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samedi 30 août 2014

Jules Ferry, Mona Ozouf

La liberté et la tradition

Voila, tout est dit dans le sous-titre, Liberté et tradition, le personnage est oximoresque.

Bon, ok, dans ma petite pinacothèque des Grands Zommes, Jules ça a d’abord été l’école des hussards noirs de la république, la troisième. Et puis, au fils de mes butineries historiographiques, j’ai aussi capté qu’il était l’homme du Tonkin, de la colonisation, de l’Empire. Un être singulier, une personnalité complexe, des temps compliqués.

Mona Ozouf (chère Mona… Mfff, soupir enamouré), fidèle à son écriture précise, pointilleuse et convaincante, aime les personnages qu'elle dissèque.

Oui, je le comprend maintenant, elle nous les rend sinon aimables, du moins compréhensibles ; elle en fait des homo sapiens sapiens à notre portée, qu’il s’agisse de Louis XVI ou de Jules Ferry.

L’est forte la Mona !
Je l’aime Mona !
Je l’ai déjà dit… et je le redirais.

- Bon, alors, et Jules ?
- Hein ? Jules ? Quel Jules ?  Ah, oui, Jules Ferry…

[...]
De leur histoire nationale, que doivent savoir tous les écoliers français, ces électeurs et ces soldats en puissance ? Pour l’essentiel, de quoi entretenir en eux le sentiment de la grandeur de leur patrie. une grandeur que manifeste, surtout quant on compare la France à d’autres nations jeunes et chétives, la vie persistante à travers les âges, une exceptionnelle continuité. Il faut veiller à leur faire connaître tout l’héritage, de l’Antiquité gréco-romaine à la République nouveau-née, et sans oublier le Moyen Âge, pourtant pomme de discorde chez les républicains. Tout prendre donc du passé, dans la certitude que la République gagne à revendiquer ses liens filiaux avec l’ancienne France. [...]

Tu le vois, Jules a un projet. 
Et il faut comprendre cela à l’ombre de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine ; pile dans le tout nouveau concept d’État-nation. Chaque petit français doit connaître sa géographie, son histoire et ne pas oublier que nous avons été spolié et qu’il faudra bien que le boche rende gorge… et qu’en outre, il est bien naturel que le drapeau français flotte sur tous ces lointains territoires auxquels nous apportons connaissances et civilisations à grands coups de pompes dans le cul : Algérie, Maroc, Tunisie, Tonkin, etc.

Bien sûr, c’est un pragmatique l’ami Ferry, un homme qui s'accommode, et même qui profite des circonstances, mais la belle Mona arrive à extirper la parcelle d’humanité qui nous forcera à l’aimer, ce Jules, ce punching ball de Clémenceau.

Encore merci chère Madame Mona Ozouf, la leçon, était… Argh !

©Sheila




Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer les colonies ?
C’est... ce… sacré Jules Ferry...
Sacré Jules Ferry !

Le nazi et le barbier, Edgar Hilsenrath

L’ami Edgar c’est Mutti Béa qui me l’a balancé sur le burlif, à la surprenante, vers 8h, 8h30, un jour de la semaine dernière où elle avait pris sa matinée.
- Tu vas voir, un ancien nazi convaincu, meurtrier de masse qui, après la guerre, devient ultra-sioniste et va faire le colon dans un kibboutz... en Palestine… ceci, cela…
- Tu vas aimer, poursuit-elle en se dandinant sur ses pompes à ressorts Deutsche QualitatTM, es ist sehr interessant, ajouta-t-elle...

Bon. Ok. Je me méfie de la donzelle car elle renoue laborieusement avec ses racines tudesques et la fräulein s’est mise en tête de lire dans la langue de Goethe ; difficile, mais elle y parvient. J’ai même cru comprendre qu’elle joue de la contrebasse en allemand !
Rappelle-toi que j’ai immédiatement vérifié qu’elle ne me refilait pas une partition gribouillée en teuton :
Ouf ! L’artefac littéreux était réglementairement voltairisé par Jörg Stickan & Sacha Zilberfarb, te dire la garantie de sérieux !

Gut.

Dans un premier temps, impossible de ne pas supposer que le Kamerad Edgar Hilsenrath a des grosses coucougnettes ; avoir osé cette mise en abîme extraordinaire du juif sur l’ancien nazi ! Peut-on imaginer si pénible coexistence à l’intérieur d’un même personnage ? Quel Janus supporterait-il cette métaphore oxymoresque ?
Et tout cela servi par un style qui mélangerait un Céline et un Georges Perec, avec un zest de Groucho Marx pour la folie acide qui parfume maints chapitres, et, bien sûr, sans oublier que les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell

Oser déconner avec la Shoah ? Tu avoueras que ça peut laisser septique le vulgum pecus comme toi et moi (surtout toi, d’ailleurs). À part Desproges ou Charlie Hebdo, professionnels du second degré, ils sont rares les lascars capables de réussir l'exercice. Ben, l’ami Edgar est de ceux-là, il écrit dans les extrêmes et, sous couvert de déconnade, il laisse apparoir comme naturelles des choses absolument hideuses. Dès les premiers chapitres il dissèque de façon ironique et incisive tous les petits comportements pragmatiques et mesquins qui précipitent un jeune teuton des années trente dans les bras du Thanatos local, l’Adolphe H., "Grand Babu" du national socialisme triomphant. Et n'ergote pas sur le parcours “difficile” du jeune Max pour trouver des circonstances atténuantes à sa mauvaiseté, non, les mômes qui se font enculer très tôt par un beau-père indélicat ou un curé trop zélé ne deviennent pas tous des meurtriers de masse, des génocidaires, merde ! Et peu après ils ne sont pas obligés de se faire massicoter le prépuce et de devenir ultra-sioniste !
En plus je t’épargne les détails de tout un hiver à se faire violer par une vieille sorcière aux fins fonds de la forêt polonaise... Pfouiouu ! Ce parcours mon cadet !
Et pourtant il ne s’agit pas ici de schizophrénie au sens clinique, car les deux personnalités de ce personnage qui devraient s’ignorer dans le cadre d’une schizophrénie “classique” sont ici parfaitement conscientes l’une de l’autre ; le Itzig Finkelstein, archétype du juif rescapé de la Shoah, n’ignore rien du Max Schultz, prototype du bourreau SS, et tu ne trouveras pourtant pas plus nazi que Max Schultz, ni plus sioniste que Itzig Finkelstein. Les deux personalités cohabitent, s’épaulent et se justifient dans un aller et retour inter-subjectif qui n’est jamais confus, les deux âmes sont bien distinctes mais entrelacées. Nous sommes dans l’hypothèse d’un sociopathe caméléon, d’un survivant à tous prix.

[…]
Et le meurtrier de masse Max Schulz alla à Jérusalem pour faire trois petits pipis symboliques. Une fois dans le le Saint-Sépulcre. CAR C’EST ICI QUE GISAIT LE CORPS DU CHRIST ! C’EST ICI QU’IL EST RESSUSCITÉ.
Une fois dans la mosquée d’Omar : CAR C’EST ICI, DU ROCHER AL-SAKHRA, QUE MAHOMET EST MONTÉ AU CIEL SUR SON CHEVAL AL-BURAQ.
Une fois devant le mur des Lamentations : CAR C’EST ICI, SUR LES DERNIERS VESTIGES DU TEMPLE DE SALOMON, QU’ÉTAIT LE LIEU LE PLUS SACRÉ DES JUIFS.
Les juifs, jeunes et vieux, pleuraient devant le mur des Lamentations. J’étais parmi eux, je venais de faire pipi et personne n’avait rien vu. Car moi, Max Schulz, je suis un pisseur habile.
Mais les pleurs sont contagieux? Ça faisait longtemps que j’étais au courant. Et quand je vis les autres pleurer, je me mis à pleurer aussi. Et soudain, je n’étais plus Max Schulz. J’étais redevenu juif. J’étais Itzig Finkelstein.
Et Itzig Finkelstein eut honte, car il avait fait pipi, tout en étant parfaitement conscient que ce n’était pas lui, Itzig Finkelstein, qui avait fait pipi, mais le meurtrier de masse Max Schultz. Et Itzig Finkelstein essuya les taches sur le mur et pleura amèrement.
Puis Itzig Finkelstein, redevenu Itzig Finkelstein, partit vers la mosquée d’Omar et essuya les taches laissées par Max Schulz. Puis il retourna au Saint-Sépulcre et fit de même.
[...]

Jouissif et terriblement judéo-chrétien ce nazi sioniste, non ?

Quant à la charge spéculative qui sous-tend le propos, il faut t’attendre à un long cheminement dans les méandres de la métaphysique nazi de Martin Heidegger dès lors que Max Schultz est aux manettes et, bien sûr, à son pendant philosophique post-nazi quand c’est Itzig Finkelstein qui est dans la lumière. On est alors en plein dans La banalité du mal d’Hannah Arendt, dans les interrogations de Hans Jonas : " que pouvait bien faire Dieu pendant qu’on assassinait en masse ? ", et surtout, on est plein fer dans L'Obsolescence de l'homme, de Günther Anders.
En fait, ce livre est une parfaite synthèse de la saison 12 (hé oui, déjà) de la Contre-histoire de la philosophie de Michel Onfray sur F.Cul.
En parlant d’obsolescence, le final sur l’impuissance de Dieu dès lors qu’il s’agit de juger le nazi Max Schultz est un chef d’oeuvre du nihilisme triomphant.



Là-bas il y avait une salle de tribunal. Où se tenait un procès. Le procès de Max Scultz.


Debout devant mon juge. Debout devant lui, l’Unique et l’Éternel.
Et l’Unique et l’Éternel demande : “Es-tu le génocidaire Max Schultz ? “
Et je dis : “ Oui, je suis le génocidaire Max Schultz.
- Es-tu circoncis ?
- Non. Je ne suis pas circoncis. Le petit bout de peau a repoussé. En chemin. En venant ici.
- As-tu le coeur d’un rabbin ?
- Non. Il est tombé. En chemin. En venant ici. J’ai retrouvé mon propre coeur.
- Où est ton faux numéro d’Auschwitz ?
- Disparu.
- Ton tatouage SS ?
- Revenu. Là où il y avait la cicatrice.
- Es-tu réellement le génocidaire Max Schultz ?
- Je suis réellement le génocidaire Max Schultz.


Et l’Unique et l’Éternel demande : “ Coupable ?
Et je dis : “ J’ai suivi le courant. J’ai juste suivi le courant. Comme les autres. À l’époque c’était légal.
- C’est ta seule excuse ?
- Ma seule excuse.
- Et ton plafond est fêlé ?
- Pas de plafond fêlé.
- Coupable ?
- Coupable.
- Veux-tu que justice soit faite ?
- Oui. Que justice soit faite. Moi, Max Schultz, j’attends la juste sentence d’un juste.
Et l’Unique et l’Éternel proclame d’une voix de stentor : “ Ainsi, je te condamne !
Mais moi, je dis : “ Minute ! Faut d’abord que je te demande un truc.
Et l’Unique et l’Éternel dit : “ Demande. Mais fais vite.


- T’étais où ? À l’époque ?
- Comment ça … à l’époque ?
- À l’époque… pendant la mise à mort.
- De quoi parles-tu ?
- La mise à mort des sans-défense.
- Quand ça ?
- À l’époque !
Je demande : “ Tu dormais ?
Et l’Unique et l’Éternel dit : “ Je ne dors jamais !


- T’étais où ?
- Quand ça ?
- À l’époque.
- À l’époque ?
- Si tu ne dormais pas, t’étais où alors ?
- Ici !
- Ici ?
- Ici !


- Et tu faisais quoi si tu ne dormais pas ?
- À l’époque ?
- Oui. À l’époque.


Et l’Unique et l’Éternel dit : “ J’ai été spectateur.
- Spectateur ? C’est tout ?
- Oui, spectateur, c’est tout.


- Alors ta faute est plus grande que la mienne, je dis. Et s’il en est ainsi, tu ne peux pas être mon juge.
- Très juste, dit l’Unique et l’Éternel. Je ne peux pas être ton juge.
- Très juste ! “
Et l’Unique et l’Éternel dit : “ Très juste.
Je demande : “ On fait quoi maintenant ?
- On fait quoi ?
- On a un problème !
Et l’Unique et l’Éternel dit : “ Oui. On a un problème.


Et l’Unique et l’Éternel descendit de sa chaise de juge et se plaça à mes côtés.




Nous attendons. Tous les deux. La juste sentence. Mais qui pourrait la prononcer ?


(page 479-481)


Pour en finir, farang-jihadiste, sache que j’ai sûrement lu des trucs mieux, on va pas chicaner, mais ce ne fut pas souventes fois que je pris tant de plaisir ; c’était jubilatoire et moralement satisfaisant.

À lire ABSOLUMENT !

L’ami Bertrand avait raison, il s’agit bien là d’un OVNI ; culoté, cynique, ironique mais résolument éthique.

Edgar Hilsenrath est devenu un ami cher, et ses livres sont en train de se positionner sur une orbite d’attente.


©wolinski in Charlie Hebdo





Heil Dieu ! ...

dimanche 24 août 2014

Le guerrier solitaire, Henning Mankell

Allons, je vois bien que tu commences à saturer, petit farang-rosa-luxembourgeois, mais accorde-moi  encore ce Mankell, après, je fais un petit break ; juré, craché !

Pouf, pouf…

Le pauvre Kurt Wallander va devenir fou avec cette enquête qui tourne autour de la prostitution organisée à l’échelle planétaire. Fallait que tout ce bordel atterrisse encore une fois sur ses après-skis ! 

Une môme qui se fout le feu sous ses yeux !
Des salauds notoires qui se font trucider et scalper à tire-larigot !
Et un guerrier solitaire qui circule en mobylette !

Rappelle-toi que sa garde rapprochée, les inspecteurs Svedberg, Anna-Britt Hoglund et Martinsson, sans compter l’excellent Nyberg, le mec de la police scientifique d’Ystad, ne vont pas dormir beaucoup pendant tout le bouquin. Il  va se boire des hectolitres de café tiédasse avant que  la meute de nos flicards favoris ne parvienne à stopper le barjot qui zigouille ses prochains. 
Quant à Wallander, il arrivera in extremis à se tirer en vacances avec sa douce et lettone Baiba, sa chérie à lui qu’il a en propre depuis le tome deux : “ les chiens de Riga”.

Note aussi qu’à l’instar des autres opus, il est pas mal occupé avec sa fille Linda qui vient de se découvrir une vocation de metteur en scène de théâtre et son vieux, Povel, le peintre de l’éternel et même tableau, qui démarre réglementairement son alzheimer...

Kurt Wallander ? Un archétype de l’homo policiaris subarcticus en guerre contre l’homo salopardus internationalis.


Geronimo © jpoulos2561





Ugh ! …

samedi 23 août 2014

L’homme qui souriait, Henning Mankell

Du moins au début, vers la fin il ne souriait pas tant ce triste sire d’Alfred Harderberg, il avait un putain de pitbull accroché aux basques. L’affreux jojo en question est pourtant un suédois de la haute, un puissant requin de la finance internationale, quasi intouchable, et le pitbull qui lui mord le cul, tu l’auras deviné, n’est autre que notre bon inspecteur Kurt Wallander.

Dieu sait cependant que ça partait mal  pour l’ami Kurt, on le découvre en pleine déprime au début du bouquin, à deux doigts de filer sa démission ; il ne digère toujours pas d’avoir butté un malfaisant dans un tome précédent, te dire s’il a de la conscience cet homme ! Seulement voila, au bout de quelques pages on lui flingue son vieux pote avocat Sten Torstensson presque sous le nez ; tu parles s’il a eu vite fait de balancer sa lettre de dem in the poubelle et de reprendre du collier, plus furieux que jamais.
En outre, les méchants ont l’outrecuidance de piéger sa bagnole ; sa nouvelle collègue et lui frôlent l’éparpillement aux quatre coins de la Suède à quelques secondes près. Le commissariat de Ystad est en effervescence, tu penses bien qu’il vont mettre les bouchées doubles pour faire tomber l’autre enculé international qui se croit tout permis avec son tas de pognon, ses châteaux, ses tueurs, son jet et ses yachts.

Un opus assez mouvementé avec un final épique digne d’un James Bon : notre pitbull chéri va encastrer toutes une rangée de chariots à bagages dans le Golfstream G650 du sale con pour l’empêcher de décoller vers quelque paradis sinon tropical, du moins fiscal.

Comme d’hab, pour les détails plus fins, à toi le soin.

Note quand même qu’au fil de ses bouquins - qui commencent à dater pour les premiers - on voit bien que le gars Henning Mankell avait compris que les années 90 sonnaient le glas des temps modernes. Il a vu avant nous arriver le rouleau compresseur du Yield management et les nouvelles servitudes du consumérisme ; il met les marionnettistes dans la lumière, et les bonnes questions surgissent en négatif : que devenons-nous, sinon des monades ontologiques culturellement assujetties aux diktats du néo-libéralisme ? Les serfs de nouveaux seigneurs que sont Coka, Nike, Google et autre puissance pharmaceutique…

Tous les livres de Mankell sont un cri salutaire, une leçon d’éthique.






Wallander, merde ! 
Je rêve ou t’as fait une rayure sur mon learjet ?...

mercredi 20 août 2014

Meurtriers sans visage, Henning Mankell

Quel poissard ce pauvre Kurt Wallander !
Ah, il a pas beau spiele cézigue dans cet opus, un des premiers d’ailleurs ; faut dire, aussi, que je n’ai pas touché mon tiercé Mankell dans l’ordre, je les lis à la régalade, sans ordre ni soif.
(Mais promis, juré, je vais faire du rangement dans la cagna…)

Ouais, ch’te disais qu’il patauge drôlement l’ami Kurt Wallander, à tous les niveaux.
Le crime est “extraordinaire” : deux petits vieux atrocement assassinés dans les landes hostiles et subarctiques de la Scanie, et sans compter sa vie qui part en couille ; divorce tout frais, sa fille en phase d'émancipation aiguë, son père tournant sénile et son vieux maître Jedi (Rydberg ) qui va casser sa pipe… tu parles d’un marasme !  

Ben, malgré toutes ces contingences, le Kurt est un coriace, une sorte de pitbull de traîneau, y lâche jamais l’affaire, faut pas lui en promettre : ça c’est du flicard de première, forgé à la brume glacée, et t’inquiète, il finira par torcher son enquête !

Et comme toujours - je devrais plutôt dire “déjà” car le bouquin date quand même de 1991 -  la plume anthropologique de Mankell déniche les grains de sables qui grippent la machinerie occidentale. En l'occurrence il s’agira ici de la problématique, pour ne pas dire l’incohérence, de la gestion de l’immigration en Suède.

Un regard navré sur l’Europe des années 90.
Un Mankell, précis et désabusé.

Luis Rego



"Les chiffres sont accablants : il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde."
(Le T.F.D.)

lundi 18 août 2014

La lionne blanche, Henning Mankell

Je sais, je sais…
Mais comment veux-tu que je m’en empêche, j’ai trouvé un filon de Mankell. Je me suis surtout aperçu qu’il en manquait un paquet à mon tableau de chasse !  Et puis il y a deux Henning Mankell en fait, il y a celui des “Les chaussures italiennes” et autre "Profondeurs" (que naguère l’ami Patriçounet m’objurgua de lire) et il y a celui de Kurt Wallander. Le premier me fait peur, le second me repose… Tu souffriras donc de me voir en repos farang-stakhanoviste.

Un polar entre Suède et Afrique du Sud à base d’apartheid, de tueurs blacks, d’afrikaners  fanatiques, d‘un ancien monstre du KGB reconverti dans le management  de terroristes, de Mandela en futur président, de de Klerk en futur ex-président, et de Kurt Wallander, toujours aussi gourd dans sa vie sentimentale.
Bien sûr, les cadavres sont exquis et réglementairement cachés au fond des puits, le méchant du KGB est un vrai psychopathe, le premier guerrier black Victor Mabasha est presque sympa, l’ami Nelson Mandela va l’échapper belle, et le préposé au fax devrait être viré !

Ah, j’oubliais, c’est dans ce bouquin que le pauvre Kurt Wallander va zigouiller son premier client, et rappelle-toi que ça ne va pas lui plaire… 

Qui plus outre, je m'autorise ce dernier conseil : fais bien gaffe à ne pas prendre un chaud et froid en lisant ce polar hétéroclimatique ; je te conseille  une bonne polaire et une thermos de café chaud pour les passages suédois tandis qu’un simple pagne en peau de springbok te suffira pour suer sang et eau dans les townships de Johannesburg.




Nelson
- Tu vois Fred, heureusement qu’il y avait Kurt dans ce polar !
Frederik
- Ouais, putain, heureusement...

vendredi 15 août 2014

Le bruit et la Fureur, William Faulkner

J’avais raison, faut vraiment un permis de lecture chargé à douze points pour ce Faulkner !
Ch’t’avais d’jà mis la puce à l’oreille dans le commentaire précédent en évoquant un “Faulkner un tantinet complicaresse à piloter”.
Oh putain de Dieux, quelle souffrance ce livre mes vieux gars ! 
C’est pas du pissat de rosière ; j’en étais arrivé au-delà de la page 130 quand j’ai compris que je ne comprenais rien ; obligé de recommencer et surtout de lire l’introduction !

Ok, après j'étais un peu plus blindé, j’ai presque pigé le truc : il ne faut pas lâcher l’affaire ne serait-ce que d’une virgule (quand il y en a, bien sûr (!)), tout en ayant une vision périphérique et quasi heuristique du topos, puis il faut bien faire gaffe à tous les prénoms car un des deux Quentin est une fille, tandis que Benjamin n’est pas le prénom de Benjamin et surtout que la flèche du temps est totalement torturée, d’une partie du livre à l’autre (il y en a quatre ; Sept Avril 1928 ; Deux Juin 1910 ; Six Avril 1928 ; Huit Avril 1928) et même souvente fois t’as des disjonctions temporelles à l'intérieur d’une phrase ! Des sortes de trains d’idées asymptotiques et perturbants, sinon totalement a-ponctués, du moins totalement déphasés…
 
C’est vrai aussi que tu habites à l’intérieur d’un attardé mental (Benjy) pendant un bon moment. Ça non plus, ça n’aide pas, c’est un gars qui ne fonctionne qu’à la sensation et rappelle-toi que c’est un drôle de merdier dans sa tête ! Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas attentif au contexte.
Et Quentin ! Fou de sa soeur Caddy. Qu’elle soif inextinguible d’auto-destruction.
Et Jason, le frangin aigre et vindicatif.
Et Disley, la rude et vieille négresse spectatrice du naufrage... 
Etc.

Bon, ok, le fond du bouquin n’est cependant pas si compliqué à décrypter, c’est la pathétique comédie d’une chute ; la chute de la maison Compson, dans le sud américain des années 1910-1920. C’est très steinbeckien en fait, là on est en terrain connu : violence, alcoolisme, inceste, lucre, folie, suicide, relents d’esclavagisme… quand l’homme redevient petit et fatalement vulnérable, l’histoire d’une déchéance en somme.

Non, la difficulté et la magie de ce texte tiennent dans le génie du fractionnement, dans le nombre d’éclats qu’il faut inlassablement  rassembler tout en gardant le rythme, tout en restant sur la vague. C’est extrêmement touchy, si tu préfères, de recréer de la cohérence avec toutes ces volées de shrapnels surréalistes (ça frôle l’écriture automatique parfois). C’est choquant au début, ça te rappellera la première fois ou tu as jeté un oeil sur un Hartung ou un Soulages, tu ne comprends pas ce que tu vois, tu es en recherche de cohérence, de congruence… et tu vois rien, ‘tain ! Et puis il y a un déclic (ou pas), une nouvelle posture à adopter, une sorte de laisser aller qu’il faut canaliser, et là, peut-être…

D’habitude, je la joue laborieux avec les mecs difficiles comm’ ça ; Malcom Lowry, j’ai mis plus de quatre ans avant de le reprendre, après m’être noyé dès les cents premières pages.
Là, j’ai immédiatement recommencé, j’ai repris un billet.
Et j’ai bien fait…
Ô mon Dieu, que j’ai bien fait !
Il y a des tâches glauques sur les culottes des petites filles, il y a deux fers à repasser qui alourdissent les poches d’un baigneur, il y a le cri de Benjy qui brouille toutes les pistes du temps, il y a l’insupportable promiscuité entre maîtres et esclaves, il y a l’odeur de toutes les choses qui pourrissent, il y a tant à lire et découvrir dans la peinture anentropique de Faulkner.

J’appelle ça du destructuralisme forcené, de la littérature non figurative et on ne peut que saluer la prouesse. C’est tout simplement énorme et beau... mais pas à la portée de toutes les bourses.
Réservé à un public de drogués averti donc, et à s’injecter avec parcimonie.

Pour moi, ce Faulkner là reste un objet extrêmement difficile à appréhender, c’est au roman ce que Jankélévitch est à l’essai phisolophique : un summum, un apex. Je ne pourrais jamais intégrer plus de complexité, c’est l’altitude maximale qu’atteindra jamais mon vieux Cessna 172.
Je connais une grosse dizaine de bons lecteurs, et, en toute honnêteté, à part quelques pointures du genre: mon spiralman favori ou ma space-frangine (impitoyable Némésis toute d’acier résolument trempé) ou un Patriçounet Doré, je ne vois pas grand monde capable de survivre aux bruyantes et furieuses turbulences inhérentes à ce vol de la “Faulkner-Air-Line”.

À mettre ensuite dans l’étagère des Lowry, Joyce, T.S. Eliot et autres altimétriques emmerdeurs géniaux ; l’étagère de la confrérie des empêcheurs de lire en rond ; L’étagère des bouquins qui piquent et font peur, les rares purs chefs-d’œuvre.


Ami Faulkner, tu me la copieras !



Sweet home



Je vous demande de péricliter...