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samedi 31 octobre 2015

Le gouffre de l'absolution, Alastair Reynolds

Tome quatre du cycle des inhibiteurs.

Deux lieux et deux époques pour démarrer la conclusion de cette remarquable tétralogie : 107 PisciumW en 2615, et Pi EridaniW en 2675.

Dans un premier temps (2615), c’est embarqué à bord de l’inquiétant Gobe-Lumen “L’ascension Gnostique” que l’on s'intéressera à l’étonnant comportement de la géante gazeuse Haldora (107 Piscium) et au non moins curieux artefact qui se trouve sur un de ses satellites, Hela.

Ensuite retour vers le futur, sur Ararat (Pi Eridani) en 2675 au moment ou les Loups s'apprêtent à pulvériser les survivants de l’arche de la rédemption, le Gobe Lumen "Spleen de L’Infini" qui, comme tu t’en souviens certainement a fuit Résurgam avec des milliers de réfugiés dans ses soutes pour aller se planquer sur cette planète aquatique.
Puis tout ce petit monde va se retrouver sur Hela pour le dénouement final en 2727 (après Jean-Claude).

Bon, encore une fois, attention les yeux, il n’y va pas avec des pincettes l’ami Alastair, question techno-sciences lourdes, y met le paquet car outre la fabuleuse diversité des personnages, outre  l’intrigue et les multiples rebondissements, tous les concepts physiques et astrophysiques sortent tout droit d’un “Pour la Science” de la meilleur eau. Théorie des Cordes, univers branairesW, vitesses réalistes dans les déplacements, respect des lois fondamentales de la physique, etc. Ça frôle la perfection ; on se régale.
Certes, ça dérape méchamment vers la fin, avec les «fantômes» du futur qui jactent dans la tête de Aura, la fille de Khouri, façon Alia AtréidesW de Dune, mais bon, qu’est-ce que tu veux, farang-franckherbertien, toutes les grandes sagas de SF se doivent de finir en apothéoses, en épiphanies de futurs possibles, et en l’occurrence, mission accomplie !

Bon, s'enfiler ces quatre énormes choses qui ne titrent jamais moins de sept cents pages, n’est pas à la portée du premier farang venu, non, faut vraiment aimer ça, mais si tel est le cas, d’une part tu as un des meilleurs cycles de SF des années 2000 en pognes, et d’autre part, tu es mûr pour te taper tout ton Stephen BaxterW !

Bravo ami Alastair, et merci encore une fois pour les merveilleux quinze jours que je viens de passer avec tes Loups.

Sainte Alia

À un cheveux de Aura tu toucheras,
À mon Gom Jabbar tu tâteras.

Qu’on se le dise...

L’Arche de la Redemption, Alastair Reynolds

Tome trois du cycle des inhibiteurs.

Considérons que le tome 2 était une sorte de friandise dans ce cycle, certes fort goûteuse, et que maintenant nous avons fait le tour de la société «démarchiste» qui colonise une minuscule bulle de systèmes stellaires du bras d’Orion d’une quarantaine d’années lumière de rayon et qui est composée de gens encore un peu comme toi et moi.
Mais place désormais au point de vue «Conjoineur» dans ce troisième opus.

Une autre version de l’humanité ces Conjoineurs ; ils se sont tellement truffé la cervelle de nano-machines qu’ils ont pas mal modifié leur topologie neuro-efficiente ; ils ne gambergent plus comme nous. Ils vivent en mode ultra-connecté, télépathique, disons, dans des arcologies violemment exotiques, des sortes de nids technologiques sis au cœur de comètes furtives, dans une promiscuité et un entre-soi radicalement transhumaniste. Cela dit, question inventions et technologies de pointes, elle se pose là, la gaillarde nichée des Conjoineurs ; ne leur jetons pas la pierre, Simon, après tout, nous leur devons, entre autre, les fameux "propulseurs conjoineurs - au fonctionnement pour nous à jamais incompréhensible - qui équipent les Gobe-Lumens des joyeux drilles interstellaires Ultras, et pour la suite de l’intrigue, nous leur devons aussi les quarante pires armes jamais créées par les descendants du singe. Et tu peux bien t’imaginer, farang-apostasique, qu’ils ont un rôle à jouer dans tout ce gourbi galactique, dans cette lutte à mort entre «Nous» et les «Loups», les inhibiteurs. 
La société ConjoineurW est singulière mais finalement assez classique ;  elle a ses héros, ses fous et ses traîtres : Nevil Clavain, Galiana, Remontoir, Felka, etc. ; elle est adossée à sa nouvelle Histoire, et encore un peu à la nôtre, celle des amérikanos qui quittèrent la Terre pour coloniser les systèmes proches de notre soleil, des démarchistes qui leur succédèrent, et de cette incroyable secte de baroudeurs spatiaux et cyber-punk-gothiques que sont les Ultras.

Hélas, les inhibiteurs nous ont maintenant dans le collimateur et il faut absolument récupérer les armes de classe infernale qui se trouvent à bord du Gobe-Lumen “Spleen de l’Infini” que nous quittâmes, désemparé autour de Resurgam, à la fin du tome 1. La vrai bataille s’engage alors avec les Loups : attention les yeux, Big Dumb ObjectsW en approche. Les inhibiteurs vont carrément détruire plusieurs planètes de Delta Pavonis ainsi que l’étoile elle-même ! 
Et c'est la fuite de tout notre petit monde à bord du "Spleen de l'Infini" transformé pour l'occasion en arche de Noé sidérale avec une meute de machines biophages au derche ! Course lente et gourmande en déficit temporel, mais course sauvage et désespérée au bout de laquelle le "Spleen de l'Infini" se posera sur Ararat (sic), une planète océan de Pi Eridani.
Ça va mal mon cadet !
L’humanité pourra-t-elle survivre aux Inhibiteurs, ces fléaux galactiques ?

Tu le sauras au prochain numéro.

Hans Holbein : L’arche de Noé



Spleen de l’infini...


lundi 26 octobre 2015

La Cité du gouffre, Alastair Reynolds

Tome deux du cycle des inhibiteurs.

Et pis d’abord, c’est quoi un "inhibiteur", hein ?
Ok, un petit topo de l’univers reynoldsien s’impose, sinon tu vas t’espanouiller aux quatre coins des six dimensions d’un espace Calabi-Yau !
Dans le premier opus du cycle des inhibiteurs on capte bien que la vie intelligente pullule depuis les premiers borborygmes einstieniens de notre galaxie et que d’innombrables sortes d’aliens se sont mis des branlées mémorables dès le début des temps ; or donc, te demandes-tu, farang-à-qui-faut-pas-la-faire, comment, dans ce cadre-là, expliquer le paradoxe de Fermi ? Où elles sont ces norias de putains d’aliens qu’on devrait croiser à tous les coins de la Voie Lactée ? Hein ? Où y sont ces enfoirés?
Ben, sache qu’il y a eu la «Guerre de l’Aube», y a vachement longtemps déjà, qui a duré des millions de piges et qu’au final ce sont de maudites machines qui ont gagné, les inhibiteurs. Depuis, il sont là, tapis au plus profond de l’espace intersidéral, et ils attendent. Ils attendent et surveillent les signes de la vie, de la pourriture. Leur mission : éradiquer les formes biologiques de civilisations dès qu’elles tentent de se propager hors de leur système local.
L’est fort l’animal Alastair car en faisant entrer les inhibiteurs dans l’équation, il résout le paradoxe de Fermi à la satisfaction générale ; ouais, la galaxie regorge de vie (et de civilisations saptio-pérégrines) ; ouais, on devrait le constater rien qu’avec une paire de jumelles, et pourtant, macach ! Fifre ! Nib ! On voit rien. Y sont pas là les zaliens qu’on nous doit, y a eu tromperie !
Ben, non, et tu vas en avoir pour ton pognon, fils, et méchamment même ! Les inhibiteurs ont bien lu leur Michel Foucault, mais l’ont mal interprété, ou trop bien : “Surveiller et punir”.  
Et dès qu’une espèce “bio” fait mine de dresser l’oreille, hop, on leur lâche les «Loups» au derche.
Voila le cadre dans lequel évoluent les humains entre la fin du vingt-et-unième et le vingt-septième siècle.

Retour à la cité du Gouffre, dans ce deuxième opus. Te souviens-tu de Chasm City, Yellowstone (Epsilon Eridani) ? La ceinture de rouille ? La Pourriture fondante ?
On va commencer par suivre l’itinéraire d’un «cul dégelé» qui a un peu perdu la mémoire après avoir passé vingt piges en cryosomie depuis Sky’s Edge (61 Cygni A) et qui se réveille à l’Hospice de Mnemos (ordre des Mendiants de glace), dans la ceinture de rouille de la planète Yellowstone. Très vite le lascar (Tanner Mirabel) se souvient qu’il est embarqué dans une vendetta qui implique son employeur, le chasseur d'hamadryades Cahuella, et un mec de la haute de Sky’s Edge, Argent Reivich. Ils vont se dérouiller abondamment entre la Mouise et le Dais de la Cité du Gouffre.

Une deuxième branche du récit recouvre les rêves récurrents du tueur Tanner Mirabel qui ne cesse d’être assailli par des flash-back de la vie de Sky Haussman, le chef de la première expédition qui colonisa 61 Cygni A.

L'univers qu'Alastair Reynolds a décidé de décrire dans le cycle des Inhibiteurs se trouve un peu plus en retrait avec ce deuxième opus, les Loups ne sont plus la préoccupation principale ; à nous les chasses à l’homme dans la mouise de Chasm-City et de son architecture urbaine torturée par la pourriture fondante, à nous les bas-fonds, les porckos et la chose qui vit au fond du gouffre...

Miam, c'était un régal ! 
Vite, vite, troisième round...


Chasm-City by Antin



Avouez que Le Corbusier nous aura fait beaucoup de torts...

mercredi 21 octobre 2015

L’Espace de la Révélation, Alastair Reynolds

Depuis le début des années deux mille, le camarade Alastair nous distille ce qui se fait de mieux dans le genre Hard SF, ou plutôt ce que les grosses têtes anglo-compatibles du petit circuit de la SF appellent New Space Opera. Quoi qu’il en soit, ce gallois nous tient la dragée haute depuis plus de dix ans. La SF qu’il envoie est du calibre de celle des Banks, Vinge, Hammilton ou Simmons pour ne parler que des monstres les plus récents, sinon il faudrait convoquer tous les Gibbson, Varley, Herbert, Vance, Van Vogt et autres Asimov ; bref, on n'en finirait plus d’essayer de lui trouver un père putatif à ce cher aficionado du XV du Poireau.
Te préciserai-je que je ne compte plus le nombre de fois que je lis ce premier quart du «cycle des Inhibiteurs» ?

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il maîtrise son sujet l’ami Alastair ; imagine un petit lascar qui aurait tété tout son Asimov et son Clarke dès le plus jeune âge et qui ensuite serait devenu docteur en astrophysique, et si en plus cet animal galactique possède une plume remarquable, ben tu peux commencer à te figurer l’excellence de son travail littéraire, surtout quand sézigue décide de planter une saga hyper-réaliste de quatre fois huit cents pages sur l’avenir proche de l’homo-spatio-pérégrinus.
Quel talent !
Ceci dit, si tu ne vois pas bien de quoi on parle quand on évoque Epsilon Eridani, si tu n’aimes pas les histoires où les vaisseaux spatiaux font quatre bornes de long et sont semi-intelligents, où les hommes ont la cervelle farcie de nano-machines, où les étoiles à neutrons sont de vastes calculateurs quantiques et où le moindre frigo possède un Q.I. supérieur au tien, farang-démarchiste, alors cette série des Inhibiteurs n’est pas pour toi !

Nonobstant, si tu embarques à bord du gobe-lumen «Spleen de l'infini», tu vas en faire des bornes, tu vas en voir du pays ; tu feras des fouilles archéologiques sur Resurgam, planète orbitant autour de Delta Pavonis, avec Dan Sylveste, le fils d’une grand famille de Yellowstone (Epsilon Eridani), pour tenter de comprendre pourquoi les Amarantins ont brutalement disparus il y a neuf cent mille ans ; tu voyageras aussi à un bon pourcentage de la vitesse de la lumière avec une clique d’Ultras, à bord de ce fabuleux gobe-lumen sus évoqué, côtoyant la dangereuse “triumvira” Ilia Volyova flanquée de sa nouvelle recrue pour le poste de tir, Ana Khouri ; tu devras aussi survivre au “Voleur de soleil” qui rode dans la soute des quarante armes de classe Enfer ; et surtout, tu prendras bien soin de ne pas déclencher le piège à cons que les inhibiteurs ont placé autour de Hades, l'étoile à neutrons, il y a deux ou trois milliards d'années...
Pfiouuuu, tu vas souffrire dans ce premier opus !

Bref, tu auras sept cents pages pour t'immerger dans le monde formidable de l’ami Alastair, pour savourer cette probable histoire d’un futur qui nous attend là-haut, d'une étoile l'autre, et qui n'est autre que la mesure de notre fragilité en regard de l’univers... et de son centre, qui, comme chacun le sait, est «La Garrre de PerrrpignAN» !

Bravo, et encore merci cher camarade cosmonaute, plus de dix ans après c'est toujours aussi bien ; une régalade cosmologique !



Charles Baudelaire (1821-1867).
Wikimedia Commons



Autres temps, autres Spleen...


samedi 10 octobre 2015

Pour la Science, Octobre 2015 - n° 456

Tu l’auras compris, farang-ségrégationniste, tout ce qui peut se lire en français me fait ventre, et pour ma part, il n’y a pas plus de «littérature» qui serait noble par rapport à une autre qui le serait moins, qu’il n’y a des arts majeurs en regard d’aucuns qui leur seraient mineurs, quoiqu’en ait pensé Gainsbourg quand il n’était plus qu’un ivrogne pathétique. Il n’y a donc pas de raisons valables pour que je continue de zapper la presse mensuelle de cette glorieuse tribune. Après tout, un bon "Pour la Science" vaut mieux qu’un mauvais Dan Brown, non ?

Après avoir flashé sur les amours particulières des quarks dans le numéro précédant, j’ai immédiatement été attiré par l’article sur les trous noirs dans celui-ci : «L’horizon des trous noirs brûle-t-il ?». (p 84-92)

De quelque façon qu’on le prenne, un trou noir reste un des objets les plus singuliers de l’étrange bestiaire cosmologique qui s’offre à nos télescopes ; soleils innombrables, galaxies de toutes les formes, quasars, pulsars, rayonnements tous plus exotiques les uns que les autres, supernovae, etc.  
Einstein avait prédit leur existence avant qu’on les découvre. Hélas et c’est dans leur nature, on ne les voit pas, ou du moins pas directement. Quant à leur organisation interne, deux visions s’affrontent : soit qu’on considère un trou noir du point de vue de la relativité générale, soit qu’on l’appréhende par le biais de la physique quantique. Car oui, la relativité générale n’autorise aucune entropie à cet objet, aucune information ne doit en ressortir, or c’est sans compter avec le rayonnement de Hawking : les trous noirs s’évaporent, ‘tain! 
Comment est-il alors possible qu’un truc qui ne peut pas être soit quand même ?
Heureusement, une troisième approche va peut-être mettre tout le monde d’accord, à moins que ça ne complexifie encore plus tout le bintz, car les zélotes de la théorie des cordes suivent une piste prometteuse ; tu n’es pas sans ignorer que l’espace, le vide, le rien, n’est en fait qu’une formidable machine à fabriquer d’innombrables paires de particules-antiparticules qui passent leur non-existence à s’annihiler, créant ainsi toujours plus de «rien» dans notre univers einsteinien. Là, il faut ce souvenir que dans le cadre de la théorie des cordes, une particule est une sorte de petite corde qui vibre dans un paquet de dimensions différentes (une bonne dizaine pour le moment). Et d’après toi, qu’en est-il de ce monstrueux bordel quand ça se passe pile sur la frontière d’un horizon événementiel, hein ? Il y aura forcement nombre de paires de particules - intriquées deux à deux et qui partage des sucs, des saveurs, du sexe et de l’information -, qui verront leur liaison existentielle brutalement brisée, de sorte qu’une des particules se retrouvera forcement dans le trou noir, perdue à jamais (?), tandis que l’autre sera resté dehors (chez nous), et elle est drôlement en pétard d’avoir été séparé de sa meilleure copine ; une particule à haute énergie carrément furax qu’elle deviendra ! Le voila notre mur de feu. Qui plus outre, et bien que strictement interdit par sinon les liens du mariage, du moins par la théorie quantique des champs, cette mégère énervée va immédiatement chercher à s’intriquer avec une particule mâle du rayonnement Hawking. Te dire l’impudeur et l’irréligiosité de ces bestioles !
À ce stade de la démonstration on peut naturellement se poser cette question : si l’horizon événementiel d’un trou noir signe la fin de l’espace-temps, comment de l’information peut-elle en ressortir  ?

T’inquiète mon cadet, même si tout cela te laisse couillon, sache cependant qu’il existe de part le vaste monde toute une flopée de labos bourrés de jeunes gars carburant à la coke et au Redbull qui calculent tout ça aux petits oignons ; bravo les mecs ! Ça c’est de la S-F de première bourre.

Bien sûr, ce numéro de Pour la Science traite de pleins d’autres sujets tous aussi intéressants ; CRISPR-Cas9, la nouvelle cisaille à ADN qui fait désormais fureur chez les mécanos es génétique ; les turpitudes des tyrannosaures sur au moins 100 millions d’années ; l’étonnant cerveau des adolescents (?) ; l’hydrogène naturel que nous avons sous les pieds, etc.

Satisfecit particulier à Jay Giedd pour l’article «L’étonnante plasticité du cerveau adolescent» car en plus de leur trouver un cerveau à ces petits merdeux, il a réussi à voir comment il fonctionnait ; te dire s’il doit posséder un microscope performant, l’ami Jay ! Moi, je pensais qu’il n’en avait pas de cerveau les ados...

Bref, encore une grosse régalade ce numéro d’octobre 2015.

Merci et bravo les gars pour ce voyage aux extrêmes...





Cerveau d’un adolescent schizophrène grossi 10 000 fois...

mercredi 7 octobre 2015

La philosophie comme manière de vivre, Pierre Hadot

C’est encore un sale coup du camarade Onfray, ce bouquin.
Hé ouais, voila ce qui arrive quand tu es accro à sa «contre-histoire de la philo» à sézigue, ça engendre des frais et des complications à chaque fois.
Bon, je t'avertis, farang-stoïcien, j’ai démarré au pif par le moins cher ; “La philosophie comme manière de vivre”, Biblio essais, “Entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidon” en guise de sous-titre ; je vais me faire chier en deux coups les gros, et je passerai à autre chose, imaginais-je naïvement ; je ne risque pas grand chose, 6,10€ (moins onéreux qu’un paquet de clope), me suis-je convaincu…

Erreur ! C’était un piège !

Je suis en train de les affurer dans l’ordre chronologique les bouquins de l’ami Hadot, sans parler qu’il va falloir ensuite se pencher sérieusement sur Georges Bataille et Wittgenstein… Oh putain, on n'est pas sorti. Tu veux savoir ? Onfray est un salaud, il va finir par me coûter un bras ; Onfray, jeune con !

Cela étant, mon premier Pierre Hadot fut une expérience mémorable ; enfin un phisolophe qu’on comprend au premier coup ; pas de jargon, de la simplicité et de la lumière ! La philosophie au quotidien, comme mode de vie, c’est possible et même souhaitable, surtout rétro-éclairée par les grands maîtres de l’Antiquité. J’ai presque tout pigé, te dire !

Déjà, comment faut les lire, à nos grands illustres :
Par ailleurs, il faut toujours s’efforcer, quand cela est possible, de replacer le texte étudié dans sa perspective historique.
...

On apprend par petites touches ; par exemple là, au détour d’un paragraphe, tu comprends tout d’un coup que le judéo-christianisme est bêtement platonicien :
...
Les platoniciens ont discuté pendant toute l’Antiquité pour savoir si Platon avait vraiment voulu enseigner, dans la Timée, que le Monde a été créé dans le temps, par un Fabricateur, qui aurait raisonné pour le rendre le meilleur possible.
Façon Liebniz, tu vois ? Tout est pour le mieux dans le meilleur de monde.

Ou entrecroisé de pages totalement aristotéliciennes telles que :
...
La bonté suppose un désintéressement total, elle doit être en quelque sorte spontanée et irréfléchie, sans le moindre calcul, sans la moindre complaisance en soi-même. Il faut que la bonté soit un instinct : on doit faire le bien comme l’abeille fait son miel et ne cherche rien de plus.
...

On comprend aussi que Socrate est le modèle du phisolophe, de part sa vie et de part sa mort.
Car oui, être philosophe comme le conçoit l’ami Pierre, c’est accepter la mort, sa mort, ou pire, la mort des êtres qui nous sont chers.
Vivre en phisolophe, c’est vivre bien avec la mort, et ça suppose d'être un brin stoïcien, non ?

Mais bon, j’ai pas envie de te foutre la trouille, non plus ; L’ami Pierre Hadot nous démontre simplement qu’il faut se frotter aux Antiques pour comprendre le présent et accepter sa finitude.

Cet entretien est une véritable boîte à outils qui permet de remettre un peu de cohérence dans tout ce fatras de platoniciens, de stoïciens, d’épicuriens, d’aristotéliciens, etc.

C’était savant sans être abscons, clair sans être simpliste, instructif et passionnant pour tout dire.
J'ai surtout compris le plus important : la philosophie n'est pas l'apanage des profs de philo, elle n'est pas cantonnée dans les amphis ou dans de savants épîtres, c'est plus simplement une façon de vivre bien.

Bravo et merci cher grand homme, et je fais le rêve que tous les curés, rabins et imams que porte cette chienne de Terre font comme Pierre Hadot, ils jettent leurs goupillons aux orties et prennent la toge du sage...


Pierre Hadot



...
Toutefois, cette expression ne suffit pas à exprimer ma conception de la philosophie antique : elle est exercice spirituel, parce qu’elle est un mode de vie, une forme de vie, un choix de vie.
...

jeudi 1 octobre 2015

Avec mes meilleures pensées, Pierre Dac

On connait tous le bonhomme, je ne vais donc pas te refaire le panégyrique de cézigue.

Disons seulement que mes premiers souvenirs de cet animal remonte à ma première radio, au tout début des années 70. Il y avait ce feuilleton «Bons baisers de partout» qui passait sur France-Inter et que je n’aurais raté pour rien au monde ; le colonel Deguerlasse (Pierre Dac), Leroidec (Paul Préboist !), Zorbec Legras (Roger Carel), etc.
Quelle rigolade mes cadets, mes premières jubilations radiophoniques !
Cela dit, je vais plutôt t’en remettre une louche, de ses pensées à ce zèbre génial.

[...]
Quand on ne condamnera plus les portes et quand on n’acquittera plus les factures, la justice aura fait un beau demi-tour en avant.
...
L’orgue de Barbarie est à la figue du même nom ce que la trompette bouchée est au cidre.
...
Aussi qu'il me soit permis de saluer en lui l'un de ces modestes et vaillants pionniers qui, jour après jour, et par la seule force de leurs ancestrales vertus, forgent silencieusement le fier levain qui, demain, ou après-demain au plus tard, fera germer le grain du ciment victorieux au sein duquel, enfin, sera ficelée, entre les deux mamelles de l'harmonie universelle, la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira à deux battants la porte cochère d'un avenir meilleur sur le péristyle d'un monde nouveau.
...
Si Benjamin Franklin avait été parachutiste, il n’aurait jamais songé à inventer le paratonnerre.
...
Gastronomiquement parlant et géographiquement étant, il est culinairement surprenant que, entre le département de la Côte-d’Or et celui des Côtes-du-Nord, il n’y ait pas le département des Côtes-de-Porc.
...
Il existe encore des gens qui prennent le Messie pour une lanterne.
...
Les forces de l’ordre sont celles qui sont aux ordres de ceux qui les donnent.
...
D’après Euclide, le carré est un quadrilatère dont les quatre angles sont droits et les quatre côtés égaux. D’après Sophicléide, le carré est un triangle qui a réussi ou une circonférence qui a mal tourné.
...
Les choses étant ce qu’elles sont, comme a dit Vaucanson, à défaut d’être ce qu’on voudrait qu’elles soient ou fussent, comme a dit Confucius, c’est quand y en a ras le bol qu’y en a plus que marre parce qu’on en a par-dessus la tête d’en avoir plein le curriculum vitae.
...
La formule évangélique : «En vérité je vous le dis» sert, aux faux-jetons, à transformer les vrais mensonges en fausses vérités.
[...]


Et pour en finir, farang-os-à-moellesque, laisse-moi te reproduire l’intégralité de la conclusion de cette petite merveille de bouquin ; c’est un peu long, mais l’ami Pierre Isaac (Pierre Dac, 1893-1975) donne ici la pleine mesure de son talent.


Conclusion
Le redoutable essayiste et virulent polémiste Jules Ignace Keskipu-Scelboucq, de l’Académie des inscriptions sur les murs et belles-lettres recommandées, a écrit dans son fameux et captivant ouvrage "Des motivations de la conception conjoncturelle et de la conjoncture conceptionnelle considérées comme éléments conceptuels d’influence culturelle des industriels contractuels de la région d’Arkhangelsk ": « La conclusion est à un texte littéraire ce que la fermeture est à un hebdomadaire contestataire.»

C’est donc en vertu tant théologale et cardinale que sentimentale et fondamentale de cette combien édifiante et combien justifiante constatation que j’ai entrepris, sans me poser de question préalable ni m’adresser de préavis questionnaire, de rédiger et d’écrire la présente conclusion.

Selon toute logique et selon toute vérité de La Palice, la conclusion implique nécessairement l’obligation de conclure suffisamment. C’est là un fait qui n’est pas plus révocable en doute que niable en évidence, mais dont la proposition ne va pas sans poser un problème, lequel problème n’est autre que celui de la conclusion en tant que telle et telle qu’elle est en tant que tant.

Or, que doit être ma conclusion ? Ce qu’il est souhaitable qu’elle soit, certes et bien sûr, mais encore ? Me voilà bien embarrassé - pardon - bien emmerdé, voulais-je dire, pour répondre à la question, car je ne sais trop comment m’y prendre pour conclure de manière vraiment satisfaisante et de façon véritablement concluante. 
Pourtant, il faut que je m’en sorte sous peine d’y rester. Cruel dilemme et douloureuse alternative !

En définitive, toute réflexion faite et tout bien considéré, je pense parce que je l’estime, et réciproquement, que le mieux pour en finir est de dire que ma conclusion est résolument conforme au texte qu’elle concerne, lequel texte est concerné par elle. C’est-à-dire qu’elle consiste à signaler que ce recueil de pensées, tant générales que spéciales, est fini parce que parvenu à son point d’achèvement, ce qui, incontestablement, rejoint indiscutablement la remarquable constatation de Jules Ignace Keszkipu-Scelboucq duquel je vous recommande vivement la lecture de son captivant ouvrage cité à l’ordre du début de ce propos conclusif, qui, j’en suis aussi certain que persuadé, vous donnera autant à penser profondément qu’à réfléchir intensément.

Pendant que j’y suis et pendant que j’y pense, je vous recommande vivement également la lecture du non moins captivant ouvrage de l’éminent écrivain franco-japonais Tanki-Yoradla de l’Institut des hautes études des marchés parallèles, du marché noir, des marchés en plein air, des marchés couverts et des marchés forains, intitulé "Histoire officielle et complète de la matière première depuis la nuit des temps jusqu’aux jours nôtre", qui vous donnera, lui, j’en suis aussi sûr que convaincu, autant à cogiter longuement qu’à méditer largement.

Voila. Conclusion tirée, non pas par les cheveux, mais à quatre épingles et déposée, non pas comme une plainte en justice, mais conformément aux dispositions de la loi concernant la liberté de penser du 12 prairial an II du calendrier républicain, un, indivisible, indestructible et indéfectible. Poil aux irréductibles. Terminé.

Poil au nez



Une mauvaise photo qui rappelle vos traits vaut mieux qu’un beau paysage qui ne vous ressemble pas...
(P.D.)