Sous-titre : mon maître soixante-trois.
Remarquable ! Un maître... 63, cet André Isaac.
Nom de scène Pierre Dac ; Pierre parce que André ça le fait pas, et Dac pour «d’actualité», a décrété Roger Toziny, un des créateurs de la «Vache Enragée», petit cabaret Montmartrois dans lequel il fera ses débuts de chansonniers, en 1922.
Chansons, théâtre, radio, journalisme loufoque, télé, cinéma, feuilletons, livres, etc., rien ne lui échappera ; l’ami Pierre va poser sa marque pendant cinquante ans sur le show-biz francaoui. Tu vas en croiser des Monstres Sacrés dans cette bio, des connus et des moins connus, en fonction de ton âge ; Les frères Jacques, Bourvil, Raymond Devos, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Louis de Funès, Pierre Doris, Francis Blanche, bien sur, René Goscinny, Jean Yanne, etc. (la liste est trop longue) ; il en a suscité des émules, jusqu'à nos Coluche et Desproges ! D’ailleurs, en parlant de Desproges, as-tu jamais visualisé la scène du film Signé Furax où sézigue interprète le rôle d’un traducteur pour sourds et malentendants ? Extraordinaire, tiens, c’est là : Desproges.
Outre la biographie du grand homme, l’ami Jacques Pessis (le neveu adoptif de cet oncle putatif) enlumine généreusement son travail de nombre d’extraits de pensées, de chansons et de sketchs qui forment un accompagnement fort goûteux et finalement nécessaire : «oui, c’est ça qu’on veut, et on en redemande !»
Alors, bien sur, et si je n’écoutais que ma flemme, je balancerais deux brèves citations du chansonnier ou du feuilletonniste, tu rirais un bon coup, farang-trop-pressé, et on passerait à la suite. Et bien non, on va faire mieux, mais il faut d’abord que je t’affranchisse sur deux où trois petits détails de la vie de Pierre Dac, qui revêtent en l’occurrence une certaine importance.
Déjà, il te faut savoir que le citoyen patriote André Isaac, n’a pas épargné sa peine, ni son courage pour s’appuyer les colonies de vacances de 14-18 organisées sous l’égide de Guillaume II, et desquelles il est ressorti un peu fracassé mais bardé de médailles avec palmes et où son frère aîné a fini la bouche remplie de terre (comme des millions d’autres). Plus tard dans le siècle, ce même citoyen français n’a pas plus encaissé le pas de deux qu’avait entamé Pétain et sa clique avec Adolphe Ier. Suite à l’appel du 18 Juin, il tente de rejoindre Londres en passant par l’Espagne, mais, manque de bol, il va goûter de la celotte ibéro-Franquiste pendant presque deux ans avant de finir cette pénible exfiltration et de finalement atterrir dans le petit studio de Radio Londres. Oui, à partir de 1943, Pierre Dac fut une des voix de «Les Français parlent aux Français».
Tout cela pour en venir à la réponse radiophonique qu’il fit à la diatribe antisémite du triste sire Philippe HenriotW, chef de la propagande de Vichy, et qui se posait ouvertement la question de savoir si un juif pouvait être un bon français.
Voici des extraits de la mémorable réponse du français André Isaac, dit Pierre Dac :
« [...] C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. À défaut de croix gammée et de francisque, j’ai corrompu l’esprit de la France avec L’Os à moelle. Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviet. Et pendant que j’y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C’est absolument d’accord. Il n’empêche que tout ça ne résout pas la question : la question des Allemands.
[...]
Peut-être me répondrez-vous, monsieur Henriot, que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas, et ce disant vous serez logique avec vous-même, puisque dans le laïus que vous m’avez consacré, vous vous écriez notamment : «Mais où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand notre Dac prend la défense de la France ! La France, qu’est-ce que cela peut bien signifier pour lui ?»
Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie pour moi, la France.
Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d’autres avant eux sont originaires du pays d’Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C’est un beau pays, l’Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l’Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celle de Crimée, d’Algérie, de 1870-1871, de 14-18 jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang.
Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l’Allemagne.
Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un : celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froideveaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce que fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses noms, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : «Mort pour la France, à l’âge de 28 ans.» Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France.
Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription : elle sera ainsi libellée :
Philippe Henriot
Mort pour Hitler,
Fusillé par les Français…
Bonne nuit, monsieur Henriot. Et dormez bien. Si vous le pouvez...»
C’est entendu, pour moi il s’agit là de la véritable mesure de ce grandiose et singulier personnage.
(merci à l'ami Patriçounet pour la piqûre de rappel sur cette séquence lors d'un précédent commentaire)
Bravo l’artiste et merci pour la leçon.