le livre de bord philosophique où il organisait et formalisait nombre de ses réflexions :

Livre V
XXII. - Ce qui ne lèse point la cité ne lèse pas non plus le citoyen. Toutes les fois que tu te figures qu’on t’a lésé, applique cette règle

Livre X
XXXVII. - Prends pour habitude, à toute action, si possible, que tu vois faire à quelqu’un, de te demander à toi-même : « A quel but cet homme rapporte-t-il cette action ?» Mais commence par toi-même, et examine-toi le premier.

Marc Aurèle aura donc été une figure du stoïcisme dont il restera un des plus fameux représentant à la suite de Sénèque et d’Épictète.

Hélas, on ne peut pas être bon dans tous les domaines et notre Empereur philosophe a particulièrement raté l’éducation de ses propres et nombreux rejetons car tu as certainement déjà entendu parler de l’épouvantable tyran que fut son fils CommodeW qui pour le coup ne l’était pas du tout. Pauvre romains qui, après avoir eu le meilleur des empereurs, eurent le pire !


Manuel d’Épictète.

Les percepts philosophiques d’ÉpictèteW, cet autre pur produit de l’école du Portique, influencèrent Marc Aurèle, et les rares écrits qui nous parvinrent de lui trouvent justement leur place à la fin de ce livre tant est flagrante la filiation entre le maître (Épictète) et l’élève (Aurèle).
Ce manuel d’Épictète est évidemment plus radical que les pensées de Marc Aurèle car celui-ci n’eut pas les contraintes de celui-là.
Le stoïcisme d’Épictète ? Une profonde indifférence aux choses du monde.
Tant de pureté et de détachement font un peu peur, quand même...

Merci à Pierre HadotF@P pour l’initiation.





Mêm’ pas peur...