Wouaou !
Y en a pas lerche, dans une année, des bouquins qui te feront ça.
C’est quand je l’ai refermé que j’ai pris conscience que cette plongée dans l’histoire de l’Égypte moderne, ou disons plus précisément dans le Caire des années 2000, a fracassé tous les clichés que j’avais emmagasiné. Je m’estimais pourtant raisonnablement informé sur les turpitudes civilisationnelles multi-millénaires des lascars qui vivent là-bas, au pays des pyramides ; les pharaons, les dix plaies, les Perses, les Grecs, Astérix et Cléopâtre, les Turcs, le canal de Suez, le Protectorat britannique, Nasser, la dictature, la place Tahrir, les frères musulmans et le contrat des Rafales.
Seulement voila, l’ami Alaa el Aswany est un enfant du cru, il sait, il a même sûrement vécu nombre de situasses qu’il décrit, et du coup nous plongeons dans la tête et la vie des gens de cet immeuble Yacoubian, rue Soliman-Pacha (Talaat-Harb), fleuron de l’architecture européenne des années 30.
Subjectivité éclatée en myriades de petits agrégats qui sont les habitants de l’immeuble Yacoubian :
Taha, le fils du concierge qui voulant devenir policier finira (mal) dans la Jamaa islamiya ; la belle Boussaïna au destin pour le moins contrasté ; et le vieux Zaki sous la coupe de sa sœur acariâtre Daoulet ; et Hatem le journaliste homo et son pauvre giton Abdou ; et le hadj Azzam, en crapule typique qui grâce à son pognon et à Dieu - qu’il soit loué et exalté - accédera à une députation de façade ; et les habitants de la terrasse, Malak le meilleur tailleur de chemise, Ali le chauffeur, Hamed Hawas le pinailleur juridique, etc.
Bref, cet immeuble est un distillat d’humanité Cairote et surtout un prétexte pour mettre tout ce qui fâche sur le tapis : l’homo-sexualité, la condition de la femme dans une société hyper-machiste, la corruption endémique, la réislamisation radicale, l’injustice... mais aussi l’amour, l’amitié et la solidarité.
Malgré le sévère réquisitoire qu’Alaa el Aswany nous présente là, il n’a en somme aucune intention de nuire à son pays et sa culture, il fait juste le constat effrayant qu’un régime dictatorial pratiquant une ingenierie sociale des plus barbares sur la société qu’il phagocyte, façon mafia, ne peut que s’abîmer toujours plus dans la violence, allant au bout de sa logique darwinienne où le fort écrase le faible, l’adulte profite de l’enfant, le riche du pauvre, le soldat du civil, et où toujours l’homme domine et opprime la femme ; comme si la société égyptienne n’était que la proie de psychopathes et d’opportunistes, comme si la règle n’était que le «ratio coûts-bénéfices» propre à tous les primates, comme si l’altruisme et la morale avait été éradiqué de ces lieux et de ce temps.
Nonobstant toutes ces contingences, Alaa el Aswany arrive à nous garder sur le fil en injectant une dose d'empathie et de bienveillance à certains personnages de cette fresque plutôt sombre avec l’art et le talent d’un très grand écrivain, nous permettant ainsi de goûter à la saveur de l’autre, du radicalement différent, et surtout de conclure que oui, nous sommes décidément tous pareils.
Bravo l’ami, bravo et merci pour cette merveille.
À lire AB-SO-LU-MENT !
Alaa el Aswany est un maître et, avec la permission de Dieu - qu’il soit glorifié et exalté - un écrivain parfaitement nobélisable.
REUTERS/Asmaa Waguih
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«Ne me demandez pas comment m'habiller,
dites leur de ne pas me violer»...